Au mitan des années 80, le génial inventeur Clive Sinclair présentait un véhicule révolutionnaire, caréné pour le futur, et mu tantôt par un moteur électrique, tantôt à la force des mollets : le tricycle C5 (sans rapport avec la Citroën du même nom). Après avoir révolutionné le calcul au bureau, initié les familles à la micro-informatique et tenté de convaincre avec la télé portative, Clive voulait proposer une mobilité douce et pratique. Visionnaire, certes, mais trop tôt : l’affaire sera un vrai fiasco. Accrochez vos ceintures et découvrez l’étonnante histoire du Sinclair C5.
Inventeur de génie
Clive Sinclair, c’est un peu un Tryphon Tournesol à la sauce british. Passionné par la physique et les mathématiques, il a aussi la soif d’entreprendre. Dès l’âge de 18 ans, il commence à écrire des manuels et des articles pour la construction de transistors de poche en kit. En 1961, il lance son entreprise, Sinclair Radionics, pour diffuser ses propres produits électroniques (des radios, là encore) mais, faute de capital, il doit se rabattre sur un poste de rédacteur en chef adjoint du magazine Instrument Practice en complément. Grâce à ce poste, il entre en contact avec de nombreux fournisseurs de composants et d’appareils électroniques, ce qui lui permet de tester les produits et d’élargir son réseau. Dans le même temps, sa petite entreprise vend des kits radio (notamment la radio de poche Micromatic) ou des micro-amplificateurs, sans pour autant décoller.
Des calculettes au micro-ordinateur
Le début des années 70 permet à Sinclair Radionics son premier vrai succès : la calculatrice de poche au design futuriste, la Sinclair Executive. Mais Clive est déjà parti sur une autre marotte, la montre électronique Black Watch qui sera un four, entraînant la quasi-faillite de l’entreprise. Mais l’homme a de la ressource, et des idées à la pelle. Une nouvelle société, Science of Cambridge qui deviendra par la suite Sinclair Research (1981), lui permet de s’attaquer au marché de la micro-informatique avec une idée simple : la rendre accessible au plus grand nombre. Il lance en 1980 l’ordinateur en kit ZX80, le moins cher du marché puis, un an plus tard, le ZX81, vendu entièrement monté, lui. Le succès sera fulgurant (et j’ai un souvenir ému de mon père apprenant à programmer sur cette étrange machine branchée à la télévision et à un lecteur de K7). En 1982, le ZX Spectrum pousse encore un peu plus loin l’informatique personnelle et Sinclair fait figure de poids lourd du secteur !
La mobilité électrique des années 80
Voilà, en préambule, le personnage qui nous intéresse et qui, encore une fois, va se lancer dans une nouvelle aventure géniale mais aventureuse : la mobilité électrique. Il planche tout d’abord sur un projet de voiture électrique dénommée C1 qu’il abandonnera vite pour profiter d’une nouvelle législation britannique favorisant les vélos et tricycles à assistance électrique. Clive Sinclair imagine alors une gamme de véhicules électriques allant du tricycle C5 jusqu’à aux automobiles C10 et C15 (rien à voir là encore avec la Citroën éponyme). Pour financer son entreprise, Sinclair Vehicles, Clive vend 10 % de Sinclair Research pour 12,9 millions de livres. Il embauche un ancien de DeLorean Motor Company, Barrie Wills, comme directeur général. Lors des travaux préliminaires, Sinclair avait envisagé une production dans l’usine DMC de Belfast, mais la faillite de 1982 ruinera ce projet. Hoover assurera finalement l’assemblage des C5.
Le C5 inaugure le bal
L’idée du C5 est simple : un tricycle doté d’une batterie de 12 volts alimentant un moteur électrique développant 250 Watts permettant de mouvoir un ensemble châssis + carrosserie en polypropylène de 60 kg. En position assise, le conducteur dirige l’ensemble au moyen d’un guidon. Aux pieds, des pédales permettent d’assister à la force du mollet le moteur électrique, ou bien de le remplacer totalement une fois la limite d’autonomie atteinte. Pour concevoir et développer le C5, Sinclair va faire appel à Lotus Cars qui va concevoir le châssis, l’essieu arrière et la boîte de vitesses (et produire les premiers prototypes avant de transférer la production en série chez Hoover).
