Tout le monde connaît Jacques Borel, parfois sans le savoir. L’homme s’est rendu célèbre grâce à ses restaurants, ses fast-foods, la création des tickets Restaurant, ses hôtels et ses fameuses aires de restauration surplombant les autoroutes dans les années 70. Roi du commerce et de l’organisation, il a standardisé la restauration au point de devenir le symbole de la malbouffe, singé en Tricatel dans l’Aile ou la Cuisse de Claude Zidi. Retour sur l’histoire de Jacques Borel, le roi de l’Autoroute.
Des débuts remarqués chez IBM
Notre homme (encore vivant aujourd’hui) naît en 1927 et se sait rapidement destiné au commerce. N’est-il pas le roi de la vente de billets de tombola de sa paroisse de Bécon-lès-Bruyères ? C’est ainsi qu’il rentre après-guerre, le bac en poche, à la prestigieuse HEC avec la ferme ambition de vendre tout ce qui peut être vendu. Deux mois avant l’obtention de son diplôme, le 2 mai 1950, il entre chez IBM où il reçoit une formation de vendeur « à l’américaine ». Borel rentre dans la vie professionnelle avec rigueur, curiosité et ambition au point de devenir en moins d’un an le meilleur vendeur mondial du fabricant informatique américain. C’est en observant les besoins des sociétés d’assurance en matière de comptabilité qu’il obtient ses premiers succès en leur concoctant des produits sur-mesure. Ses succès le conduisent en 1953, à seulement 26 ans, à prendre la direction de la filiale d’IBM au tout nouveau Vietnam. A la tête d’une trentaine de salariés, il prend alors goût à la gestion d’entreprise. Il revient en France peu après pour prendre la direction du secteur bancaire d’IBM mais il faut bien l’avouer, Jacques Borel a fait le tour et s’ennuie ferme.
L’Auberge Express et la Générale de Restauration
Peu importe le secteur d’activité pour ce boulimique de travail, pourvu qu’il puisse exercer ses talents d’organisateur et de vendeur. Lors d’un stage HEC à New York en 1948, Borel avait découvert les restaurants de la chaîne Howard Johnson alors en pleine modernisation après les dures années de guerre : 200 restaurants sortent de terre sur le même modèle en quelques années seulement, dotés d’une organisation sans faille et d’une rentabilité hors norme pour le secteur. C’est sur ce principe que Borel lance 18 juillet 1957, rue La Boétie, son premier restaurant, l’Auberge Express. Avec rigueur, il applique une méthode scientifique pour réduire les coûts et augmenter le débit, allant jusqu’à placer un compteur de pas dans les chaussures de ses serveurs ou cuisiniers pour déterminer le meilleur parcours possible. Fort de ce premier succès, Jacques Borel créé en 1959 la Générale de Restauration afin de développer ses concepts. Il dote l’ensemble d’une centrale d’achat afin d’uniformiser et faire baisser les coûts de ses restaurants.
Le roi du Burger Wimpy
L’homme a du flair et sait saisir les idées au bon moment. Ayant découvert les fast-foods Wimpy en Angleterre, il décide en 1961 d’imposer le Burger en France en exploitant la marque en franchise. Outre l’effet de mode, la France des années 60 s’entichant de tout ce qui vient d’Amérique, Jeans et Rock n’roll en tête, il compte sur la rentabilité du steack hâché et la facilité de préparation du Burger pour encaisser les bénéfices. Le 31 mai ouvre le premier Wimpy français rue du 4 septembre, à Paris. A la fin des années 60, on en comptera 20 (15 à Paris, 5 en province) avant que l’aventure ne s’arrête sur un désaccord stratégique avec le franchiseur britannique : peu importe, Borel a des idées à revendre pour développer son groupe. Il conserve 8 restaurants qui deviennent des What a Burger et qui formeront la base des restaurants Free Time dans les années 80
La géniale invention du Ticket Restaurant
La première d’entre elle sera un coup de génie et deviendra une institution en France : le Ticket Restaurant. En 1962, Borel est bien décidé à augmenter la fréquentation de l’Auberge Express. S’inspirant des Vouchers britanniques, il imprime des « bons » sur de vieux rouleaux de tickets de cinéma et fait le tour des entreprises du quartier pour les vendre. Succès garanti. En 1963, Jacques Borel peaufine son système sous le nom de Ticket Restaurant qui deviendra une vache à lait de son groupe.
