Contrairement à l’Allemagne, la France n’a jamais été une grande nation du dirigeable militaire durant la 1ère Guerre Mondiale, préférant sans doute développer son aviation naissante. Pourtant, la Marine Nationale recevra 3 exemplaires Zeppelin parmi les dommages de guerre dont le plus célèbre, le LZ 114 Dixmude. Malheureusement, sa célébrité viendra moins de ses exploits que de sa fin tragique en 1923, au large de la Sicile.
Aux origines était le L72
Durant la 1ère Guerre Mondiale, l’Allemagne croit fermement aux possibilités des dirigeables fabriqués par Ferdinand von Zeppelin : les 88 exemplaires construits durant le conflit lâcheront 200 tonnes de bombes (soit 5 800 obus) pour un effet militaire pourtant relativement faible. D’ailleurs, la moitié des pertes de dirigeables allemands sont le fruit d’accidents plus que de la chasse ennemie (30 sur 60). Mais l’Allemagne persiste, croyant à l’effet psychologique des bombardements en dirigeable. Sans compter qu’ils immobilisent une partie de la chasse française inutilement, ainsi que 10 000 hommes de la défense anti-aérienne. En 1918, Zeppelin lance la production de sa toute dernière version de dirigeable, la Classe X. Le premier exemplaire (LZ 112) est prêt en juillet 1918. Il tentera un raid de bombardement sur Londres le 6 août et sera détruit par la Royal Air Force au-dessus de la Mer du Nord. Lors de l’Armistice, le LZ 113 est opérationnel, mais n’a encore effectué aucune mission, tandis que le LZ 114 est en fabrication.
Dommages de guerre
La fin de la guerre signe la fin des dirigeables dans l’armée allemande. L’Angleterre reçoit alors le LZ 113 (dont les nacelles serviront au dirigeable britannique R36) tandis que la France reçoit le LZ 114 ainsi que le L 121 (destinée au transport de passagers) alors tous les deux en construction. Le LZ 114 sera livré le 9 juillet 1920 à la Marine Nationale : il prend alors le nom de Dixmude, en hommage à la défense héroïque de la ville belge de Dixmude par des fusiliers marins français en 1914. Le LZ 121 quant à lui prendra le nom de Méditerranée et ne sera livré que le 8 juin 1921. Il servira essentiellement comme dirigeable d’instruction et d’exercice jusqu’en 1926.
Bataille de Dixmude
A la déclaration de guerre en août 1914, on décide d’utiliser les fusiliers marins jusqu’alors affectés à la surveillance des ports et à la sécurité des navires comme une unité terrestre appelée Brigade de fusiliers marins et commandée par le contre-amiral Pierre Ronar’ch. Parmi ces 6 000 fusiliers répartis en deux régiments, on trouve notamment des jeunes en formation (environ 700) mais aussi de nombreux réservistes et même des pêcheurs et des marins au long cours , faisant d’eux une troupe relativement inexpérimentée. Envoyés en Belgique, les marins se voient confier la défense de la ville de Dixmude afin de protéger la retraite de l’armée belge et le port de Dunkerque. Le 24 octobre au soir, les allemands attaquent la ville défendue par les fusiliers et quelques renforts tirailleurs sénégalais. Ensemble, ils résistent jusqu’au 10 novembre, dans des combats parfois au corps à corps, avant de se replier derrière l’Yser, déplorant près de 3 000 morts mais stoppant ainsi l’offensive allemande. La défense héroïque de Dixmude aura un énorme retentissement dans la population française, admirant le sacrifice de ces marins devenus terriens.
Découvrez la bataille de Dixmude avec l’excellent Petit Théâtre des opérations du non moins excellent Odieux Connard
Nouvelle carrière dans l’Aéronavale française
La carrière du Dixmude et de ses 40 membres d’équipage commence d’abord par un tour de France sous les ordres du lieutenant de vaisseau Jean du Plessis de Grenédan. Il s’agit à l’époque du plus grand dirigeable du monde, long de 126 mètres et mu par six moteurs 6 cylindres Maybach de 235 chevaux chacun. Le Dixmude survole les Champs Elysées avant de se rendre à la base aéronavale de Cuers-Pierrefeu, près de Toulon. Une fois là-bas, il faut bien l’avouer : la Marine ne sait pas trop quoi en faire, d’autant qu’elle ne dispose pas d’abri adapté à l’engin. Il est donc dégonflé et remisé pendant près d’un an. Le lieutenant de vaisseau du Plessis n’abandonne pas l’idée d’exploiter le LZ 114. On tente donc de le regonfler en 1921 mais on s’aperçoit alors que les sacs contenant l’hydrogène (hautement inflammable) sont poreux. Il faudra deux ans pour les remplacer par des ballonnets de fabrication française (plutôt que de se fournir chez Zeppelin, par fierté nationale sans doute).
