Il existe des stylistes qui enquillent les succès, et d’autres plus modestes, qui atteignent la postérité grâce à un seul chef d’oeuvre. Jacques Cooper fait partie de la deuxième catégorie, celle des besogneux, des travailleurs, des humbles. Touche à tout du design, il aura tout dessiné : des morceaux de Frigidaires, des enjoliveurs, des camions, des pompes à essence, des hélicoptères, des voitures mais surtout un train, et pas n’importe lequel. Le TGV sera son bâton de maréchal et son totem d’immunité, le faisant passer à la postérité malgré une discrétion naturelle. Jacques Cooper, en dessinateur éclectique et passionné, a donc toute sa place ici.
Des débuts chez Raymond Loewy
Quand on aime la mobilité sous toutes ses formes, on aime forcément Jacques Cooper tant il aura varié les plaisirs. Camions, hélicoptères, automobiles, tracteurs, trains, rien n’aura échappé au coup de crayon de Cooper qui, en vrai designer, sembla prendre du plaisir quel que soit le sujet commandé et traité. Né en 1931, ses talents de dessinateur et ses dons artistiques l’emmène tôt vers l’école Boulle, où il rentre en 1947. Il en sort diplômé en 1951 pour intégrer, comme de nombreux jeunes de son âge, le service nationale qui, à l’époque, durait deux ans ! Ce n’est qu’en 1953 qu’il peut enfin rentrer dans la vie active. Il intègre alors la Compagnie Américaine d’Esthétique Industrielle (CAEI), le cabinet de style créé par le célèbre designer français Raymond Loewy. Au sein de la CAEI, on traite de tous types de clients et les dessinateurs doivent avoir la capacité de passer d’un secteur à un autre du jour au lendemain. Cooper en est parfaitement capable et se voit confier de nombreuses missions différentes.
Touche à tout du design
S’il travaille beaucoup pour des clients comme Monoprix ou le BHV, Jacques Cooper coopère à d’autres tâches plus industrielles. Pompes à essence (BP), bouteilles de bière (Valstar), électroménager (Arthur Martin), camions (Berliet GAK) : tout y passe ou presque, permettant à Cooper de parfaire son expérience et sa perception du design industriel. L’un de ses grands projets sera de dessiner pour la SNCASE l’hélicoptère SE.3131 Gouverneur, machine qui restera malheureusement au stade de prototype. Cooper prouve en tout cas son modernisme et son talent en carénant de façon élégante une hélicoptère jusqu’alors bien nu.
SNCASE SE.3131 Gouverneur
En 1956, la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est (SNCASE) vient de présenter et de mettre en service son hélicoptère léger Alouette II et songe déjà à en décliner des versions spécifiques. Elle pense en particulier à une version plus grosse permettant le transport de quatre passagers en plus du pilote. Il ne s’agit pas d’un vulgaire transport de troupe mais bien d’un hélicoptère VIP confirmée par l’appellation très statutaire du SE.3131 : « Gouverneur ». Le style est confié à la CAEI de Raymond Loewy, et c’est Jacques Cooper qui récupère le projet. Il dessine un carénage profilé étonnamment moderne qui préfigure bien des hélicoptères futurs. L’intérieur est traité avec soin, tout comme l’extérieur. Le Gouverneur est présenté au Bourget le 30 mai 1957 mais le Gouverneur restera un modèle unique mais il aura servi une fois en transportant le président René Coty entre Paris et Rambouillet, en décembre 1957. L’appareil souffrait d’une motorisation trop faible qui pouvait être améliorée, mais l’entreprise croulait sous les projets : succès de l’Alouette II, développement de l’Alouette III et du Super Frelon. On préféra laisser de côté le Gouverneur.