Le 10 janvier 1985, le Sinclair C5, dessiné par Tony Wood Rogers, est présenté à la presse à l’Alexandra Palace, au nord de Londres. Le tricycle au look futuriste, annoncé à 399 livres, propose une vitesse de pointe de 25 km/h, pour une autonomie en tout électrique de 34 km. Malheureusement, les véhicules de démonstration mis à disposition des journalistes n’étaient pas au point. Certains moteurs refusent de faire plus de 5 mètres, d’autres peinent à monter les pentes de la colline où se situe l’Alexandra Palace, et l’autonomie s’avère très décevante (7 minutes pour l’un des C5 mis à la disposition du Guardian). Cette présentation pourtant fastueuse se révèle un fiasco total. Quelle idée aussi de présenter un véhicule électrique mal fini en hiver en haut d’une colline ? Une erreur stratégique que Clive Sinclair n’avait pas envisagée.
Le public boude le C5 qui plombe Sinclair
Malgré ces défauts de jeunesse plus ou moins réglés par la suite, le C5 est commercialisé dans la foulée. Le public, convié après les journalistes à l’Alexandra Palace, semble moins enthousiaste que le patron : alors qu’il prévoyait 2 700 ventes sur place, il n’en réalisera que 200. Malgré cela, Sinclair Vehicles réussit à refourguer 5 000 exemplaires en 4 semaines seulement grâce à un mailing à tous les clients de Sinclair Research. Si la performance est intéressante, on est loin des ambitions du boss qui prévoit 200 000 ventes par an, rien que cela. A partir de mars, le C5 est disponible en magasin (et non simplement en vente à distance) mais la mayonnaise ne prend pas. Pendant ce temps-là, la situation financière se dégrade : en juillet, seuls 8 000 exemplaires (comprenant les 5 000 vendus en mars) ont trouvé preneur, tandis que Hoover a déjà fabriqué 14 000 C5 et réclame ses paiements. Clive Sinclair négocie directement avec Hoover pour éviter le drame, mais la production cesse. Sinclair tente de vendre le stock de C5 jusqu’en octobre mais n’évite pas le redressement judiciaire.
À cette date, il reste encore 4 500 exemplaires à écouler, près de 15 millions de livres de dettes à divers créanciers, dont Clive Sinclaire lui-même. Les stocks de C5 seront vendus à 75 livres l’unité à divers magasins de surplus qui réussiront à les revendre petit à petit en pariant sur leur côté “jouet”. C’était sans doute là l’erreur de Clive Sinclair : avoir voulu faire passer le C5 pour un véhicule sérieux alors qu’il n’était justement qu’un gros jouet. Il n’avait fait aucune étude de marché, persuadé du bien fondé de sa démarche. Or, au-delà des insuffisances du produit, beaucoup trouvaient le C5 bien trop peu protégé dans la circulation. La législation permettait de rouler en C5 dès 14 ans, et ce sans assurance, mais la réalité était qu’aucun parent ne souhaitait voir son enfant dans les rues de Londres, Liverpool ou Birmingham au guidon d’un tel engin.
Clive Sinclair rebondit dans l’électricité et les vélos
Du côté de Clive Sinclair, cette débâcle financière l’oblige à revendre toute sa gamme informatique ainsi que le nom commercial Sinclair à Amstrad en 1986. Sinclair Research devient alors une société de R&D, planchant notamment sur un vélo électrique dénommé Zike en 1992 (un échec commercial là encore, avec 2 000 exemplaires vendus). L’entreprise renoue avec le succès grâce à ses moteurs électriques d’appoint pour vélo, mais aussi pour fauteuils roulants puis avec le développement d’un propulseur électrique de plongée sous-marine, le SeaScooter. A partir de 2004, Clive Sinclair travaille sur un vélo pliable (le A-Bike), puis sur un vélo électrique en 2010 (le X-1) avant de cesser ses activités. Il meurt en 2021 à l’âge de 81 ans.
Aller plus loin :
Retrouver l’histoire de la Sinclair C5 sur AROnline