Les restaurants d’Autoroute en point d’orgue
Autre idée géniale ? La restauration d’autoroute. Le développement prévu du réseau et la motorisation de masse des Français laissent entrevoir de juteux bénéfices sur ce secteur. S’inspirant encore des entreprises italiennes Pavesi et Motta (qui fusionneront plus tard pour donner naissance à Autogrill), il construit un premier pont-restaurant sur l’aire de Venoy, près d’Auxerre, au dessus de l’autoroute A6. Le succès est immédiat et notre homme développe un réseau de restaurants « Jacques Borel » sur toutes les autoroutes de France alors en construction. Outre le succès commercial, c’est un succès publicitaire puisque tous les Français passent sous ses restaurants où s’affiche fièrement son nom : nul ne peut plus ignorer Jacques Borel. Sur sa lancée, le groupe décline la marque en lançant des hôtels standardisés Jacques Borel. En 1974, notre businessman est au faîte de sa gloire : « 760 millions de chiffre d’affaires, 35 millions de bénéfice avant impôts, (…) 724 points sur la carte (hôtels ou restaurants ndlr), 10 000 salariés dans 6 pays européens (…), et surtout 349 000 clients heureux », affirme-t-il alors.
L’homme de la malbouffe
Si la réussite économique est incontestable, l’image de Jacques Borel n’en est pas moins mauvaise. La standardisation et la recherche de la rentabilité font de lui « l’homme de la malbouffe » et la bonne société se pince le nez devant ce restaurateur d’autoroute qui détonne au pays de la gastronomie. C’est de lui dont s’inspire Claude Zidi pour créer Tricatel, l’industriel auquel doit faire face Duchemin dans l’Aile ou la Cuisse en 1976. Une contre-publicité qui tombe mal au moment où Borel rachète les hôtels de luxe Sofitel (1975) et doit faire face à l’hostilité du secteur tandis que ses propres hôtels peinent à trouver leur clientèle.
L’Aile ou la Cuisse
En 1976, les Français découvrent dans les salles obscures une nouvelle comédie de Claude Zidi, L’Aile ou la Cuisse, réunissant pour la première et la dernière fois la star incontestée du rire, Louis de Funès, à l’étoile montante du café-théatre, Coluche. Duchemin (de Funès), créateur du guide éponyme, tente de convaincre son fils Gérard (Coluche) de prendre sa suite, lui qui préfère pourtant le cirque. Alors que la nouvelle édition du guide doit sortir prochainement, ce dernier apprend le rachat de nombreux restaurants primés par le roi de la restauration industrielle, Tricatel (Julien Guiomar). Une lutte s’engage entre Duchemin et Tricatel, pour terminer en apothéose sur un plateau de télévision pour une dégustation à l’aveugle dirigée par Philippe Bouvard. Le film rencontre un succès retentissant, avec plus de 5 millions de spectateurs et reste aujourd’hui une valeur sûre de la télévision. Si, à l’époque, le personnage de Tricatel fait irrémédiablement penser à un Jacques Borel bien connu des français, la référence ne fait plus recette aujourd’hui et, il faut bien l’avouer, désormais Tricatel est plus célèbre que Borel. A noter au passage la très exotique AMC Pacer X conduite par Coluche.
La chute du Napoléon du prêt à manger
L’emprunt qui lui permet de faire le rachat de Sofitel est garanti sur ses biens personnels : ses banques et son conseil d’administration le lâchent en 1977 et Jacques Borel doit recommencer à zéro, ruiné. Son groupe, Jacques Borel International servira de base à la création du groupe Accor après sa fusion avec Novotel tandis qu’il tente de se relancer en Amérique du Sud avec les mêmes méthodes : restauration, restauration collective et tickets restaurants. Sans succès. Revenu en France à la fin des années 80, il se lance dans le lobbying afin de faire baisser la TVA dans la restauration tant dans l’Hexagone qu’en Angleterre ou en Allemagne, mais aussi dans le consulting. Toujours vivant, le « Napoléon du prêt à manger » a paradoxalement été intronisé en 2012 dans la confrérie des disciples d’Escoffier !