Juin 2000, sur l’esplanade du Trocadéro. Hubert O’Neil, le patron du petit constructeur français Venturi peut respirer. Six ans après avoir racheté l’entreprise au milliardaire suisse Didier Primat pour 1 franc symbolique, il considère enfin la marque sortie d’affaire et présente à la presse et aux nombreux amateurs sa toute nouvelle création : la Venturi 450 GT. Pourtant, rien ne semblait joué aux débuts de l’aventure. Il aura fallu jouer l’équilibriste, faire le dos rond et compter parfois sur la chance pour qu’enfin une marque française de sport soit pérenne.
Avis aux lecteurs :
Il s’agit ici d’une uchronie, c’est à dire une histoire alternative, telle qu’elle aurait pu être si… Ici le point de divergence (le moment où l’histoire aurait pu prendre un autre court) c’est l’année 1995 et la possibilité d’un soutien des banques à Venturi, lui permettant de trouver des investisseurs. Vous trouverez en fin d’article le résumé de l’histoire « réelle ». Bonne lecture.
Elle est là, devant une assistance conquise, 14 ans après la présentation de la 200 sur cette même esplanade en compagnie de Sabine Azéma. La 450 GT, blanche, musculeuse, puissante, impressionne le public et ravit ses concepteurs. Il s’agit d’une supercar à la française, développant 450 chevaux tirés d’un V6 ES9 Biturbo travaillé par Pipo Moteurs en position centrale arrière. Alors que Bugatti, rachetée par Volkswagen, n’en est encore qu’à ses balbutiements, Venturi ose porter haut les couleurs françaises. La marque profite d’un trou dans la raquette : Ferrari n’a pas encore remplacer sa F50 et l’Enzo est toujours en développement, la voie est libre pour séduire de riches investisseurs, amoureux d’automobiles et d’exclusivité. En effet, cette 450 GT hors de prix (2 millions de francs), sera limitée à 25 exemplaires seulement. Contrairement à sa sœur 300 Atlantique, elle mise tout sur le sport et délaisse les attributs du luxe : véritable pistard homologuée pour la route, elle devrait séduire les fous de sport automobile au portefeuille bien garni. C’est tout du moins le pari que fait Hubert O’Neil, le sympathique et entreprenant PDG de Venturi Automobiles.
Hubert O’Neil à la barre de Venturi
Le projet de ce vannetais fou de bateaux n’était pourtant pas gagné d’avance. Lorsqu’il reprend l’entreprise à la fin de l’année 1993, les comptes sont catastrophiques. Poussé par sa famille, Didier Primat, héritier Schlumberger à la tête du groupe Primwest se sépare de sa danseuse et fait confiance au breton pour redresser la barre. O’Neil va passer l’année 1994 à apurer les comptes et à vider les stocks pour repartir sur de bonnes bases : à la fin de l’année, il annonce des bénéfices (1 million de francs) pour la première fois depuis la création de Venturi. Entre temps, il a fait du neuf avec du vieux en présentant la version civile de la 400 Trophy, dénommée 400 GT au Salon de Paris, ainsi qu’une toute nouvelle voiture qui n’en est encore qu’au stade de prototype, la 300 Atlantique. Dessinée par Gérard Godfroy, elle préfigure la nouvelle GT de la marque et rassure sur les capacités de la firme à rebondir.
Sauvé in extremis de la cessation de paiement
Avec un budget ridiculement bas, Venturi a réussi à proposer une voiture séduisante, performante avec son V6 PRV poussé à 281 chevaux et sa ligne beaucoup plus ronde que sa devancière, la 260. Elle utilise en outre le châssis rallongé de la 400 GT et bénéficie d’une vraie sportivité. Pourtant, les nuages s’amoncellent pour 1995. Malgré le retour aux bénéfices, Venturi manque de cash pour mener à bien ses projets. Au calendrier, le lancement des deux modèles présentés à Paris, mais aussi une participation aux 24 heures du Mans qui apparaît comme cruciale pour l’avenir de la marque avec une voiture entièrement repensé : la 600 SLM. Sans ligne de crédit ou nouveaux investisseurs (voire les deux), Venturi risque de rester au paddock définitivement. En janvier 1995, Hubert O’Neil prend donc son bâton de pèlerin pour assurer l’avenir de son bébé. Premier bon point, le Crédit Mutuel de Bretagne renouvelle sa confiance en l’entrepreneur breton. Ce soutien bancaire tombe à point nommé pour convaincre d’autres investisseurs de se lancer dans l’aventure.
