On regrette tous, aujourd’hui, que la France n’ait pas conservé ses vénérables marques de luxe. Les années 50 sont une hécatombe pour les Delahaye, Bugatti, Hotchkiss, Talbot-Lago, Rosengart ou Salmson, sans moyens pour développer des modèles techniquement à la pointe et laissées pour compte par un Plan Pons privilégiant l’automobile populaire et de grande série. Pourtant, un homme tente de sauver l’honneur en lançant à contre courant sa marque de prestige. C’est ainsi qu’en 1954 naît Facel Vega sous l’impulsion de Jean Daninos. Si l’histoire de l’entreprise tourne court dix ans plus tard, celle de l’homme reste passionnante et riche en événements.
On l’oublie souvent, mais ce sont les hommes qui font les aventures automobiles, et non la technique en elle-même. Dans le cas de Jean Daninos, jeune homme de bonne famille habitué au triangle d’or Auteuil-Neuilly-Passy, c’est bien son envie de faire qui l’amènera à créer Facel Vega, comme une suite logique à tout son apprentissage. Né en 1906 et issu de la bonne bourgeoisie parisienne, Jean ira, comme son frère, à Janson de Sailly. L’histoire ne dit rien de cette période, mais si Pierre va jusqu’à la terminale dans le fameux lycée de la rue de la Pompe, Jean, lui, part à Buffon, lycée public plus populaire situé dans le 15ème arrondissement. Un coup de ligne 6 suffit du Trocadéro à Pasteur. Jean Daninos n’a pas la fulgurance littéraire de son frère cadet, Pierre. C’est un technicien quand l’autre est littéraire. C’est aussi un sportif, aimant le squash, le ski, mais surtout le patinage (oui !) allant jusqu’à la sélection aux Jeux Olympiques (en 1928).
La science, l’acier et la bagnole
Chacun son intelligence, et Jean choisit avec bonheur la voie scientifique : ce sera les Arts et Métiers (un gadzart quoi). Certes ce n’est pas l’X, mais ce n’est pas rien. La technique, ça lui plaît bien, et à peine sorti de ses études, en 1928, il entre dans la start-up de l’époque : Citroën. Les chevrons, à ce moment là, c’est un peu Tesla : à coup d’entourloupes techniques (rien n’est révolutionnaire, tout est dans le courage de le faire à grande échelle), financières ou organisationnelles, Monsieur André a fait de sa jeune marque, née en 1919 sur les cendres des Automobiles Mors, une machine à gagner des parts de marché. Marketing, oui, mais innovation technique aussi. Jean est embauché pour travailler sur un sujet précis : le “tout acier”. C’est la grande révolution automobile (qui marquera les 30 années suivantes) : abandonner, d’abord, les pièces de bois dans l’automobile pour passer ensuite à l’innovation majeure de la coque autoporteuse, loin des châssis séparés alors en vigueur.
En haut, la fameuse C6, en bas, la Rosalie 15 Roadster
Jean Daninos va passer de stagiaire à responsable des carrosseries spéciales chez Citroën : une preuve de son talent, André Citroën n’aurait jamais laissé un “blanc bec” monter dans la hiérarchie sans raison. Des Citroën tout acier, Jean gardera le goût de la carrosserie, des alliages, des métaux, et ce n’est pas anodin pour la suite de l’aventure. Au début des années 30, Jean commence à se passionner pour l’objet automobile. Par son travail, certes, mais aussi par goût personnel. En 1932, il fait réaliser un roadster sur base de limousine C6 au châssis rallongé de 20 cm (oui oui !) et doté d’un double carburateur Zénith : 130 compteur, tel est le résultat. L’année suivante, il fait plus fort en s’attaquant à la Rosalie 15 qu’il transforme en Speedster grâce au carrossier Figoni. La recette est la même que pour la C6 : 20 cm de plus, un capot étiré comme jamais, et seulement deux places. Les deux voitures sont issues de ses propres dessins et solutions techniques et toutes deux ont un air d’américaine avant l’heure. L’homme n’est pas juste là pour encaisser un salaire.
