Derrière la création (inachevée) d’un Paris de pacotille destiné à leurrer les aviateurs allemands en 1918 ou l’illumination de la Tour Eiffel en 1925 pour le compte du jeune constructeur Citroën se cache un publicitaire méconnu d’origine italienne, Fernand Jacopozzi. Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant, on lui doit beaucoup du Paris d’aujourd’hui, devenu Ville Lumière grâce à sa passion de la lumière et de l’électricité. Retour sur un homme discret mais électrique.
La Réclame lumineuse
Fernand Jacopozzi s’appelle en réalité Fernando : il est italien, né à Florence en 1877. Il arrive à Paris en 1900 et s’illustre (c’est le cas de le dire) en peignant les décorations des vitrines des commerçants parisiens. Il est rapidement engagé par les établissements Paz et Silva qui l’initient à la fée électricité et à ses possibilités publicitaires. Pressentant un marché juteux, Jacopozzi crée alors une entreprise concurrente portant son nom, au 44 rue de Bondy, près du Boulevard Saint Martin. Outre la décoration de boutiques commerçantes des Grands Boulevards et d’ailleurs, on lui attribue l’éclairage des Salons de l’Automobile de 1903 et 1907. Le juteux business aurait pu continuer longtemps si la Guerre n’était pas passée par là, mais le conflit permit aussi à Fernand Jacopozzi de servir son pays d’une étrange façon.
La Première Guerre Mondiale change la donne
La Guerre de 14-18 se révèle être une nouvelle façon de faire la guerre, considérée comme le véritable début du XXème siècle. L’invention récente de l’aviation change la donne et oblige à inventer une nouvelle science guerrière : le camouflage. En effet, les avions, d’abord chargés de la reconnaissance, permettent de repérer les zones à pilonner par l’artillerie, obligeant les armées à recruter de nombreux artistes pour réfléchir sérieusement à des solutions pour se fondre dans le décor en journée, tandis que la lumière est bannie la nuit. La guerre étant un formidable accélérateur technologique, chaque pays développe son aviation lui permettant de disposer rapidement de véritables bombardiers. Si les premiers bombardements des villes se font en Zeppelin, l’apparition des Gotha G (fabriqués à partir de 1916 par la Gothaer Waggonfabrik) rend Paris vulnérable aux bombardements, notamment nocturnes.
Un plan pour leurrer les allemands
Rapidement, les français comprennent l’importance du camouflage lumineux des villes, imposant un couvre-feu. Le Sous-secrétaire d’Etat à l’Aéronautique et à la DCA imagine la création de leurres simulant Paris ou certains lieux sensibles pour tromper les bombardiers allemands. Des premières tentatives rudimentaires sont effectuées au nord de Paris en 1917 mais un plan de plus ambitieux est lancé. Fernand Jacopozzi, qui a vent du projet, fait en sorte de prendre la direction de l’opération, eu égard à son expérience de l’illumination. Il ne s’agit pas de créer de toute pièce une ville entière mais d’en suggérer la présence par des artifices relativement simples la nuit grâce à des jeux de lumières, d’ombres ou de vapeur (pour simuler des trains et suggérer la présence de lignes de chemin de fer et de gares à proximité), ainsi que des bâtiments factices grossièrement suggéré par des toiles tendues et des bâtis de bois sommaires.
Un faux Paris et de fausses zones industrielles lumineuses
Jacopozzi va donc se charger de la création de trois zones distinctes. La zone A2, située entre Villepinte au Sud, Tremblay lès Gonesse à l’Est, Louvres au Nord et Fontenay en Parisis au Nord-ouest (en gros la zone actuelle de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle), doit simuler la zone industrielle du Nord de Paris : Saint-Denis, Aubervilliers, Saint Ouen, et la Gare de l’Est (appelée Zone A1). La zone B2 est plus complexe : elle utilise une boucle de la Seine identique à celle de Paris à quelques détails près (dite zone B1) et doit représenter le double de la capitale dans son entier. Cette zone se trouve au nord de Maisons-Laffitte, à l’est de Conflans Sainte-Honorine et au sud de Saint-Ouen l’Aumône. Enfin, la zone C autour de Chelles, Noisiel ou Gournay, doit imiter une intense zone industrielle. Le projet subit un coup d’accélérateur : en mars 1918, les bombardements allemands font de nombreux morts, tout comme en octobre (200 au total). C’est la zone A2 qui reçoit la première toutes les attentions, avec la constructions de ce qui doit représenter la Gare de l’Est, ses quais, des entrepôts, le tout agrémenter de nombreuses lumières (jaunes ou rouges) et de jeux de vapeur. Mais l’armistice du 11 novembre signée à Rethondes met un terme à la guerre avant que le faux Paris ne voit le jour autrement qu’en quelques préparatifs.
