Si la Biturbo a marqué les esprits dans les années 80, son dérivé cabriolet appelé Spyder, malgré un relatif succès commercial, semble avoir disparu de l’imaginaire collectif. Pourtant, cette élégante décapotable s’avère particulièrement séduisante, avec son profil ramassé, sa petite capote, ses intérieurs luxueusement et délicieusement baroques, mais surtout son V6 doublement suralimenté et servi à toutes les sauces. C’est pourquoi Haxo vous propose de vous replonger dans l’histoire de la Maserati Biturbo Spyder, repensée et fabriquée de surcroît par le fameux carrossier Zagato.
Production (1984-1994) : 3 076 exemplaires (voir détail en fin d’article)
De Tomaso et la Maserati Biturbo
La Maserati Biturbo fera l’objet d’un reportage complet tant son histoire est foisonnante et intéressante mais rappelons ici quelques faits. Lorsque Citroën déclare en faillite Maserati en mai 1975, poussée par son nouvel actionnaire Peugeot, l’entrepreneur argentin Alejandro de Tomaso voit une opportunité de créer un groupe automobile de toutes pièces. Créateur et propriétaire des automobiles De Tomaso, il réussit avec l’aide du GEPI, l’organisme d’État chargé de soutenir l’industrie italienne en difficulté, à récupérer Maserati en août de la même année. L’année suivante, il réitère l’opération avec la marque Innocenti, lâchée par British Leyland, qu’il fusionne avec Maserati pour fonder la société Nuova Maserati. Avec trois marques dans son escarcelle, de Tomaso s’est construit en peu de temps et à peu de frais un petit empire automobile (merci l’État italien et son bras financier, le GEPI) et dispose désormais de deux usines, l’une à Modène et l’autre bien plus grande à Lambrate. Cette usine Innocenti donne des idées à Alejandro de Tomaso. En effet, la relance de Maserati s’avère plus compliquée que prévue : les sportives de l’ère Citroën, les Bora (rapidement arrêtée), Merak et Khamsin, ont du mal à se vendre, sans même parler du fiasco du clone de la De Tomaso Deauville, dénommé Kyalami sous le blason au trident. Seule la grande berline Quattroporte III semble tirer son épingle du jeu. De Tomaso constate aussi l’incroyable succès des BMW Série 3 E21 dans sa version 6 cylindres (323i). L’idée de développer un coupé sportif compact, performant et luxueux germe alors dans la tête de l’entrepreneur. Il entrevoit non seulement le succès commercial, mais aussi l’opportunité d’exploiter au mieux l’usine Innocenti de Lambrate qui ne produit pour l’instant que la petite Nuova Mini, plus connue sous le nom de Mini « Bertone ».
C’est ainsi qu’est lancé le développement de celle qui deviendra la Biturbo, avec un budget riquiqui malgré de grandes ambitions. Le dessin est réalisé en interne par le styliste Pierangelo Andreani (qui quittera Maserati en 1981), s’inspirant en partie de celui de la Quattroporte dessinée, elle, par Giorgetto Giugiaro. Le moteur V6, réalisé par Giordano Casarini et Aurelio Bertocchi, est dérivé de celui de la Merak, mais complètement retravaillé (la distribution se fait par courroie et non par chaîne par exemple), doté d’un carburateur Weber et réalésé à 1 996 cc pour échapper à la surtaxe de luxe italienne pénalisant les moteurs de plus de 2 litres. Pour lui offrir tout de même suffisamment de puissance, Maserati va choisir de lui greffer deux turbos IHI. Le projet Tipo AM331 est donc lancé en 1978 tandis que les premiers prototypes roulent au printemps 1980. La nouvelle Maserati Biturbo est présentée au public le 14 décembre 1981, date du 67ème anniversaire de la fondation de l’entreprise et rencontre immédiatement l’adhésion. Pourtant, il faudra attendre l’automne 1982 pour que la voiture soit lancée commercialement : une longue attente qui s’accompagne d’une importante hausse du tarif par rapport aux annonces. Malgré cela, le lancement est un succès et les commandes affluent. Pourtant, tout n’est pas rose pour Maserati : de sérieux problèmes de fiabilité viennent dégrader l’image du nouveau modèle. Mais tout ceci est une autre histoire.
