Alors que Peugeot choisissait le consensus avec un haut de gamme à trois volumes et propulsion, Renault persistait dans l’originalité, après la R16, en présentant en mars 1975 une R30 plus compacte, traction et 2 volumes à hayon. Fruits d’un partenariat et d’une longue réflexion sur le haut de gamme entamée au mitan des années 60, les 604 et R30 se partageaient le marché avec des approches radicalement différentes mais un moteur commun : le controversé V6 PRV. A l’arrivée, les deux véhicules connurent un destin similaire : l’indifférence de la clientèle et l’obligation de ratisser large grâce au turbo diesel. Retour sur la grande 30 qui, à défaut de réussite, permettra à Renault de mieux envisager le haut de gamme dans les années 80, avec la R25.
Production (1975-1983) : 136 403 exemplaires (Sandouville et Mariara – Vénézuela 1978-1983)
Dont : 68 401 R30 TS (R1273 / R1275), 40 401 R30 TX (R1278) et 27 601 R30 Turbo D (R1270)
Du projet H au projet 127
Contrairement à Peugeot qui s’est longtemps concentrée sur le milieu de gamme avec ses 203, 403 puis 404, Renault n’a jamais renoncé au haut de gamme, lançant une Frégate dès 1951 avec l’espoir de concurrencer la dominante mais vieillissante Traction mais sans oser lancer un nouveau 6 cylindres. La sortie de la DS en 1955 la ringardise vite et Renault se voit contrainte de bricoler dans les années 60 avec une Rambler qui n’avait de Renault que le nom (et encore). L’association avec Peugeot en 1965 permet de rationaliser les achats mais aussi de mutualiser les recherches sur certains modèles. Cet accord donnera naissance à de nombreux projets communs et notamment la réalisation d’un haut de gamme (projet H) et d’une doublette de moteurs (moteur modulaire Z, avec le V8 ZO et le V6 ZM, tous deux à 90°) produits par une société commune, la Française de mécanique. Ces deux projets accoucheront, dans les années 70, des Renault 30 et Peugeot 604 à moteur V6 PRV.
Pour le projet H, les deux constructeurs vont présenter leurs propositions en 1967 : une limousine deux volumes pour Renault, une tricorps réalisée par Pininfarina pour Peugeot. La tendance est déjà inscrite : la voie de l’originalité pour Renault, dans la foulée de la 16 lancée en 1965 et qui fait pour l’instant office de haut de gamme, la voie du classicisme pour Peugeot qui reste sur ses fondamentaux inscrits dans le marbre par la 404 et, bientôt, la 504 alors en gestation. Le projet H devait aboutir à un seul modèle, commun aux deux marques : ne trouvant pas d’accord, il sera purement et simplement enterré, laissant Renault travailler sur le projet 127 et Peugeot sur l’E24. Seul le moteur fera trait d’union entre les deux voitures : le V6 est acté en 1971 avec l’appui de Volvo, mais le V8 est rapidement abandonné. Reste aussi un accord tacite : à Renault la traction et le hayon, à Peugeot la propulsion et le tricorps. Les deux constructeurs s’entendent même sur un ordre de sortie : Renault en premier, puis Peugeot. Pour le projet 127, lancé officiellement en 1970, c’est Gaston Juchet qui s’y colle et qui signe une berline originale, habitable (la notion d’espace sera souvent avancée dans les publicités), pratique mais clivante.
Le 13 juin 1973, les premières photos volées de la 127 paraissent dans l’Auto-Journal. Jean Mistral, l’imagine sous le nom de Renault 23. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que le projet 127 est plus large qu’il n’y paraît : sous une même carrosserie se profilent deux modèles. L’un, nommé Renault 20 (R1271, R1272, R1276, R1277 et R1279), devra lutter face à la 504 ou la CX, quand l’autre, nommé Renault 30, s’attaquera à la 604 et aux berlines allemandes (R1273, R1275, R1278, R1270). Le R23 faisait la synthèse des deux, une solution qui sera retenue plus tard avec la R25.
Présentation et lancement de la Renault 30 TS
Les accords Peugeot-Renault prévoyaient un calendrier précis. Renault devait présenter en premier sa 30 au salon de Genève de mars 1975, tandis que Peugeot se réservait le Salon de Paris d’octobre pour sa 604. Or, les relations entre les deux constructeurs se tendirent au cours de l’année 1974. Avec l’annonce du rachat de Citroën par Peugeot, créant le groupe PSA (une fusion qui ne sera effective qu’en 1976), Renault prend la mesure de la nouvelle voilure de son partenaire mais néanmoins concurrent et n’hésite pas à débaucher Robert Opron d’une part et 125 concessionnaires d’autre part. Le gentleman agreement était rompu. Puisque l’Auto-Journal avait révélé début mars les lignes de la 604, Peugeot vint gâcher la fête en catastrophe en exposant son prototype à Genève. La guerre était déclarée (enfin, c’est ce qu’en dirent les journalistes).