Le Magic Gang et Fortitude.
Les opérations d’intox seront beaucoup plus nombreuses durant la Seconde Guerre mondiale, notamment du côté des alliés. Ainsi Jasper Maskelyne, illusionniste et fils de magiciens, fut-il chargé de former le Magic Gang, dont les 14 membres (ingénieurs ou artisans) étaient capables de simuler, à la façon de Jacopozzi, des villes ou des lieux par des jeux de lumières, comme à Alexandrie et autour du canal de Suez. Mieux, lors de la préparation de l’opération Overlord (le débarquement en Normandie), il s’occupe de la création d’armées factices prêtes à débarquer dans le Pas de Calais. Au programme : de nombreux chars ou avions gonflables ou de fausses barges de débarquement, afin de leurrer les avions de reconnaissance allemands !
Une idée lumineuse
Jacopozzi n’aura donc pas le temps de réaliser le double parfait de la Capitale, mais sera reconnu pour son implication dans la défense de la France. La paix enfin revenue, il reprend les activités des Établissements Jacopozzi avec la ferme intention de voir plus grand, à l’image de ce Paris factice qu’il n’aura pas réalisé en totalité. S’il reprend ses activités classiques de “publicitaire” pour les commerces, il s’attaque désormais à des ensembles plus grands comme le BHV. Surtout, il voit un lieu idéal pour la “réclame” comme on l’appelle à l’époque : la Tour Eiffel. Alors que se profile l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925, Jacopozzi veut frapper un grand coup avec une idée de génie : illuminer la plus célèbre tour du monde en comptant, vu les frais engagés sur les précieux deniers d’un mécène. Quoi de mieux que la puissante industrie automobile en devenir pour “sponsoriser” l’opération ?
Citroën emporte la Tour Eiffel
Fernand propose à Louis Renault qui refuse : il n’a pas l’habitude de dépenses publicitaires somptueuses contrairement à André Citroën qui refuse pourtant lui aussi. Notre homme qui ne manque pas de ressources s’adresse alors à Samuel Broolklin, le représentant d’Henry Ford en Europe. L’Américain croit qu’il s’agit d’acheter tout bonnement la Tour Eiffel et est prêt à convaincre son patron d’un coup publicitaire et financier incroyable. Informé, André Citroën contre-attaque et emporte l’affaire : son nom s’illuminera sur la tour. Pour Jacopozzi, commence alors une course contre la montre pour mettre en lumière la belle parisienne en deux mois seulement (250 000 ampoules tout de même) mais réussit son pari. André Citroën ne regrettera pas son investissement tant cette publicité inattendue fera le tour (c’est le cas de le dire) du monde.
Le Christo des Années Folles
Pour Fernand, c’est le début de la gloire (à la manière d’un Christo à la fin du siècle dans un autre genre). On lui confie alors l’illumination de nombreux bâtiments parisiens jusqu’alors plongés dans l’obscurité le soir venu : l’Arc de Triomphe, l’Opéra Garnier, la Place de la Concorde ou la Madeleine, gagnant son surnom de Magicien de la lumière. Il s’éteindra (pardon du jeu de mot) jeune à 54 ans, en 1932. Si son nom dans les Années Folles étaient très connu, il s’est perdu dans l’histoire tandis que l’opération Citroën, elle, resta dans les annales !
Pour aller plus loin :
Le site de la petite fille de Fernand Jacopozzi