Embo tente de séduire avec une Cabriolet 4 places
Avant même que la production de la berline Biturbo (Tipo AM332) ne soit lancée, la petite carrosserie italienne Embo a une idée simple : proposer une version cabriolet de la nouvelle Maserati pour développer la gamme. L’officine connaît bien Alejandro de Tomaso : elle produit les carrosseries de la De Tomaso Pantera depuis 1979 en remplacement de Maggiora, dont le travail ne fut pas jugé d’assez bonne qualité. Proposer une version décapsulée de la Biturbo pourrait être l’occasion d’augmenter la charge de travail de l’atelier auprès d’un donneur d’ordre habitué de la maison. Les hommes d’Embo vont donc réaliser à partir d’un coupé Biturbo un cabriolet 4 places, présenté au Salon de Turin de mars 1982. Il s’agit d’une initiative indépendante de Maserati, mais la firme de Modène regarde le projet d’un œil bienveillant, fournissant d’ailleurs un modèle de pré-série pour la réalisation du concept. Cependant, le travail d’Embo se limite à celui d’un carrossier artisanal, c’est à dire l’ablation du toit et le renfort de l’auto pour conserver un semblant de rigidité. La capote est grossièrement camouflée sous une toile à pression et saute aux yeux comme une verrue sur le visage. La proposition ne sera pas retenue par Maserati mais l’idée d’un cabriolet restera présente : de Tomaso, qui envisage l’exportation de la Biturbo aux États-Unis, sait qu’une telle carrosserie sera rapidement indispensable pour séduire outre-atlantique.
Le Spyder est confié à Zagato
Le modèle Embo a eu cependant un mérite : celui de démontrer que la Biturbo perdait de sa cohérence en étant transformée tel quel en découvrable. Alejandro de Tomaso va charger un autre carrossier de réfléchir au développement d’une version cabriolet : Zagato. Pour proposer un produit séduisant, il faudra travailler en profondeur. C’est ce que va faire Zagato qui, reprenant le châssis de la Biturbo Coupé, va le raccourcir de 11,4 cm et recréer l’arrière afin de lui donner un profil plus compact. Cela permet aussi de mieux travailler l’intégration de la capote, évitant la disgracieuse boursoufflure de la version Embo. Ces ajustements obligent cependant à ne proposer que des places arrières d’appoint (2+2). Le style et les solutions proposés par Zagato sont validés par de Tomaso mais la carrosserie obtient bien plus encore que le simple dessin : Maserati va lui confier l’assemblage de cette version (Tipo AM333) dans son usine de Terrazzano di Rho. Pour distinguer le futur modèle, on lui donne le nom de Spyder avec un Y, sans doute pour séduire une clientèle américaine qui a longtemps fantasmé sur la Porsche 550 Spyder des années 50.
Maserati Biturbo Spyder Série 1
La Maserati Biturbo Spyder est finalement présentée au public au Salon de Turin 1984 et commercialisée dans la foulée. Comme le coupé, le Spyder est équipé du V6 2 litres de 180 chevaux réservé au marché italien mais propose à l’exportation une version de 2 491 cc développant 192 chevaux. Cette première série est identique à quelques détails près aux coupés de la même époque mais reçoit un intérieur cuir de série. Comme pour les autres Maserati, le Spyder offre au conducteur et à son passager une vision baroque du mobilier automobile faite de cuir et de bois précieux cotoyant les accessoires en plastique. Cette sensation est encore plus présente avec le léger restylage de 1985 et l’arrivée de la fameuse horloge au centre du tableau de bord, coincée entre deux buses d’aération. En 1986, le Spyder i (pour injection) vient compléter la gamme : grâce à l’injection, le moteur gagne 5 petits chevaux et permet au 2 litres d’être disponible ailleurs que dans la botte.
Une descendance pour le Spyder : Karif et Shamal
Le Spyder, avec son empattement de 2,4 mètres et sa plate-forme raccourcie de 11,4 cm est un modèle à part dans la gamme Biturbo. En 1986, Zagato réfléchit à proposer un hard-top en option mais n’ira pas au delà du projet, préférant proposer à Maserati la production d’un modèle spécifique et exlusif, censé représenter le top de la sportivité. En fait, il s’agit tout simplement d’un Spyder auquel on aura greffé un toit en lieu et place de la capote. Sous le capot, on greffe le V6 biturbo 2.8 litres développant (théoriquement) 285 chevaux. Cette puissance semble largement exagérée, certains parlant d’une quarantaine de chevaux manquant à l’appel. Pour garantir l’attrait du modèle, la firme de Modène annonce qu’il sera produit (chez Zagato aux côtés du Spyder) à 250 exemplaires seulement. Reprenant la tradition Maserati rompue avec l’arrivée de la Biturbo, elle récupère le nom d’un vent du Golfe d’Aden : Kharif. En réalité, sa production sera encore plus limitée puisque seuls 221 exemplaires sortiront de chaînes de Zagato entre 1988 et 1991. Les derniers modèles peinant à trouver leurs propriétaires restèrent à la vente jusqu’en 1992.
Le Spyder eut un autre descendant, plus enthousiasmant celui-là, en 1990 (présentation en le 14 décembre 1989) : la Shamal. Elle aussi récupère un nom de vent, mais de Mésopotamie cette fois. En réalité, il s’agit d’un modèle très différent, doté d’une carrosserie spécifique signée Marcello Gandini et d’un moteur V8 3.2 biturbo de 326 chevaux, mais il utilise la même plate-forme raccourcie que le Spyder. La Shamal est cependant construite directement à Modène chez Maserati et non chez Zagato. En tout, 369 exemplaires seront produits jusqu’en 1996.