Chez Citroën, il apprend donc l’acier, le métal, l’aluminium, tout ce qui lui servira dans sa deuxième partie de carrière, avec Facel-Metallon. Mais nous n’en sommes pas là : son amour de la carrosserie lui permet d’atteindre un excellent poste au sein de Citroën : responsables des carrosseries spéciales : alors que la Traction est en développement, il est chargé d’en dériver les roadsters et faux coupés avec, il faut le dire, un certain brio (avec qui ?). Si Daninos n’est pas Bertoni, il a su en tirer le meilleur du point de vue industriel. Les coupés et cabriolets sur base Traction ne seront produits qu’avant-guerre, mais ils conservent un charme fou (comme à l’époque).
De l’automobile à l’aéronautique
Toutes les bonnes choses ont une fin. La faillite de Citroën fin 1934 donne des envies de liberté à notre Daninos national. Alors que son frère Pierre fait le bonheur du Figaro, le bon Jean décide de s’orienter vers un autre métier d’avenir, alors que le réarmement se profile. Il rebondit au bureau d’études du constructeur aéronautique Morane-Saulnier. N’allez pas croire que c’est un pis-aller : Daninos s’intéresse à l’acier, aux alliages et à l’aluminium et ces questions sont cruciales en aéronautique. Il va se voir confier la réalisation des ailes en acier inoxydables du MS-405 (sous la direction de Paul-René Gauthier), produit en très petite série et qui donnera naissance au chasseur MS-406 : il deviendra l’ossature de l’Armée de l’Air au début de la guerre avec le plus récent Dewoitine D520.
Daninos ne reste que deux ans chez Morane-Saulnier. Il rebondit en 1937 chez Bronzavia qui n’est alors qu’un sous-traitant pour l’aéronautique. Un peu comme s’il avait quitté Tesla (Citroën) pour Valeo (Bronzavia). Les gens du métiers auraient pu s’en étonner mais la logique est là : Daninos apprend, et reste jeune (il a alors 31 ans). Comprendre comment fonctionne la sous-traitance est une force. Bronzavia, à l’époque, produit un peu tout et n’importe quoi : des moteurs d’avions dans son usines de Vénissieux, des instruments de bord, des carburateurs et des échappements à Courbevoie, des émetteurs radio à Asnières, et de l’électroménager à Blois. Dans ce fatras d’activité, Jean Daninos se concentre sur la partie purement aéronautique et en particulier la chaudronnerie. Une activité qui s’envole avec le réarmement initié en 1936 par le Front Populaire et qui devient exponentielle à l’approche de la guerre et des besoins urgents en avions en tous genres. Ainsi, face aux demandes toujours plus grandes, Bronzavia crée-t-elle une nouvelle filiale en 1939 : les Forges et Ateliers de Construction d’Eure et Loire (acronyme : FACEL). Daninos n’a à l’époque rien à voir avec cette nouvelle filiale dirigée par un ancien Général d’Armée aérienne et un centralien pur jus. Le but de Facel : travailler les métaux.
Le château de Montebello
En 1940, Jean Daninos n’a pas particulièrement fait fortune, mais sa trajectoire professionnelle lui permet d’envisager des investissements. Il rachète ainsi, sans doute avec sa famille, le château de Montebello, situé à Jouy en Josas : une agréable propriété proche de Paris. A la tête de la SCI propriétaire du domaine, il crée des lotissements sur une partie du domaine. Plus tard, le château sera le décor des publicités des modèles sortis de chez Facel-Metallon puis Facel Vega. Daninos et sa famille revendra le domaine en 1972. Il est aujourd’hui propriété de la ville. L’Amicale Facel Vega s’y rend parfois pour pour célébrer la marque.
Les difficiles années de la guerre
Daninos, lui, reste attaché à Bronzavia et s’envole pour les USA en 1941.Sa résistance à lui sera industrielle : parti avec l’ensemble des brevets Bronzavia, il les met alors à disposition des USA en montant, là-bas, la General Aircraft Equipment Inc qui produira, dès lors, tout l’accastillage nécessaire aux avions de l’US Air Force. Cette expérience américaine n’est pas à négliger : c’est sans doute là qu’il entrevoit la future Facel Vega. De la démesure, un gros moteur, le tout avec une ligne moderne et séduisante. C’est aussi là-bas qu’il comprend l’importance que prendra l’industrie automobile et de ses besoins en sous-traitants pour les versions plus confidentielles, inadaptées à la chaîne. C’est enfin là-bas qu’il noue des contacts avec des industriels comme Ford ou Chrysler.
