Il est de bon ton, depuis longtemps, de se moquer de la Renault Fuego, souvent qualifiée de voiture de garçon coiffeur. Dénaturée par le tuning des années 80 et 90, voiture de beauf au cinéma ou à la télévision (Caméra Café, Mais qui a tué Pamela Rose), on a souvent considéré la Fuego comme une Porsche du pauvre, un sourire aux lèvres. Pourtant, cette voiture n’a pas démérité, et son design était parfaitement dans l’ère du temps, séduisant un large public notamment hors de France malgré son positionnement bancal et la concurrence nouvelle des GTI. Aujourd’hui, la tendance s’inverse lentement et les nostalgiques du début des années 80 redécouvre le charme de sa ligne originale, le kitsch de son intérieur et les joies d’un grand coupé comme il n’en existe plus.
Production (1979-1992) : 265 367 exemplaires
Dont 6 500 Fuego Turbo (estimation) et 4 800 Turbo-D (estimation)
Remplacer le duo R15/R17
Au début des années 70, Renault s’attaquait au marché des coupés de grande diffusion avec deux modèles, la R15 et la R17. Il s’agissait en réalité d’une seule et unique voiture dérivée de la R12 et maquillée habilement pour en créer deux, l’une populaire (la 15) et l’autre plus valorisante et un poil plus sportive (la 17). A cette époque, l’offre était pertinente et permettait des volumes bien plus importants qu’en se limitant, comme Peugeot avec ses 504 Coupé et Cabriolet, à une catégorie supérieure. Fin 1979, le duo avait trouvé 304 856 clients et Renault en était satisfait. Leur remplacement était cependant prévu dès le milieu de la décennie. Alors que se préparait la Renault 18, prévue pour 1978, la direction envisage aussi d’en créer un dérivé coupé. Lancé en 1972, le projet 134 (R18) offre la possibilité à Michel Jardin, jeune designer sous la direction de Gaston Juchet, d’imaginer un dérivé coupé dans la même veine que les R15 et R17.
Le projet 136 est sa bulle arrière
Ce n’est qu’en janvier 1975 que le projet 136 (la future Fuego) est officiellement lancé, sur la base technique et le châssis de la Renault 18 (projet 134). Robert Opron prend à ce moment-là la direction du design et apporte son influence, notamment la fameuse bulle arrière qui s’inspire de la Citroën SM qu’il a dessinée, mais accentuée façon Jensen Interceptor. L’idée semble dans l’air du temps car en 1976 sort la Porsche 924 à l’arrière un peu similaire et qui involontairement nuira à l’image de la Fuego, souvent qualifiée de 924 du pauvre. Cette proximité stylistique est bien la preuve que la Fuego n’était pas du tout ringarde en son temps. La Renault 18 à l’avant très proche n’eut pas les mêmes quolibets et si l’on s’y penche de plus près, l’avant de la future Renault 25 lui doit beaucoup (ironie du sort, ce dernier sera plus ou moins l’inspiration de restylage argentin de la Fuego GTA, voir encadré plus bas).
De grandes espérances
Fin 1979, la Fuego est prête puisque la production commence en octobre à Maubeuge. Renault semble alors confiant et présente son tout nouveau coupé nommé Fuego en mars 1980 à Genève. Contrairement au couple R15/R17, la Fuego est un modèle unique qui doit ratisser large : en entrée de gamme, une TL dépouillée suivie d’une GTL un peu plus cossue, toutes deux équipées du Cléon-Fonte de 1 397 cc (64 chevaux) et d’une boîte manuelle à 4 vitesses (5 en option sur la GTL). En guise de haut de gamme, on trouve la GTS qui récupère un Cléon-Alu de 1 647 cc pour 96 chevaux et une boîte à 5 vitesses. Etrangement, la Fuego ne récupère par l’injection inaugurée sur la 17, et se contente de freins à disques à l’avant et de tambours à l’arrière. Autre bizarrerie, les vrais hauts de gamme nommés TX et GTX n’apparaissent qu’en juillet 1980 alors qu’il eut été judicieux de les présenter en premier, pour des questions d’histoire de marque. Avec ces deux modèles, la Fuego récupère enfin un peu de puissance, avec le moteur Douvrin (conçu avec Peugeot) de 1 995 cc et 110 chevaux, ainsi qu’une présentation enfin cossue (surtout sur la GTX).
