A la voir si frêle et un peu démodée (ou plutôt surannée), on imagine mal la 204 comme une voiture révolutionnaire. Et pourtant, cette voiture polyvalente de 6CV allait bouleverser la maison Peugeot tout en montrant la voie de la modernité dans la catégorie des compactes puis des citadines à l’ensemble des constructeurs. Un coup de maître qu’il convient ici de saluer.
Production (1965-1976) : 1 604 296 exemplaires
Peugeot la provinciale
Depuis la fin de la guerre, Peugeot traçait son bonhomme de chemin à un rythme de sénateur sur la voie du milieu : celle des berlines familiales concédée par le Plan Pons et qui semblait convenir très bien à ce constructeur relativement conservateur et prudent. Cultivant une certaine monoculture, la marque se contentait de satisfaire sa clientèle traditionnelle sans prise de risques industriels ou financiers. Dépassée à sa gauche par Citroën et sa DS révolutionnaire autant qu’à sa droite par des populaires brillantes (2CV, Dauphine, R4), Peugeot déroulait ses modèles un par un, tout en conservant le précédent en entrée de gamme : 203, 403, puis 404 installaient la réputation de la marque lentement mais sûrement, assumant son côté austère, sérieux et solide.
Changement de braquet avec le projet D10
Pourtant, au début des années 60, on sent bien chez Peugeot que ce modèle ne pourra pas durer éternellement. La croissance de Peugeot reste constante, mais bien moindre que ses concurrents nationaux (Renault, Citroën, Simca) qui développent des gammes à tout va et dans tous les sens. Pour pouvoir suivre le rythme et changer de dimension, il allait falloir prendre (enfin) des risques. Aussi, sans se précipiter mais avec intelligence, la firme sochalienne lançait-elle le projet D10 (D12 pour le break, D11 pour le cabriolet et D15 pour le coupé), fruit d’une observation fine du marché et des progrès technologiques. Pour soutenir une 404 ratissant déjà large (berline, break, coupé, cabriolet, pick-up), Peugeot allait donc lancer une petite 204 à la gamme elle-aussi étendue (berline, break, coupé, cabriolet, fourgonnette).
La 204 révolutionne le genre
Entrée de gamme, oui, bas de gamme, non. Pour sa première “petite” voiture d’après-guerre, Peugeot voit les choses en grand : traction (le symbole de la modernité), moteur moderne (en alliage léger) à arbre à cames en tête et en position transversale, disponible en essence ou diesel (rare à l’époque, un moteur qui séduira 155 886 clients tout de même), boîte de vitesses collée au différentiel et partageant un carter commun, freins avant à disque, 4 roues indépendantes… Excusez du peu mais la fiche technique ringardisait pas mal de voitures le jour de son lancement, le 23 avril 1965. Pour enfoncer le clou, la berline et le break (lancés en 1965) sont rapidement rejoints en 1966 par les adorables coupé et cabriolet, ainsi que par la besogneuse fourgonnette. Le tout agrémenté d’un dessin très malin signé Paul Bouvot (et le jeune Gérard Welter qui se fait la main sur les dérivés coupé et cabriolet).
204 Coupé (1966-1970) : 42 756 ex
Fin 1966, le coupé vient compléter la gamme 204 avec une ligne fastback moins agressive que celle d’Autobleu (voir encadré plus loin) mais plutôt agréable, au point d’être reconduite quasiment sans changement (hors poupe et proue) sur la 304. Certes, il ne dispose pas de moteurs plus puissants, mais sa ligne est suffisamment distinctive pour séduire les jeunes cadres dynamiques de cette fin des années 60.
204 Cabriolet (1966-1970) : 18 181 ex
En même temps que le coupé, Peugeot propose le cabriolet. Malgré un surcoût conséquent, le cabriolet séduit par sa ligne sans atteindre le charme des productions italiennes de l’époque. Peu importe, il donne une image dynamique et glamour à l’ensemble de la gamme 204 et c’est bien là le coup de génie de Peugeot : décliner des gammes dans la gamme et soigner son image à moindre frais !
Moteurs modernes, essence comme diesel
Côté moteurs, la 204 s’offre donc une mécanique moderne parfaitement adaptée au marché visé : 1 130 cc en essence (XK de 53 chevaux SAE puis XK4 de 55 chevaux et XK5 de 59 chevaux), 1 255 cc en diesel (Indenor de 40 chevaux puis XL4D de 45 chevaux). Largement suffisant pour les 850 à 955 kg de la voiture d’autant que les autoroutes sont encore rares et que les 130 ou 140 km/h en vitesse de pointe suffisent largement sur le réseau national ou départemental.