Pendant ce temps-là, FACEL vivote : les usines Bronzavia (à Courbevoie) sont réquisitionnées, tandis que celles de la toute jeune filiale (Dreux et Colombes) doivent trouver une activité pérenne. Ce sera évidemment le gazogène sous la marque Facel. Et rapidement, l’entreprise devient leader sur ce marché. En 1944, la France est libérée et Jean Daninos revient pour prendre la direction de FACEL, désormais détachée de Bronzavia. La situation n’est pas facile : quelle direction prendre alors que la sous-traitance aéronautique n’est plus là (la fin de la guerre diminue de façon drastique le besoin en avions) et que la seule vraie expertise de la boîte, c’est le travail des métaux et de l’acier en particulier ?
Facel s’offre Metallon et s’impose en carrosserie
La première bonne idée de Daninos, c’est de se rapprocher d’une société nommée Metallon. Cette dernière, créée dans les années 30, est spécialisée dans l’importation de métaux en provenance de Suède. C’est sans doute difficile à comprendre aujourd’hui, dans nos sociétés ouvertes, mais à l’époque, l’approvisionnement en acier ou en aluminium est primordial pour survivre, alors que le Plan Pons régimente et organise les besoins en métaux. En rachetant Metallon pour devenir Facel-Metallon, Daninos sécurise ses approvisionnements et devient un interlocuteur privilégié pour de nombreux constructeurs : avoir de l’acier, de l’aluminium, en connaître les circuits et les producteurs semble une évidence aujourd’hui : Daninos, lui, l’a compris en 1945, bien avant tout le monde.
L’objectif de Jean désormais, c’est de faire tourner l’usine. Il a pour lui deux usines, l’une à Dreux, l’autre à Courbevoie (il en récupérera une autre de Bronzavia, à Blois), une capacité à se fournir en métaux, une compréhension du monde de l’industrie en général et de l’automobile en particulier (celle qui démarre en flèche après-guerre), et beaucoup d’idées. Tout va se jouer en trois années. Rapidement, il s’avère l’interlocuteur indispensable pour produire la Panhard Dyna X issue du projet de l’ingénieur Grégoire et de l’Aluminium Français. La carrosserie toute alu nécessite un sous-traitant compétent, et Facel-Metallon est tout indiqué. Le contrat est signé en 1947 et c’est le premier fait d’arme après guerre de Daninos.
Panhard, Simca, Ford, Piaggio et… Bentley
N’allez pas croire que tout est rose : Facel-Metallon fait alors feu de tout bois, produisant tout ce qui peut être fait en métal ou aluminium. Au tout début, la société n’hésite pas à produire du mobilier métallique. Reprenant à son compte, pour l’automobile, la politique de Bronzavia, Daninos fabrique aussi des enjoliveurs, des pare-chocs et des calandres pour Renault, Ford ou Simca. Pour Massey Ferguson ce sont des capots moteur, des auvents et des carrosseries. Un peu plus tard, Motobécane lui confiera la confection de ses coques avant que…
L’année 1948 est cruciale pour Facel-Metallon, et Jean Daninos. La production des carrosseries de la Dyna X impressionne et amène un nouveau contrat : Simca. Facel-Metallon devra désormais produire les carrosseries des Simca 8 Sport. Un contrat de très longue durée puisque la 8 Sport laisse sa place en 1952 à la 9 Sport, au coupé De Ville et au cabriolet Week-end en 1954, et aux Plein Ciel et Océane en 1956. Désormais, Facel-Metallon est un indispensable de la petite ou moyenne série, mais cela ne suffit pas à Jean Daninos.