Essais et exploits
Le Dixmude a trouvé sa vocation : réaliser des vols d’essais et d’expérimentation et notamment un survol du Sahara jusqu’à Dakar. Le premier vol a lieu le 2 août 1923 en direction de la Corse puis, entre le 30 août et le 2 septembre, il réalise un survol d’Alger, de Tunis et de Bizerte avant de rentrer à sa base (2 800 km). Le 25 septembre, un nouveau vol d’essai conduit le Dixmude vers Alger, puis Bizerte et Sfax avant de revenir vers Cuers. Face à des conditions idéales, du Plessis décide de poursuivre vers Bordeaux, puis Paris et même Nice, pour enfin revenir à sa base le 28 septembre après 7 100 km parcourus. L’enthousiasme est de mise parmi les hommes d’équipage. Les 17 et 18 octobre, ils emmènent leur dirigeable pour une mission “publicitaire” au-dessus des villes de France, Rennes, Nantes, Bordeaux, Lyon ou Toulouse, afin que chaque Français puisse admirer le Dixmude dont on finit par oublier les origines allemandes.
Porte-avion Dixmude
Malgré l’accident du LZ 114, la Marine Nationale n’hésitera pas à nommer à nouveau un de ces bâtiments du nom de Dixmude. A la fin de la 2ème Guerre Mondiale, la France cherche à retrouver son rang et estime qu’il lui faut, pour cela, disposer de portes-avions. Elle finira par obtenir que l’Angleterre lui cède un HMS Biter en piteux état. Remis en état, il rentre en service le 9 avril 1946 sous le nom de A609 Dixmude, équipé de Douglas SBD Dauntless des flottilles 3F et 4F. Il part rapidement (en 1947) pour l’Indochine puis retourne à Toulon en 1948, terminant sa carrière en transportant des avions au profit de l’Arromanches, un porte-avion américain bien plus moderne et loué à la France. Il est réformé en 1949
PHA Dixmude
En 2012, c’est au tour du Porte-Hélicoptère Amphibie (PHA) Dixmude L9015 d’entrer en service. Il est le troisième et dernier exemplaire de ce qu’on appelle encore des BPC Classe Mistral (Bâtiment de Projection et de Commandement) aux côtés du Mistral et du Tonnerre. Il remplace le TCD Foudre (Transport de chalands de débarquement). Deux autres exemplaires devaient être livrés à la Russie mais la commande sera annulée après l’annexion de la Crimée, en Ukraine, et les deux bâtiments, déjà construits, seront finalement vendus à l’Egypte. Le Dixmude peut embarquer entre 400 et 600 soldats, jusqu’à 60 blindés (ou 13 Leclerc), 16 hélicoptères (NH90 Caïman, Caracal, voire Tigre) et 4 embarcations rapides.
Mission fatale
Le 18 décembre, nouvelle mission pour le Dixmude : aller au fin fond du Sahara, à l’oasis de In Salah puis revenir à bon port. L’équipage est accompagné d’une dizaine de passagers, pour la plupart militaires en observation, portant les effectifs à 52 hommes. L’objectif est atteint le 19 décembre à 16 heures et le voyage du retour commence. Malheureusement, un vent de face empêche le Dixmude de rejoindre Alger où il devait faire escale. Du Plessis prend alors la direction de la Tunisie qu’il survole le 20 décembre au soir. Il commence alors la traversée vers la Sicile lorsqu’il envoie un premier message radio le 21 décembre à 1h21, signalant un fort orage, puis un second à 2h08 annonçant la rentrée de l’antenne radio à cause dudit orage. Puis, plus rien. Au large de la Sicile, des témoins affirment avoir vu des lueurs rouges dans le ciel. Un témoignage encore plus précis décrit un éclair frappant un nuage puis la chute de 4 objets enflammés.
Au matin, divers débris sont découverts sur les côtes siciliennes, portant les inscriptions L72 (le nom allemand) et LZ 114 (le nom de code officiel). La Marine préfère taire la catastrophe probable, et n’avouera la disparition du Dixmude que 6 jours plus tard, lorsque le corps du lieutenant de vaisseau du Plessis sera retrouvé par des pêcheurs. Au total, 52 hommes périrent ce 21 décembre 1923, faisant de l’accident du Dixmude le plus meurtrier sur ce type d’engin : il faudra attendre l’accident de l’USS Akron en 1933 (73 morts) pour que ce triste record ne soit battu. Un monument aux héros du Dixmude sera érigé à Cuers en 1927.