Lorsqu’on voit Gaydon aujourd’hui et les dernières productions de la marque, difficile d’imaginer qu’Aston Martin n’était, dans les années 80, qu’une petite officine qui concevait ses modèles avec des budgets ridicules et, parfois, des bouts de chandelles. Dirigée par Victor Gauntlett, la firme de Newport Pagnell disposait à l’époque d’une gamme vieillissante : la baroque (et déroutante) Lagonda à 4 portes, et les coupés et cabriolets V8 qui n’étaient que des versions rajeunies de la DBS (sortie en 1967). Il fallait impérativement sortir un nouveau modèle : c’est ainsi que fut lancé en 1985 le Design Project 2034 qui donnera naissance à notre voiture du jour et par ricochet à la Virage.
Entre 1979 et 1980, Aston Martin avait tenté de se renouveler en présentant le concept-car Bulldog (DP K901), dessiné par William Lyons et inspiré des lignes de la Lagonda de 1974. Une petite série de 15 à 25 exemplaires devait être produite mais l’arrivée de Victor Gauntlett à la tête d’Aston Martin en 1981 stoppa net le projet : si le nouveau patron savait qu’il fallait relancer la marque avec de nouveaux produits, il jugea celui-ci trop cher à développer, pour une réussite incertaine.
Une nouvelle direction pour de nouveaux horizons
Devenu propriétaire de la marque par l’intermédiaire de sa société Pace Petroleum (48 %), aux côtés de CH Industrials (48 %) et de Peter Cadbury (4 %), l’homme préfère assurer l’avenir avant d’investir de façon déraisonnée. En 1981, l’entreprise perd 550 000 livres pour un chiffre d’affaires de 6,5 millions. Dans un premier temps, il va sécuriser le capital en attirant un nouvel investisseur, Peter Livanos, un riche armateur grec. En 1984, ce dernier détient 75 % d’Aston Martin, tandis que Gauntlett, qui reste PDG, n’en possède plus que 25 %. CH Industrials récupère, de son côté, la filiale Tickford (qui réalise pour Ford les versions civiles de la RS200, entre autres).
Victor Gauntlett à la manoeuvre
Dans un second temps, Gauntlett va faire du neuf avec du vieux en camouflant l’antique V8 sous une carrosserie moderne signée Zagato en 1986. L’effet nouveauté donne un peu d’air à la marque (malgré une production limitée à 89 exemplaires) d’autant que l’année suivante, la Lagonda reçoit un lifting bienvenu. Dans le même temps, Gauntlett négocie avec EON pour qu’Aston Martin réintègre la saga James Bond. Ce sera chose faite en 1987 avec Tuer n’est pas jouer et Timothy Dalton. Voilà pour la partie visible de l’iceberg, car en coulisse, il se passe bien des choses. Conscient que la marque ne pourra survivre sans nouveau modèle, le dynamique PDG a lancé dès 1985 le Design Project 2034 : il s’agit d’un tout nouveau modèle qui doit prouver la capacité d’Aston Martin à se renouveler. En 1986, il négocie avec Ford dans l’espoir de revendre l’entreprise (ce qui deviendra réalité en 1987).
Une nouvelle Virage dérivée de la Lagonda
Mais revenons au DP 2034. Aston Martin lance une compétition auprès de designers externes pour le nouveau design, remportée par John Heffernan et Ken Greenley. Pour la technique, le fameux V8 Aston conçu par Tadek Marek est conservé dans une version 5,3 litres poussée à 350 chevaux. En revanche, le châssis n’a plus rien à voir avec les précédentes “V8” : il s’agit en fait de celui de la Lagonda, plus récent, raccourci de 306 mm. Un premier prototype est réalisé sous le nom de DP 2034/1. Il prend la route au début de l’année 1988, annonçant la sortie prochaine de la future Virage. Pourtant, ce premier mulet brouille les pistes : il prend en effet la forme d’un coupé 2 portes (en fait un coach) Lagonda tout à fait réaliste. Certes la ligne est un peu déséquilibrée (le châssis a été raccourci entre les essieux, laissant l’avant et l’arrière identique à la berline) mais paraît suffisamment réussi pour leurrer les journalistes automobiles. Trois autres protos seront réalisés (DP2034/2, 2034/3 et 2034/4) mais ces derniers recevront la vraie carrosserie de la Virage. Au salon de Birmingham 1988, la 2034/4 est présentée à la presse et au public.
Une seconde vie pour la mule
La vie de DP2034/1 n’est pas terminée pour autant. Malgré l’arrivée de Ford, Aston Martin reste encore fragile et ne refuse jamais des commandes spéciales. Or ce coupé Lagonda n’est pas passé inaperçu. Un collectionneur britannique est tombé littéralement amoureux de ce mulet. Il propose alors à Aston Martin de le racheter puis de le faire passer chez Works (le département restauration / commandes spéciales d’Aston) pour lui donner tout le lustre qu’il mérite. Il reçoit cette fabuleuse peinture bleue, un intérieur de grand luxe comprenant même un mini bar avec verres et carafes en cristal.
Aller plus loin
Pour ceux que cela intéresse, la DP2034/1 sera mise en vente par Bonhams en septembre 2023 pour une estimation entre 250 et 350 000 livres : Vente Bonhams
Images : DR, Aston Martin, Bonhams