Il aime les belles bagnoles, et voit en cette fin des années 40 les marques traditionnelles françaises lutter pour revenir dans un monde qui ne veut plus d’elles. Son statut de carrossier (enfin, d’industriel de la carrosserie) lui donne des idées. Proposer quelque chose d’intéressant pour les grands de ce monde, et qui prouverait par la même occasion le savoir-faire de son entreprise. L’homme a de l’entregent et convainc Bentley de le laisser produire un dérivé de Mark VI à sa sauce. Il convainc aussi les frères Farina, de dessiner une carrosserie sympathique. Tout le monde joue le jeu et la Bentley Cresta est présentée au Salon de Paris 1948. Sans dire que cette Cresta est une beauté, elle détonne dans le paysage automobile de l’époque, et rencontre un certain succès d’estime. Mais vu le prix, seuls 16 exemplaires seront vendus entre 1949 et 1950. Peu importe, l’entreprise montrait alors sa capacité à faire autre chose que de la carrosserie pure et dure et en grande série.
Dans un après-guerre compliqué, Facel-Metallon tire son épingle du jeu, entre sous-traitance rentable et modèles de prestige. Rappelez-vous qu’à l’époque, les seules nouveautés sont la Citroën 2CV, la Renault 4CV ou la Peugeot 203. Les marques de prestige tentent du mieux qu’elles peuvent de survivre, Delahaye en tête pour laquelle travaille Facel-Metallon. Dans la tête de Jean Daninos, il semble que les choses soient claires : une place est à prendre. Pourtant, l’homme n’est pas un aventurier. En 1950, il récupère un nouveau contrat avec la filiale française de Piaggio. Facel-Metallon produira plus de 220 000 coques de scooter pour le compte de l’entreprise italienne en France. Dans la foulée de ce contrat, Facel produira les coques de la petite Vespa 400 construite en France par ACMA.
La tentation d’une berline de luxe à la française
En 1951, les choses bougent chez Facel-Metallon. Outre les contrats en cours (notamment avec Panhard), Daninos n’hésite pas à prendre son bâton de pèlerin pour faire tourner ses usines. C’est avec Ford SAF que l’homme va traiter. François Lehideux, le patron de la boutique américaine de Poissy, a des envies d’indépendance vis à vis de Dearborn, et confie à Daninos le soin de dériver de la berline Vedette au V8 pourtant anémique un coupé dans le style déjà entrevu avec la Cresta. Daninos fait appel à Pinin Farina et pose les bases du style de sa future marque. A partir de 1951, la Comète sort des chaînes de Facel-Metallon et amène un peu de glamour dans la gamme Vedette. Cette même année, Daninos décide d’aller plus loin dans le haut de gamme en proposant une version “allégée” et fluide de la Cresta, tout bonnement appelée Cresta II.
Avec la Cresta II, point de dérivé en série comme pour la Cresta : la voiture servira surtout à Jean et à Madame Daninos. Mais elle est le point de départ de l’idée Facel Vega. Il faut pour cela faire un petit retour en arrière. En 1950, alors que le contrat avec Ford se précise, Jean demande à son frère Pierre, devenu écrivain en plus de ses activités journalistique, de réfléchir à des noms de bagnoles. Deux surgissent : Comète et Vega. Le premier nom servira à Ford, le deuxième à la marque de Jean. Mais revenons à la Cresta II. Son style préfigure ce que voudra Jean pour sa marque. Car il en est persuadé : si les autres marques de prestige sont en train de mourir, c’est par manque d’innovation. Lui dispose de l’outil industriel, du cash flow grâce à son activité de sous-traitance, et d’une certaine renommée grâce à la Cresta, la Cresta II et aussi (surtout ?) la Comète qui s’avère très réussie (stylistiquement du moins).
La dernière Delahaye
En 1949, le carrossier Faget et Varnet décide de produire un modèle incroyable qui pourrait, qui sait, faire revenir la clientèle vers Delahaye, qui produit encore des châssis séparés. La base est donc celle d’une 135 MS mais la petite carrosserie, en fin de course, fait appel à Facel Vega pour habiller la belle. Daninos contacte de son côté Farina (qui n’est pas encore Pinin). La ligne de ce coupé Delahaye unique s’inspire de la Comète produite chez Facel-Metallon mais va un peu plus loin, puisqu’on peut déjà distinguer les traits des futures Facel. Elle devait être présentée au Salon de Paris 1953 mais finalement, Faget la garde pour lui, puis en fait don à Philippe Charbonneaux.