En réalité, cela ne changeait pas grand chose et Renault maintint son programme avec une présentation de presse en avril 1975 réunissant de nombreuses 30 TS dorées sur les Champs Elysées pour les essais des journalistes. La voiture est compacte (20 cm de moins que la 604) mais presque plus spacieuse grâce à son traitement bicorps et son hayon. Son V6 de 2 664 cc est le même que celui de la 604, avec ses deux carburateurs (1 simple corps, 1 double corps), mais ne développe que 131 chevaux (contre 136 à la version sochalienne). Comme pour la sochalienne, la 30 fabriquée à Sandouville propose une boîte manuelle à 4 vitesses ou une automatique à 3 vitesses. Autant dire que le choix se portera sur autre chose : le style, le type (traction ou propulsion) et peut-être le camp politique. Car à l’époque, le choix d’une Renault c’était aussi celui d’une certaine gauche, des syndicats, et du rejet des très bourgeoises Peugeot ou Citroën. En novembre 1975, la Renault 20 est lancée et vient compléter la gamme par le bas.
Des Renault 30 pour la Gendarmerie
En 1976, Renault tente de séduire la Gendarmerie nationale en proposant sa Renault 30 pour les Brigades Rapides d’Intervention en complément des Alpine A310 commandées en 1974 et pour remplacer les dernières DS21 et les plus récentes DS23ie livrées en 1973. Deux exemplaires de Renault 30 TS seront prêtées à la maréchaussée pour évaluation pendant 6 mois, l’une banalisée, l’autre sérigraphiée. Verdict : rendement moteur insuffisant et boîte de vitesses trop lente. La Gendarmerie choisira finalement la CX 2400 GTI.
Les projets Heuliez
En 1976 toujours, Renault réfléchit à développer la gamme R30 et à la restyler. La Régie fait alors appel au carrossier Heuliez qui livrera quelques croquis d’un attrayant coupé et d’une 30 modernisée (ressemblant à s’y méprendre à une Volkswagen Passat B2 (qui n’apparaîtra qu’en 1980). L’entreprise tente aussi de séduire le losange avec des propositions de limousines mais rien n’y fera : la 30 restera telle quelle, et sans version coupé.
L’offre s’affine avec la Renault 30 TX
En août 1976, la 30 TS, qui est la seule proposition de la gamme, voit son moteur évoluer. Tandis que le PRV continue d’afficher 136 chevaux chez Peugeot, il dégonfle chez Renault pour ne proposer que 126 chevaux en perdant son carburateur simple corps pour ne conserver que le double corps. Si la puissance baisse, le couple, lui, augmente et promet une conduite plus souple. La 30 TS ainsi motorisée prend le nom de code R1275. Cette évolution n’est pourtant pas suffisante. Certes les ventes sont correctes (32 485 exemplaires vendus en 1976) et assez proches de celles de la 604, mais comme chez Peugeot, on reste en deçà des espérances. La copie est revue en octobre 1978 avec l’apparition d’une bien plus brillante 30 TX (R1278).
L’équipement progresse, le sentiment de luxe aussi, sans pour autant atteindre la concurrence germanique. Côté moteur, le V6 gagne une injection mécanique teutonne justement, une Bosch K-Jetronic. A la clé, une puissance réévaluée à 142 chevaux (presque identique à celle de la 604) et un agrément de conduite supérieur. Ce changement s’accompagne aussi d’une hausse de prix mais les ventes reprennent dès 1979, passant de 19 963 exemplaires à 22 438. Malheureusement, cette année-là, la crise pétrolière due à la révolution iranienne en janvier cause une vraie désaffection pour les moteurs V6, et surtout ceux qui, comme le PRV, gloutonnent plus que de raison. Les ventes s’effondrent en 1980, atteignant le niveau très bas de 11 521 exemplaires.