Maserati Biturbo Spyder Série 2
A l’automne 1989, le Spyder évolue enfin stylistiquement, près d’un an après le Coupé. Il s’agit pourtant d’un très léger restylage qui se repère essentiellement à la calandre plus effilée et aux optiques encadrés de plastiques noirs. Cela suffit à rendre le Spyder un peu moins passé de mode. Les vrais changements se situent surtout sous le capot. Le V6 biturbo 2 litres offre désormais 220 chevaux mais reste réservé au marché italien. A l’export, deux versions sont proposées en fonction des marchés, basées sur le V6 2.8 litres : 250 chevaux, ou bien seulement 225 pour les modèles dotés d’un catalyseur.
Maserati Biturbo Spyder Série 3
En 1991, le Spyder devient Nuova Spyder, ou plus simplement Série 3. A cette occasion, il récupère le restylage signé Marcello Gandini, inspiré du design de la Shamal et désormais décliné sur toute la gamme Biturbo, coupé, berline et donc cabriolet. Le poids des ans se fait sentir et ce ravalement de façade est bienvenu pour faire passer la voiture (dont le dessin date de dix ans déjà) dans les années 90. En regardant le Spyder, le profil général reste inchangé mais de subtils évolutions rendent l’aspect général plus moderne. C’est particulièrement vrai à l’avant : la calandre est bien plus fine et étirée, tandis que les feux deviennent beaucoup plus travaillés que les simples optiques carrés posés côte à côte des modèles précédents. Partout, les angles s’arrondissent légèrement et rendent cette troisième série particulièrement désirable. Les V6 évoluent eux aussi. Le 2 litres passe à 245 chevaux (240 avec le catalyseur) tandis que le 2.8 litres destiné à l’export (catalysé) offre 225 chevaux.
Quelle que soit la version moteur du Spyder, et qu’il soit de la première, deuxième ou troisième série, il ne s’agit absolument pas d’un modèle sportif. Paradoxalement, la rigidité moindre de l’ensemble, par rapport au coupé, le rend plus facile d’accès : la voiture reste toujours aussi pointue à conduire, et peut surprendre n’importe quel conducteur, surtout sur route mouillée, mais conduire un cabriolet de cet acabit incite à la prudence plus qu’à l’arsouille, d’autant qu’une conduite paisible sera bien plus reposante tant les remous d’air se font sensibles. Enfin, n’oubliez jamais qu’il s’agit d’une Maserati à la mécanique certes fiabilisée aujourd’hui, mais toujours pointue, nécessitant un entretien souvent coûteux. Les tarifs alléchants dignes d’une mal-aimée ne vous dispenseront pas de sortir le chéquier régulièrement pour profiter de cette charmante Maserati.
Aller plus loin :
Maserati-OPAC Spyder
En 1992, l’Officina Prototipi Automobili Carrozzeria (OPAC) décide de créer un prototype suivant sa vision (moderne) d’un nouveau Spyder, alors en fin de vie, avec l’intention de convaincre Maserati du bien fondé d’un nouveau modèle. Pour cela, OPAC va reprendre le châssis du Spyder, y greffer le V8 de la Shamal et lui offrir une toute nouvelle carrosserie assez séduisante au demeurant (et des feux arrières d’Audi 80). Ce nouveau Spyder n’est pas vu d’un bon œil par Alejandro de Tomaso, alors en pleine négociation pour revendre le solde de ses parts du capital à Fiat qui détient 49 % de la société depuis 1989. L’opération effectuée, OPAC reviendra à la charge en 1994 avec le même prototype mais retravaillé (hard-top, feux ronds à l’arrière, jantes de Ghibli II) : peine perdue, Fiat ayant d’autres projets pour Maserati.
A lire :
L’Automobile Sportive a réalisé un essai très instructif sur le Spyder 2800 i.
Tableau de production
Modèle | Années | Moteur | Cylindrée | Puissance | Alimentation | Production |
---|---|---|---|---|---|---|
Spyder (S1) | 1984–88 | V6 1 ACT | 1996 cc | 180 ch | Carburateur | 276 |
Spyder 2500 (S1) | 1984–88 | V6 1 ACT | 2491 cc | 192 ch | Carburateur | 1049 |
Spyder i (S1) | 1986–88 | V6 1 ACT | 1996 cc | 185 ch | Injection | 297 |
Spyder i 2500 (S1) | 1988–89 | V6 1 ACT | 2491 cc | 188 ch | Injection | 122 |
Spyder i (S2) | 1989–91 | V6 1 ACT | 1996 cc | 220 ch | Injection | 309 |
Spyder i 2800 (S2) | 1989–91 | V6 1 ACT | 2790 cc | 225/250 ch | Injection | 603 |
Spyder (S3) | 1991–94 | V6 2 ACT | 1996 cc | 240/245 ch | Injection | 200 |
Spyder 2800 (S3) | 1991–94 | V6 1 ACT | 2790 cc | 225ch | Injection | 220 |