L’idée semble de plus en plus claire chez Jean Daninos : il y a de la place pour une automobile de grand luxe, performante et sportive, en France, certes, mais aussi et surtout dans le monde. En 1954, notre homme saute le pas et présente la FV (pour Facel Vega, vous l’aurez compris). La marque se débarrasse de Metallon pour plus de prestige, et le style très américain mais sans en faire trop est juste ce qu’il faut pour séduire une haute bourgeoisie et des happy few. Reste la question du moteur. En France, rien n’est disponible et il faut se résoudre à frapper à la porte des Américains. Chez Chrysler, que Daninos avait fréquenté pendant la guerre, c’est un grand oui. Les V8 iront donc sans problème sous le capot des futures Facel Vega (et le pauvre V8 ex-Ford SAF ne pouvait pas faire le poids, évidemment).
La FV fait fureur
Au salon de Paris 1954, la FV fait fureur. La DS n’est pas encore là pour lui voler la vedette, et son V8 DeSoto de 4,5 litres et 180 chevaux achèvent de convaincre un public pourtant désargenté. La voiture ne sortira en série qu’en 1955 et se réservera à une clientèle huppée et rare dans ces années-là en France. L’essentiel des FV, FV1, FV2, FV3 puis FV4 “Typhoon” sera exporté, ce qui explique la mansuétude du gouvernement de l’époque sur l’origine américaine du moteur : “tant que cela rapporte des devises, hein”. En attendant, l’Etat se satisfait volontiers de la production de Facel malgré son bloc très “youhess”.
Pierre Daninos et le Major Thompson
Des deux frères, difficile de dire qui est le plus célèbre : pour les aficionados de bagnoles, c’est évidemment Jean. Pour les littéraires, ce sera Pierre. Né en 1913, Pierre est un petit génie, au point d’entrer au Figaro en 1932, sans même avoir 20 ans. Ce n’est qu’après guerre que Pierre devient un auteur, publiant de nombreux livres à succès. C’est à lui qu’on doit le nom de Ford Comète ou Facel Vega. Le plus étonnant c’est que Pierre sort de l’ombre avec les étonnants Carnets du Major Thompson sortis en 1954, tandis que son frère Jean présentait la FV ! Avec 1 million d’exemplaires pour les premiers tirages, autant dire que ce livre fera mieux que Les Carnets du Bon Dieu, pourtant Prix Interallié 1947
De la FV à la HK 500 et l’Excellence
Au moment de la production des FV, les usines de Blois, Dreux ou Colombes tournent à plein : la sous-traitance est là. En 1956, Facel Vega, devenue marque, présente l’Excellence, une superbe berline à portes antagonistes. La France rivalise avec Rolls-Royce et ce n’est pas pour déplaire… Sauf aux grincheux de l’administration (ou d’ailleurs) qui continuent à voir dans le V8 Chrysler le mal absolu. Pourtant, avec un taux d’exportation proche de 75 %, Facel Vega rapporte les précieuses devises.
Peu importe, la marque s’impose petit à petit… Les FV3 puis FV4 prennent leur retraite en 1958 et laissent place à une HK500 au summum. La même année sort l’Excellence qui étire la gamme à la berline. l’entreprise semble bien installée. Pourtant les choses sont plus compliquées dès cette époque là : la Vespa 400 s’arrête sans avoir rencontrer le succès, tandis que la Ford Comète et la Simca 9 ont été remplacées par les Plein CIel et Océane : des demis-succès surtout que le VLR de Delahaye a quitté les chaînes dès 1954, cédant la place à la MB201 produite par Hotchkiss dans l’usine d’Ivry Port (Ivry sur Seine aujourd’hui). ACMA et Vespa ont cessé l’activité en 1958.
On l’a compris, l’activité baisse et c’est un peu la fuite en avant qui s’installe à Colombes. Reste le contrat Simca mais pour combien de temps ? Pour Jean Daninos, ne reste plus que Facel Vega comme vecteur d’avenir. Et c’est ainsi qu’il décide, dès 1959, de renouveler la gamme : la Facel II pour remplacer la HK 500, l’EX2 pour remplacer l’Excellence, et surtout une petite Facel, dénommée Facellia. Une idée fixe : transposer le style Facel sur une voiture plus réduite, dotée d’un 4 cylindres. Si les V8 américains étaient tolérés pour des grands coupés ou berlines, il était hors de question pour le gouvernement de l’époque de laisser un constructeur français piocher ailleurs qu’en France pour un moteur. Le Poujadisme avait laissé des traces.