204 Break (1965-1976) : 485 336 ex
Dès 1965, Peugeot double sa berline d’une version plus logeable (ou du moins plus pratique) pourtant basée sur le même châssis et donc la même longueur. La 204 break rencontrera son public malgré la concurrence dès 1969 de la 304 exactement identique, à ses moteurs près (et à la finition plus cossue).
204 Fourgonnette (1966-1976) : 37 994 ex
Pour maximiser le retour sur investissement, Peugeot utilise la même méthode qu’avec la 403, ou la 404, en déclinant le plus possible le modèle. Ainsi naît la 204 fourgonnette, un break tôlé à trois portes destinés aux artisans et commerçants. Si la version peut paraître anecdotique, ce sont près de 38 000 ventes supplémentaires qui tombent dans l’escarcelle en dix ans, de quoi rentabiliser la plateforme qui sera poursuivie, dès lors, par la 304 jusqu’en 1980.
Résultats records, et voiture la plus vendue de France
Le résultat ne se fait pas attendre : la 204 cartonne et monte lentement en puissance, se permettant de s’arroger le titre de voiture la plus vendue en France en 1969, 1970 et 1971, et ce malgré la sortie en 1969 de la Peugeot 304, une version plus cossue, rallongée, et dotée de moteurs plus puissants, et qui lui chipe ses déclinaisons cabriolet et coupé. Au total, plus de 1,6 millions d’exemplaires seront vendus en 11 années de production, faisant entrer Peugeot dans l’ère généraliste.
204 Autobleu (1967)
Au milieu des années 60, Autobleu, célèbre accessoiriste dont les désirs de construction sont toujours présents, tente de se relancer et voit en la 204 une opportunité. Sur une base de 204 cabriolet, l’entreprise va réaliser un coupé fastback plutôt élégant à la mécanique revue par la société Le Moteur Moderne. Le 1 130 cc doté d’un carburateur double corps Weber développe 70 chevaux. Pour la carrosserie, on fait appel à Pietro Frua qui fait de son mieux pour dynamiser la ligne. Le prototype est présenté au salon de Genève 1967, mais le surcoût d’une telle modification rend impossible l’industrialisation, tandis que le coupé 204 officiel fait parfaitement le job. Il faudra attendre la 304 Coupé S pour dépasser la puissance proposée par Autobleu et Le Moteur Moderne.
204 Cabriolet Revival 2008
En 2008, Jérôme Gallix, à la tête du design Peugeot, imagine une gamme Urban Distinctives (UD) qui devait cohabiter avec la gamme classique (une sorte de DS avant l’heure) et privilégie le revival de la 204 plutôt que celui de la 205 jugée encore trop moderne pour être retravaillée. Trois silhouettes numériques sont imaginées : une berline, un break et un cabriolet. Seuls le break et le cabriolet auront droit à leur maquette à l’échelle 1. Christophe Bonnaud, dans son excellent livre Concept-cars et prototypes d’études Peugeot (cliquez sur le lien pour commander), révèle la maquette de la 204 Cabriolet Revival : nerveuse, ramassée, stricte deux places, elle aurait pu être le pendant “entrée de gamme” de la RCZ. Le projet restera sans suite et Gallix quittera Peugeot peu de temps après. Dommage !
Best seller désirable
Aujourd’hui, la frêle 204 est recherchée en collection. Certes, on en trouve à des tarifs tout à fait acceptables, mais ses déclinaisons cabriolet et coupé restent les plus désirables et leurs tarifs sont en conséquence. Une chose est sûre : la 204 est sans doute aussi importante dans l’histoire de Peugeot que la 205 à peine 20 ans plus tard. Moderne, intelligente, dans l’air du temps, elle permettra au Lion de s’imposer face à Simca puis Citroën (deux marques qu’il finira par racheter dans les années 70), et enfin, à traiter d’égal à égal avec Renault. Avec la 504 en 1968, la 304 en 1969 et la 104 en 1972, la 204 fera encore bonne figure jusqu’en 1976 avant de tirer sa révérence définitivement.
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Images : DR, Peugeot, Lignes Auto