Un nouveau tracteur Vierzon
Peu de temps après le projet Gouverneur, Jacques Cooper doit gérer un nouveau dossier : le dessin d’un nouveau tracteur de la Société Française Vierzon, l’un des gros producteur de matériel agricole national situé, comme son nom l’indique, à Vierzon, dans le Cher. Plus qu’un nouveau modèle, il s’agit d’une évolution du précédent ce qui donne au design toute son importance : c’est lui qui donnera l’impression de la nouveauté. Le SFV Super 202 conserve la motorisation du SFV 201, mais Cooper lui donne un look relativement moderne pour les années 50. Là encore, il s’applique à caréner la bête en rondeur tout en conservant une accessibilité mécanique appréciable. Le Super 202 est commercialisé en 1958 mais Cooper a déjà quitté Loewy.
De la stricte Régie à l’air frais de Frigidaire
En effet, notre homme a finalement rejoint Renault à la fin de l’année 1957, persuadé qu’il va pouvoir dessiner des automobiles au sein du tout nouveau Centre Technique Renault. Mais Cooper va vite déchanter. Loin de tirer les lignes d’une voiture, il se retrouve à en peaufiner les détails dans une atmosphère peu propice à la créativité et à l’inventivité. Il y restera cependant trois années à se morfondre, avant que l’opportunité de s’en aller se présente. Oh, ce n’était que pour rejoindre la marque d’électroménager Frigidaire (alors filiale du groupe General Motors) mais Cooper s’en fiche : il va enfin pouvoir dessiner librement, loin des lourdeurs de la Régie Renault, dans une atmosphère « à l’américaine » qu’il a déjà connu chez Loewy. N’allez pas croire qu’il s’agit d’une régression : à l’époque, l’automobile et l’électroménager sont les deux symboles de la modernité, et dessiner un Frigidaire (marque qui rentrera dans le langage commun, preuve de sa force) permet de toucher par ses lignes un nombre incalculable de français, petits ou grands. Cooper y restera jusqu’en 1966 (avec un bref passage chez Arthur Martin en cours de route) avant de retrouver le monde de l’automobile.
En duo avec Paul Bracq
Cette fois, ce n’est pas chez un grand constructeur que Cooper débarque, mais chez l’industriel Brissonneau & Lotz. A cette époque, l’entreprise se développe sur plusieurs secteurs : l’activité historique de fabrication de matériel ferroviaire mais aussi, depuis les années 50, la carrosserie automobile et la petite série pour le compte de constructeurs automobiles. C’est avec Louis Rosier que Brisonneau & Lotz est arrivé dans l’automobile en produisant un roadster sur base 4CV dans son usine de Creil. Vient ensuite Renault qui confie à l’entreprise en 1959 l’assemblage de la Floride, puis de la Caravelle. A l’arrivée de Jacques Cooper, la signature d’un important contrat de carrosserie avec Opel (assemblage de l’Opel GT) permet à l’activité automobile d’envisager un avenir radieux. Il vient compléter celui signer avec Matra quelques temps avant pour la production de la carrosserie de la 530. Les ambitions sont là et Brissonneaux & Lotz veut créer, avec Cooper, son propre centre de style, capable de travailler tant pour l’entreprise elle-même que pour des clients extérieurs. Peu de temps après, en 1967, il est rejoint par une autre étoile montante du design français, Paul Bracq.
Une Murène pour Porsche
L’idée du nouveau bureau de style est simple : inventer des voitures de niche capable d’intéresser les constructeurs et qui en confieraient la production en petite série à Brissonneau & Lotz. C’est ainsi que les deux hommes vont plancher sur des projets de coupés et de berlines Renault ou Simca. Malgré l’intérêt de certaines esquisses, aucun d’eux ne séduira un donneur d’ordre. En 1969, Yves Brissonneau, dynamique patron, décide de tenter de convaincre Porsche qui vient de sortir une 914 peu convaincante en terme de style. Jacques Cooper se charge du projet et transforme la voiture allemande en un agréable coupé aux lignes fluides. Malheureusement, la situation financière de Brissonneau & Lotz, malgré le contrat Opel, n’est pas au beau fixe et l’activité automobile doit fusionner avec Chausson, filiale commune de Renault et Peugeot. Hors de question de travailler avec un autre constructeur même si les carrosseries des Opel GT continuent à être produites. Le projet 914/6 Murène est pourtant mené à son terme mais le projet sera gracieusement offert à Heuliez, une entreprises dont les ambitions sont proches de celles qu’avaient Brissonneau & Lotz du temps de son indépendance. Présentée au Salon de Paris 1970 sous la bannière poitevine, la Heuliez-Porsche 914/6 Murène fait sensation auprès du public, moins auprès de Porsche qui décline la proposition.
