Le Fouga Magister sera l’un des avions emblématiques des 30 glorieuses. Premier avion d’entraînement à réaction, il s’illustrera tant dans l’Armée de l’Air que dans la Marine ou dans la Patrouille de France durant des décennies. Succès à l’export, il se vendra à 929 exemplaires mais ne suffira pas à sauver les Établissements Fouga de la faillite. La vedette de Tanguy et Laverdure avant l’apparition du Mirage III, vendu dans plus de 21 pays, aura marqué de nombreuses générations d’amateurs d’aéronautique. 70 ans après sa mise en service, il convenait d’en narrer l’histoire.
La maintenance des débuts
Pour cette histoire d’aviation, tout commence pourtant par le train. C’est en effet en décembre 1919 que Gaston Fouga crée les Établissements Fouga et Cie afin d’offrir une maintenance indépendante à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi. Installée à Béziers, l’entreprise dispose de deux usines : l’une au nord du Canal du Midi, dédiée à la menuiserie (les structures des wagons sont encore faites en bois) et l’autre, au sud, dédiée à la chaudronnerie. Rajoutez à cela une autre usine, à Aire sur l’Adour dans les Landes, dédiée au débitage du bois. Avec les grèves de 1920 à la Compagnie du Midi, la maintenance et la réparation sont totalement externalisées chez Fouga qui prend une dimension nouvelle, avec près de 1 000 employés moins d’un an après sa création.
Création ferroviaire
De la maintenance à la création ferroviaire, il n’y a qu’un pas que les Établissements Fouga mettront 15 ans à franchir. Durant les années 20, Fouga va diversifier ses donneurs d’ordres en travaillant pour la plupart des compagnies ferroviaires françaises. Puis, elle va s’essayer à l’industrie en produisant des wagons citernes ou de marchandise. Au début des années 30, la filiale française de Dunlop, sise à Montluçon, décide de faire concurrence à Michelin en proposant à la Compagnie du Midi un Autorail en réponse à la fameuse Micheline : l’Autorail Dunlop-Fouga, produit au sein des Établissements Fouga et Cie.
Autorail Dunlop-Fouga : pour contrer Micheline !
Si Michelin est bien devenu le premier fabricant mondial de pneu en ce début des années 30, son concurrent Dunlop ne compte pas laisser le créneau du “train à pneu” qu’on appelle encore autorail. L’idée du constructeur dont l’usine se trouve à Montluçon est simple : allier l’avantage du pneu avec celui de la roue ferroviaire classique permettant de limiter le nombre d’essieux. La réalisation des prototypes est confiée aux Établissements Fouga de Béziers, qui réalisent un autorail de 17 mètres de long doté de 2 bogies de 4 essieux. Seuls les essieux centraux sont équipés de pneumatiques. L’Autorail Dunlop-Fouga est propulsé par un moteur Maybach 6 cylindres de 150 chevaux (remplacé par la suite par un CLM de même puissance). Le prototype sera testé sur la ligne Paris-Montluçon, avant d’être dédié à la desserte Châteauroux-Montluçon. Un seul exemplaire sera produit. Placé en dépôt pendant la guerre dans la capitale du Bourbonnais, il ne roulera plus jamais, mais devra attendre 1949 avant d’être officiellement retiré du service.
Diversification obligatoire
Le destin des Établissements Fouga va changer avec la création de la SNCF en 1936. Avec un seul client potentiel, l’entreprise se sait en danger et envisage une diversification qu’elle estime salutaire. Du côté de Béziers, on tente l’option agricole et militaire, avec la production d’un tracteur essentiellement dédié à la vigne entre 1937 et 1939, tandis que la société collabore avec Renault pour la construction de la chenillette UE et avec Lorraine-Dietrich pour la Lorraine 37L. Pourtant, c’est l’usine d’Aire sur l’Adour qui va prendre un nouveau tournant : celui de l’aéronautique. Dès 1935, Fouga s’allie avec les Avions Bernard mais le projet n’aboutit pas. En revanche, l’association avec les Avions Mauboussin sera plus fructueuse. Fouga récupère la licence de fabrication du Mauboussin M 123 Corsaire dans les Landes en 1936 : la structure de l’avion étant en bois, c’est tout à fait logique. Pierre Mauboussin conserve ses bureaux d’études à Paris mais prend part à la direction de Fouga Aviation aux côtés de Gaston Fouga. Il s’intéresse aux travaux de Robert Castello, ingénieur chez Dewoitine (c’est lui qui dessinera le fameux D520) et créateur de planeurs à ses heures perdues.
Des planeurs pour survivre
Fouga Aviation produira désormais les planeurs Castel puis, à partir de 1941 sous l’impulsion de Vichy qui veut dynamiser ce secteur, des planeurs CM (Castel et Mauboussin). A la mort de Gaston Fouga, Pierre Mauboussin prend la tête de la filiale aviation des Ets Fouga. Il faut relancer l’activité car les Corsaire sont désormais dépassés, et les planeurs ne suffisent plus à assurer l’activité nécessaire. Dans le même temps, la maison-mère commence à souffrir de difficultés financières notamment après le bombardement des usines nord et sud de Béziers. Dès 1945, la société, sous l’impulsion de l’Etat Major français, s’intéresse sans succès aux planeurs lourds qui ont fait la légende du débarquement en Normandie. Seuls 5 ou 6 exemplaires seront réalisés. Il faut trouver l’idée pour sortir de l’impasse.