Nouveaux investisseurs, résultats encourageants aux 24 heures du Mans
Le projet séduit localement : Jean-Paul Dubreuil accepte de rejoindre la barque. Le groupe Dubreuil s’est développé autour de la distribution d’essence puis de la grande distribution, avant de bifurquer vers l’aviation (Air Vendée) puis l’automobile dans les années 80 grâce à ses concessions BMW et Peugeot. Depuis le début des années 90, Dubreuil a le vent en poupe avec sa compagnie aérienne Regional Airlines et dispose de liquidités. Il prend 40 % de l’affaire et permet à Venturi d’obtenir un réseau de distribution sur le grand Ouest qui ne sera pas négligeable. La chance aura finalement souri à l’opiniâtre breton qui peut désormais se consacrer avec soulagement au développement de la marque au Gerfaut. En outre, un bonheur n’arrive jamais seul. La 600 SLM usine développée en un temps record réussit à atteindre la ligne d’arrivée à une brillante 6ème place derrière McLaren et Courage. Une place encourageante qui montre la performance et la fiabilité des voitures produites dans l’usine de Couëron, près de Nantes. Reste désormais à rentabiliser le site pour l’instant sur-dimensionné.
Les bons débuts de la 300 Atlantique
Depuis le début de l’année, les 400 GT sont produites mais leur prix (818 000 francs) limite leur diffusion. Les dernières 210 et 260 ont été livrées à leurs clients. Il faut donc lancer la 300 Atlantique. C’est chose faite en septembre 1995 avec la livraison du premier exemplaire bichonné avec soin. Le prototype, lui, fait le bonheur des essayeurs de la presse automobile qui louent les qualités de la GT française qui, en outre, bénéficie des retombées des 24 heures du Mans. Désormais, les bons de commande commencent à se faire plus nombreux. En attendant, seuls 15 exemplaires sortent des ateliers, en 1995 en plus de 8 unités de la 400 GT. Il faut accélérer. A partir de 1996, le réseau du groupe Dubreuil entre en action. Clara Automobiles, distributeur Peugeot, met la main à la pâte pour pousser le produit dans le grand Ouest. A la même époque, une concession est ouverte à Londres, dans le quartier chic de South Kensington. A la barre, Nicholas Mee, un spécialiste d’Aston Martin qui se fait fort d’imposer le Gerfaut outre-Manche.
Assurer l’avenir de la marque
Si la 400 GT reste produite au compte goutte (10 exemplaires), la 300 Atlantique commence son décollage avec 64 unité produites. C’est encore trop peu, le point mort pour rentabiliser l’usine se situant aux alentours de 150 voitures produites par an. Cependant, les signaux sont au vert : les pays du Golfe semblent s’intéresser de plus en plus à la petite marque française qui régulièrement brille au Mans (9ème en 1996, mais loin derrière les Porsche 991 GTR ou les McLaren F1). Dubaï apparaît comme un marché prometteur, tandis qu’en Angleterre, le produit commence à séduire les gentleman drivers avides d’originalité. Malgré ces signes encourageants, Hubert O’Neil sait qu’il faudra renouveler les produits mais n’en a pas vraiment les moyens. On a certes pensé à développer une version cabriolet de la 300 mais cette proposition est jugée peu pertinente : on se souvient des soucis lors du développement du Transcup. Cette absence d’horizon lui procure des cheveux blancs, mais encore une fois, la chance va frapper à sa porte.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres
Xavier de La Chapelle, ancien PDG de Venturi et créateur des Automobiles de La Chapelle a développé un Roadster particulièrement séduisant qu’il a présenté au Salon de Paris 1996. Il n’a pas les moyens de le produire, mais il a pu trouver des commanditaires désireux de construire cette adorable petite sportive à moteur central capable d’être la rivale de la MG F lancée en 1995 sur le même principe, de la Porsche Boxster 986 tout juste présentée, et de la Mazda MX-5 d’une manière plus large. Les investisseurs sont indiens, et comptent industrialiser la voiture à Mumbai. C’est Vallabhbhai Thakkar, qui a fait fortune dans la farine, qui doit injecter l’argent mais un drame va tout changer. En mai 1997, ce dernier est assassiné par deux membres d’un gang sévissant dans la zone industrielle où se trouvent ses moulins. Xavier de La Chapelle peut dire adieu à ses projets sur le sous-continent et se retrouve avec son Roadster sur les bras. Il va alors proposer à Hubert O’Neil d’élargir la gamme de Venturi avec une sportive plus petite et plus accessible que la 300. La petite De La Chapelle devient alors la Venturi 150, dotée d’un 4 cylindres PSA de 2 litres et 167 chevaux, ainsi que de la boîte à 6 vitesses qui lui va si bien sur la Peugeot 306 S16.