Entre Alsthom et Heuliez
Malgré les difficultés de l’entreprise, Cooper fait le choix d’y rester, contrairement à Paul Bracq qui s’envole vers Munich et BMW. Depuis 1967 et le début des essais du Turbotrain à Grande Vitesse (TGV qui deviendra plus tard TGS), l’idée fait son chemin à la SNCF d’un train capable de réduire considérablement les temps de parcours. La société nationale a commencé à mettre à contribution ses fournisseurs, comme Brissonneau & Lotz et Alsthom, et Cooper a pu s’exercer à dessiner des trains modernes et effilés. En 1970, alors que la reprise de l’activité automobile par Chausson est actée, se profile le rachat de la branche ferroviaire par Alsthom. Cooper s’intéresse au projet de Train à Grande Vitesse et reste chez Asthom à mi-temps, tout en continuant à travailler ponctuellement chez Heuliez, notamment sur le projet de Citroën SM Espace ou de petite Jeep Citroën M7.
L’aventure à grande vitesse
C’est cependant par Alsthom et le train que la gloire va arriver. On lui confie la tâche de plancher sur le prototype de nouveau TGV, un train à grande vitesse doté de quatre turbines d’hélicoptère dérivées de celles du Super Frelon (Turboméca Turmo). Le cahier des charges est clair : « dessiner un train qui ne ressemble pas à un train », exprimant la vitesse et la modernité. Si la Murène n’a pas convaincu Porsche, elle sera, selon Jacques Cooper lui-même, l’inspiratrice du design du TGV-001. Formes légèrement arrondies, avant effilé et aérodynamique, et coloris bitons orange et blanc. Il réalise aussi l’intérieur moderne du nouveau train avec d’autant plus d’entrain qu’il s’était spécialisé, à l’école Boule, dans la réalisation de sièges.
Du TGV-001 au TGV tout court
Le TGV-001 est son œuvre et ressemble terriblement à cette France pompidolienne alors en marche vers le futur à grand coup de recherche, de plans et d’imagination. La crise pétrolière de 1973 oblige cependant la SNCF à revoir sa copie : l’utilisation de turbines gourmandes en carburant n’est plus d’actualité et le TGV doit passer à l’électricité. Le TGV-001 est abandonné, place au TGV tout court. En 1975, un concours est lancé pour concevoir son design. Jacques Cooper l’emporte et se voit charger de dessiner le nouveau train. Plutôt que de partir d’une feuille blanche, c’est sur le TGV-001 qu’il va s’appuyer. Les rondeurs font disparaître, le dessin s’affermir et se tendre, mais la silhouette générale reste proche, tout comme les coloris à tendance orange. En 1981, le TGV est présenté Gare de Lyon devant le nouveau président François Mitterrand, et tous les petits français viendront admirer sur les quais ces nouveau trains ultra-rapides comme en son temps le Concorde sur les pistes.
Dernier baroud avec le TGV Atlantique
Durant les années 80, Cooper va continuer à dessiner des trains et des motrices pour le compte d’Alsthom, et participer au design du TGV Atlantique qui n’est finalement qu’un restylage du TGV Sud-Est. Il quitte l’entreprise en 1987 de façon peu élégante et finira par prendre sa retraite, le TGV restant son œuvre ultime et unanimement reconnue. Malgré le remplacement de ces rames initiales par des modèles plus modernes (et plus banales), c’est bien son dessin qui reste en mémoire quand on parle de train à grande vitesse, preuve de son excellent coup de crayon.
Aller plus loin
On ne peut que conseiller l’excellent article d’André Leroux sur Jacques Cooper