Pierre Mauboussin en a une : doter l’un de ses planeurs d’un réacteur pour le libérer de sa contrainte de décollage tracté par avion et ainsi faciliter la formation initiale des futurs pilotes de chasse. S’associant dès 1948 à Turbomeca, qu’il convainc de développer un petit turboréacteur appelé Piméné, Mauboussin fait développer le Cyclone, qui deviendra plus tard le Sylphe pour des raisons de droits. Ces débuts dans le planeur à réaction (une première mondiale pour un avion aussi léger) donnent des idées au même moment au patron de la filiale Fouga Aviation : pourquoi ne pas développer un avion d’entraînement à réaction ?
Turboméca comme allié
Entre les équipes de Fouga et celles de Turboméca, tout va très vite. Dès 1949, un premier prototype dénommé CM 130 R, un biplace d’entraînement doté de deux turboréacteurs Piméné. L’État Major voit d’un très bon œil ce projet d’autant que le Dassault Ouragan, premier avion de chasse à réaction de l’Armée de l’Air, doit entrer en service en 1951. Il paraît évident qu’un avion à réaction léger doit permettre une meilleure transformation sur un avion à réaction lourd comme l’Ouragan. Pour cela, Fouga envisage plutôt un mono réacteur doté du turboréacteur Turboméca Marboré sous la dénomination CM 170 R.
Après validation du projet et commande de deux prototypes, les choses vont encore plus vite. Le premier vol a lieu en juillet 1952, suivi rapidement de ceux d’autres prototypes en 1953 malgré le crash du premier à la fin 52. A la mi 53, une première commande de 5 prototypes supplémentaires, mais aussi de 5 avions de présérie donnent de l’enthousiasme aux équipes d’Aire sur l’Adour. Car Fouga n’est pas la seule entreprise sur le coup : Morane-Saulnier prépare de son côté le MS 755 Fleuret. Cependant, à la fin de l’année, le couperet tombe et c’est Fouga qui l’emporte. Enfin, pas tout à fait : l’entreprise n’a pas la voilure pour une production aussi grande (100 exemplaires pour la première tranche). Aussi, si le contrat est bien sous la maîtrise d’œuvre de Fouga, plusieurs entreprises sont mises à contribution. Morane-Saulnier récupère quasiment 80 % de l’avion (voilure et fuselage), mais Latécoère fabrique la pointe avant tandis que l’usine d’Aire sur l’Adour produit les empennages, les ailerons, les volets, les pédales et le manche. Pour l’assemblage final, Fouga crée un site dédié à Toulouse-Blagnac.
Succès commercial mais faillite de la maison mère
Malgré les perspectives de développement de la filiale aviation, Fouga & Cie n’est pas pour autant sauvée. Depuis la fin de la guerre, l’entreprise s’est reconvertie dans la fabrication d’équipements pour l’industrie pétrolière mais aussi la production de pylônes de télécommunication, de citernes, ou d’équipements miniers. Cependant, l’entreprise subit des grèves fin 1953 qui épuisent sa trésorerie et l’oblige à lancer une augmentation de capital. Heureusement, en 1954, le Fouga Magister est sélectionné par l’OTAN comme avion d’entraînement standard. Dès lors, l’avion (le premier avion léger à réaction au monde) va connaître une carrière internationale : Flugzeug-Union le produira sous licence en Allemagne à partir de 1958, tout comme Valmet en Finlande (qui produira aussi de nombreuses Saab, mais aussi des Talbot Horizon ou des Porsche Boxter, entre autres), ou IAI (producteur du Kfir quelques années plus tard) en Israël.
Pour la France, la production commence en 1956 mais Fouga & Cie n’en profitera pas : entre les grèves, les problèmes de trésorerie et un détournement de fonds par deux salariés en 1955 (à hauteur de 13 millions de francs), l’entreprise fait faillite. Le département aviation, prometteur, est repris par un consortium formé de Dassault, Bréguet, la SNCASO, la SNCASE et Morane-Saulnier (à parts égales). La société devient alors Air Fouga mais très rapidement, Henry Potez qui veut se refaire un nom dans l’aviation rachète l’entreprise pour la renommer Potez-Air Fouga en 1958.
Fouga CM 175 Zéphyr
Dès 1953, la Marine Nationale qui se reconstitue une force aéronavale voit en le Magister une bonne base pour un avion d’instruction à l’appontage et passe commande en 1956 de 30 exemplaires. Modifié pour atterrir sur un porte avion, le Magister devient alors CM 175 Zéphyr. Il restera en service jusqu’en 1994 avant que les pilotes n’aillent s’instruire, désormais, aux Etats-Unis pour la formation initiale.
Icône française grâce à la Patrouille de France
Le Fouga Magister sera produit à 929 exemplaires jusqu’à la fin des années 60. Dès 1957, il devient aussi la monture de la Patrouille de France, ce qui aidera à le faire connaître du grand public. De même, il sera souvent représenté en bande dessinée, notamment dans Tanguy et Laverdure dont un album, L’école des Aigles”, le met en scène tout au long de l’histoire. Il sera remplacé à partir de 1979 par le Dassault-Bréguet-Dornier Alphajet tant en école qu’à la patrouille de France, mais restera comme un avion marquant pour des générations de pilotes français mais aussi étrangers !