Nouveau moteur pour la 300 tandis que Peugeot entre dans la danse
Pour industrialiser la 150, O’Neil va une fois encore solliciter le groupe Dubreuil, le Crédit Mutuel, mais aussi quelques particuliers fortunés désireux d’investir dans la marque. Dès lors, on s’affaire à l’usine pour industrialiser (à petite échelle) la future 150 tandis qu’on confie à Pipo Moteurs l’étude d’une version sportive du tout nouveau moteur V6 ES9 de Peugeot. La Venturi 300 confirme ses bons débuts en trouvant 104 clients en attendant cette nouvelle version Biturbo. Cette 300 Atlantique portée à 310 chevaux est présentée au Salon de Genève en mars 1998. Dans le même temps, Peugeot commence à s’intéresser au savoir-faire de Venturi et lui confie l’étude d’un Coupé 406 doté de ce fameux V6 boosté. Si le projet restera sans suite, cette première collaboration confirme au groupe PSA le sérieux de la petite entreprise. Afin de l’accompagner dans l’industrialisation de la 150, le constructeur prend 10 % du capital et apporte les liquidités nécessaires en complément de la levée de fond de l’année précédente. Au salon de Paris, la Venturi 150 est enfin présentée au public et s’offre contre un chèque de 250 000 francs, moitié moins que la 300. L’année se termine avec un peu plus de 110 véhicules produits : la tendance reste bonne mais la 150 est attendue comme le Messie par les salariés de Couëron qui savent combien l’entreprise joue à l’équilibriste.
Une toute nouvelle petite Venturi : la 150
Il faut attendre janvier 1999 pour que la première 150 de série tombe des chaînes de l’usine. Des essais presse sont organisés près de La Baule en mai et les journalistes s’en donnent à cœur joie. Les trains roulants, réglés par Philippe Beloo, un fidèle de Venturi, sont parfaits tandis que le 4 cylindres 16 soupapes démontre tout son brio. Certains en viennent à trouver qu’ils manquent même quelques chevaux tant la voiture est bien née. « Ce sera pour plus tard » assure Hubert O’Neil, désormais confiant en l’avenir. On espère produire 100 exemplaires de la 300 et 150 de la petite 150 : un objectif symbolique qui sera atteint et fêté au champagne en décembre 1999. L’usine tourne enfin à pleine capacité tandis que les bureaux d’études ont planché sur une fameuse surprise : la 450 GT qui remplace une 400 désormais dépassée.
En juin 2000, l’heure est donc à l’euphorie chez Venturi. La 450 fait son petit effet et remplit parfaitement son rôle de porte-drapeau, la 300 maintient toujours le cap même si l’on songe enfin à la remplacer, tandis que la 150 joue la carte de l’accessibilité et du plaisir. Les difficultés semblent enfin dépassées et la marque peut désormais voir l’avenir avec confiance.
Dans la (triste) réalité…
Le point de divergence de cette histoire se situe au début de l’année 1995. En réalité, Hubert O’Neil se trouve totalement lâché par ses banques et se retrouve en cessation de paiement (tandis que toutes les Venturi abandonnent aux 24 heures du Mans, privant la marque d’une bonne publicité). A la fin de l’année, c’est même la liquidation judiciaire. Le groupe Thaïlandais Nakarin-Benz rachète l’entreprise en 1996 avec l’ambition d’ouvrir le marché asiatique à Venturi. Malheureusement, la crise secoue gravement les pays de la zone et les Venturi se retrouvent privées de débouchés mais aussi de financement. La 300 Atlantique se vend mal tandis que la santé fragile de l’entreprise inquiètent les clients potentiels. Le restylage de la 400 GT n’est pas très heureux (2 exemplaires seulement) tandis que la version Biturbo développée trop rapidement par le belge Alvan souffre de défauts de jeunesse. L’entreprise dépose le bilan fin 99 malgré les espoirs d’une collaboration avec Peugeot. L’homme d’affaire monégasque Gildo Pallanca Pastor rachète Venturi au nez et à la barbe d’investisseurs locaux et déménage l’entreprise à Monaco. Il lance un ambitieux projet d’une petite sportive dessinée par Sacha Lakic, la Fétish, mais se heurte à l’impossibilité de lui trouver un moteur et s’oriente alors vers l’électrique. La Fétish désormais branchée s’annonce à des tarifs démentiels. La marque annonce une dizaine d’exemplaires vendus mais en réalité, seul deux ou trois modèles seront réellement fabriqués. Venturi devient un « bureau d’étude », se lance en Formule E, tente de produire des Berlingo Electrique pour La Poste dans une usine à Sablé sur Sarthe en 2010 mais l’affaire tourne au fiasco. Aujourd’hui, Gildo Pallanca Pastor a pris du recul après l’assassinat de sa mère et son AVC. En 2020, l’écurie devient Rokit-Venturi Racing.
De son côté, Hubert O’Neil quitte l’entreprise en 1996 et se consacre au développement d’une nouvelle entreprise, TMC (Transport Maritime Côtier) qui assure le ravitaillement de Belle Ile mais aussi de la Casamance au Sénégal. Il prend sa retraite en 2009 après avoir revendu sa société.
Images : Venturi, Communauté Venturi, Nicholas Mee, Kevin Van Campenhout, Nicolas Gallerand (dessins 300 Cabriolet) DR.
Aller plus loin :
Je ne peux que vous conseiller de découvrir le fabuleux monde de Venturi sur la Communauté Venturi
Je vous conseille aussi la lecture de l’excellent livre de Pierre Daubrosse, Venturi GT à l’a française aux Editions ETAI, disponible sur Amazon.