Le problème « Facellia »
Jean Daninos se trouve face à un dilemme ! Aucun moteur français ne correspond aux caractéristiques requises : en ces années-là, on ne trouve que le 2.1 litres de la Renault Frégate (culminant à 77 ch) ou le 2 litres de la DS de 70 chevaux : pas terrible il faut l’avouer. Pour sa petite Facel, il faut au moins 100 chevaux pour oser attaquer la clientèle internationale ! Parmi les fournisseurs, mais aussi actionnaires de Facel, se trouve Pont à Mousson. Elle fournit les boîtes de vitesse et développe depuis 1951 un moteur 6 cylindres resté sans suite… Jusqu’alors ! Sur la base de ce L6, Pont à Mousson va développer un 4 pattes en deux temps trois mouvements, pour 1.6 litres et 115 chevaux. Sur le papier, c’est bien mieux que les autres moteurs français. Dans la réalité, ce bloc sera une tannée. Manquant de développement, et in fine peu fiable, ce moteur franco-français creusera la tombe de Facel Vega.
Pour ce “petit modèle” qu’était la Facellia, le niveau de luxe, de performance et de fiabilité devait être le même qu’une HK 500 ou une Facel II sortie un an plus tard. Or, Dès la première année de production (1960), le constat était sans appel : les moteurs cassaient. Pour bien faire, il aurait fallu prévenir qu’au moins 5 000 km de rodage étaient nécessaires. Mais la direction n’hésite pas une seconde : échange standard. Pour palier aux problèmes du moteur, Facel convoque Le Moteur Moderne pour rectifier le tir : peine perdue. Si le moteur est fiabilisé, l’image est écornée, de façon dramatique.
La chute inexorable
Une société solide aurait pu s’en sortir. Or Facel n’est plus une société solide : ACMA a rompu son contrat en 1958, tandis que Simca fait de même en 1961, tandis que la petite sous-traitance a été un peu délaissée : il ne reste plus que la production de voitures de prestige, et la Facellia plombe l’affaire. Certains disent que l’État Français a délaissé Facel ? C’est faux. Le coût du service après-vente du moteur Pont à Mousson aura plombé les comptes, sans qu’aucun revenu extérieur (sous-traitance) ne vienne combler le déficit abyssal. Il aurait fallu stopper les frais le plus vite possible, mais la peur d’une mauvaise réputation sera la plus forte : Facel Vega doit remplacer les moteurs, quitte à perdre beaucoup d’argent.
En réalité, 1960, fut l’annus horribilis de Jean Daninos. D’une part, Michel Gallimard et Albert Camus se tuent en Facel Vega. Daninos n’y est pour rien mais cela nuit à l’image de la marque. D’autre part, la situation financière oblige notre héros à s’adresser à l’Etat. En juin, 200 millions sont versés en subvention. Un an plus tard, ce sont 86 millions qui sont injectés dans les comptes de Facel mais cela ne suffit pas. En août 1961, c’est 1 milliard qui arrive dans les caisses, mais le choses changent : le gouvernement impose de nouveaux actionnaires : Pont à Mousson (pourtant responsable de la débâcle Facellia), Hispano Suiza (qui ne s’occupe plus d’automobile depuis l’avant-guerre, mais d’aéronautique) et Mobil Oil. Le nouveau PDG, Jean Belin, vient justement de Mobil, tandis que Jean Daninos rétrograde au poste de DG. En cette année 1961, ce dernier tente le tout pour le tout et approche Ford, qui, un temps tenté, jette l’éponge.
La mort d’Albert Camus
Le 4 janvier 1960, Albert Camus, qui devait pourtant prendre le train pour rentrer à Paris, meurt dans un accident de voiture. La Facel Vega FV3B de son ami Michel Gallimard, fils de l’éditeur, s’écrase contre les platanes de la Nationale 5. Les deux hommes meurent, l’un sur le coup (Camus), l’autre 6 jours plus tard (Gallimard). Mme Gallimard et sa fille s’en sortent miraculeusement. Tout a été dit sur cet accident : vitesse excessive, route humide, attentat du KGB (cette théorie persiste encore aujourd’hui). Une certitude : cela n’arrange pas les affaires de Facel Vega dont la petite Facellia peine à trouver son public.