La Renault 30 Limousine Labbé
Le spécialiste breton du blindage et de l’aménagement, Labbé, ne fait pas de sentiment et propose ses services sur tous les modèles français. Sa spécialité, le blindage, est évidemment déclinée sur la Renault 30 qui séduit tout de même quelques patrons français réputés plus “à gauche” (ce qui reste à prouver). Dans la foulée, Labbé va proposer une version rallongée de la 30. Pourtant, le profil 2 volumes ne s’y prête pas trop et le prototype ne séduira personne et sera, semble-t-il, détruit. Un particulier réalisera aussi une limousine de façon artisanale, mais sur la base d’une Renault 20 (et dotée d’une calandre de 30).
La Renault 30 Outre Atlantique (Venezuela et Canada)
La 30 sera essentiellement vendue en Europe mais elle connaîtra aussi une (petite) carrière outre-Atlantique. Dès 1976, elle est proposée au Canada dans une version dépolluée et affublée de pare-chocs à l’américaine. Etrangement, elle ne sera jamais inscrite au catalogue US alors que la régie y vendait bon an mal an un certain nombre d’exemplaires. Au Canada, la 30 ne rencontrera pas vraiment le succès. Elle prenait la suite de la Renault 16 fabriquée localement entre 1965 et 1973 par la SOMA (qui produisait aussi des Peugeot). Seuls 426 exemplaires trouveront preneurs entre 1976 et 1979. Plus au sud, on trouve le Vénézuela. Renault y possède une usine de montage à Mariara, à 110 km de Caracas, et obtient du gouvernement des facilités pour produire une berline de standing. C’est la 30 qui est choisie dans sa version TS et qui sera fabriquée là-bas de 1978 à 1983 sous la direction du PDG de Renault Venezolana, Gérard Bayol, à moins de 400 unités.
La révolution de 1981
L’année 1980 étant une annus horribilis pour la 30, Renault prend les mesures qui s’imposent, avec du retard sur Peugeot : introduire une motorisation turbo-diesel sous le capot de sa vénérable berline et séduire, ainsi, les gros rouleurs avides de confort, de sobriété, d’économie et d’un peu de puissance tout de même. C’est ainsi qu’en 1981, Renault lance la 30 Turbo D (R1270), dont le moteur Douvrin de 2 068 cc dopé au turbo donne 85 chevaux au banc. L’offre pourrait être intéressante si la 20 ne la proposait pas aussi. De fait, la 30 n’avait pas grand chose à proposer pour un tarif bien supérieur. Pourtant, la version R1270 prend rapidement le pas sur la R1278 devenue presque incongrue sur un marché français encore sonné par la crise pétrolière. Si les ventes peinent à atteindre les 15 000 exemplaires, c’est toujours mieux que la 604 qui, elle, subit les assauts en interne de sa sœur 505 bien plus convaincante.
François Mitterrand et la R30
L’élection de François Mitterrand en mai 1981 change la donne du côté des voitures officielles. A cette époque, on l’a vu, le choix d’une marque disait quelque chose de l’orientation politique et Renault représentait le côté progressiste de l’automobile, séduisant une population généralement plus à gauche que la clientèle de Peugeot ou Citroën (cette dernière restant un peu à part par ses choix stylistiques ou techniques). C’est tout naturellement que le nouveau président fête sa victoire en Renault 30 et impose à l’Elysée cette grande berline en remplacement des 604 jugées trop giscardiennes.
La R30 et le sport
En marge de cet historique, il convient de rappeler que les Renault 30 furent aussi le fleuron de la marque dans le domaine sportif. Pas sur les circuits ni les rallyes, malgré quelques tentatives, mais plutôt comme véhicule d’accompagnement de l’équipe Gitane (propriété de Renault) sur les courses cyclistes et notamment le Tour de France, mais aussi sur les compétitions automobiles comme véhicule de service, avec ses couleurs jaune, blanche et noire immédiatement reconnaissables.
Fin de règne, place à la R25
La carrière de la 30 s’arrête en octobre 1983 après 136 403 exemplaires, un score similaire à celui de la Peugeot 604 (153 252 unités) qui, elle, bénéficiera de deux millésimes de plus. Mais contrairement à son partenaire du début, rival à la fin, Renault fera rapidement la synthèse et réagira promptement en lançant dès 1984 une R25 ultramoderne (pour l’époque). Cette capacité de réaction que n’avait pas PSA à l’époque, englué dans sa quasi faillite au débute des années 80 et obnubilé par les lancement cruciaux de la BX et de la 205 permettra à Renault de dominer de la tête et des épaules le haut de gamme jusqu’à l’arrivée tardive des XM et 605 à partir de 1990 (en année pleine). Pendant 6 ans, la 25 s’imposera comme le seul haut de gamme français en assimilant les échecs et les réussites du duo R20/R30 (le fameux projet 127).