De Pont à Mousson à Volvo
Comment sortir de l’ornière. La Facel II a redoré le blason en modernisant l’HK 500 mais il faut faire mieux avec la Facellia. Certes elle a évolué et est devenue fiable, mais il est compliqué de le faire savoir. Et puis sans moyen, comment faire ? En 1961, Simca résilie son contrat et fait dessiner puis fabriquer les coques des Coupés 1000 (et 1200S) chez Bertone à Turin. Sans revenu annexe, la petite firme de Colombes ne peut pas vraiment lutter et doit déposer son bilan en juillet 1962. Cela ne veut pas dire la fin de Facel Vega. A Colombes, à Dreux ou à Amboise, on y croit encore. L’idée est simple : couper court aux quolibets en changeant de moteur. Le gouvernement, plus souple, autorise d’aller piocher chez Volvo un bloc solide. En 1963, la Facel III remplace les diverses variantes fiabilisées ou non de la Facellia avec 108 chevaux (SAE, faut pas déconner, pour tout comprendre sur les puissances, lire cet article de chez Hoonited).
La fin de l’aventure
Cette opération ne suffit pourtant pas à redresser les comptes. La fin du redressement judiciaire arrive, et Daninos perd totalement le contrôle de la boîte (mais bon, c’était déjà un peu le cas avant). Les actionnaires tirés du chapeau par l’État se mettent en retrait, et laissent la SFERMA, une filiale de Sud Aviation (société d’État) prendre la location gérance en juin 1963. Paul Badré, son directeur, est un fan d’automobile, et prend son rôle à cœur. Il s’agit de sauver Facel avec deux idées simples : consolider la Facel III devenue fiable avec son moteur Volvo, accompagner la Facel II qui perpétue la tradition FV puis HK, et continuer à produire l’Excellence dans sa deuxième version EX2. Mais il s’agit aussi d’aller plus loin : la nouvelle direction décide de lancer une Facel 6 dérivée de la Facel III mais dotée d’un 6 cylindres BMC, histoire de combler le trou entre les modèles à 4 et à 8 cylindres.
Le Gouvernement aurait tué Facel Vega ?
Non… Certes, le Général de Gaulle n’appriéciait pas particulièrement les Facel, mais il faut savoir raison garder : la petite firme de Colombes n’a pas eu besoin du gouvernement pour sombrer. La volonté d’aller vers un segment inférieur (et vers des 4 cylindres) était celle de Facel et de Daninos. Aucun constructeur français ne pouvait fournir un moteur correct et il fallait chercher à l’étranger (ce que le gouvernement refusa, mais avant De Gaulle) ou faire confiance à Pont à Mousson. L’Etat donnera beaucoup d’argent avant de jeter l’éponge. Enfin, Sud Aviation devait se réorganiser pour attaquer le futur et notamment le Concorde : il était logique qu’elle coupe les branches mortes ! En réalité, il n’y avait pas d’enjeu majeur pour sauver Facel, et après avoir déboursé près d’un milliard et demi de nouveaux francs pour sauver l’entreprise, l’État finira par dire stop. Sachez par ailleurs que de quelques ambassades françaises furent dotées de Facel Vega Excellence entre 1958 et 1964.
Cela ne suffira pourtant pas. Sud Aviation doit se réorganiser pour entrer dans une nouvelle ère après le succès de la Caravelle : toutes les filiales doivent être en ordre de bataille pour un nouveau défi appelé Concorde. L’automobile ne fait plus partie des plans et la SFERMA est priée de plier les gaules. Daninos tente bien un dernier baroud d’honneur en négociant avec Rover : rien n’y fait. L’entreprise est liquidée le 31 octobre 1964. Si l’aventure Facel Vega s’arrête là, Jean Daninos ne prend pas sa retraite pour autant. Il sera consultant pour de nombreux constructeurs et terminera sa carrière, bien au delà de l’âge de la retraite, chez UMM au Portugal, assembleur de 4×4 dérivés des très auvergnats Tracteurs Cournil !