La concurrence européenne :
Lorsque la Fuego apparaît sur le marché, il existe une forte concurrence européenne, et en particulier allemande. L’Opel Manta B est solidement installée depuis 1975, en particulier en Allemagne et en Angleterre, tout comme la Ford Capri III (lancée en 1978). La Volkswagen Scirocco, elle, est renouvelée en 1981 et s’avère la plus moderne des concurrentes de la Fuego. Globalement, les quatres coupés européens feront à peu près les mêmes scores : 324 045 exemplaires pour la Capri, 291 497 pour la Scirocco, et 161 936 pour la Manta. Rajoutons enfin la Porsche 924 dans le lot : plus chère (110 425 Francs) et plus puissante, elle s’en rapproche malgré tout par le design (1976-1988, 151 412 unités). En France, seule la 504 propose un coupé dans sa gamme mais en fin de carrière (1983) et alors essentiellement vendu en V6, pour un tarif de 106 000 Francs.
Des débuts en trompe-l’oeil
Malgré son nom incongru (tous les autres modèles de la gamme Renault portent un numéro), ses errements marketing (gamme haute présentée tardivement) et son positionnement sans doute trop large (les TL et GTL font pâle figure avec leur Cléon-Fonte athsmatique), l’année 1980 s’annonce fort bien pour la Fuego : 75 425 exemplaires sortent des chaînes, obligeant provisoirement l’usine de Douai à donner un coup de main (8 500 exemplaires produits uniquement cette année-là, aux côtés de la Renault 5. Autre raison d’espérer : l’export se porte bien et absorbe presque la moitié de la production. On s’imagine déjà atteindre les 100 000 unités par an, ce qui ferait de la Fuego un joli succès. Passé l’effet nouveauté, la demande s’effondre dès 1981 à 55 875 exemplaires, laissant l’état major perplexe. La baisse est particulièrement sensible en France où la Fuego ressemble à un soufflet. La voiture n’est pas fondamentalement mauvaise, mais elle coûte relativement cher tandis que les effets de la crise pétrolière de la fin 1979 commencent à se faire sentir. Les fidèles de la marque se laissent tenter, certes, mais les plus jeunes s’orientent vers des petites sportives, plus performantes et moins chères. Ainsi, la Renault 5 Alpine Turbo coûte 56 800 Francs pour 110 chevaux et un vrai tempérament, quand une GTX de même puissance, mais bien plus tranquille, vaut la bagatelle de 72 400 Francs en 1981.
La Renault Fuego aux USA
Au début des années 80, Renault est en passe de devenir un acteur majeur de l’automobile aux Etats-Unis en rachetant petit à petit AMC. La Fuego s’avère un excellent produit de complément (importé de Maubeuge, donc) pour un pays qui raffole des coupés. Certes, la Fuego paraît bien fluette par rapport à la concurrence locale, mais elle a pour elle une ligne jugée moderne, un comportement sain et une puissance tout à fait correcte malgré une sévère cure imposée par les normes en vigueur là bas. Au départ, seul le 1 647 cc est proposé à la clientèle américaine à partir de juin 1982 et il n’offre plus que 82 chevaux. L’année suivante, la version Turbo vient compléter la gamme mais elle perd elle aussi de la puissance en s’adaptant aux normes : 107 chevaux seulement. Malgré ces handicaps, la voiture rencontre un certain succès auprès d’une clientèle désireuse d’originalité : 41 460 exemplaires seront vendus là-bas (USA + Canada), où elle conserve une image plutôt intéressante, de nombreux amateurs et même des clubs aujourd’hui. L’importation cesse en juin 1985.
Elargir la gamme
En juillet 1982, Renault prend une première mesure en proposant une version Turbo-D : un choix étonnant pour une voiture orientée plaisir plus qu’utilitaire. Cette dernière est équipée du 2 068 cc de 86 chevaux (déjà vu sur les R20 et R30) et devient ainsi, grâce à son poids contenu, le Diesel le plus rapide du monde (175 km/h). On tente un nouveau coup au début de l’année 1983 en dopant la GTL qui récupère le Cléo-Alu de 1 647 cc à la puissance revue à la baisse (73 chevaux) sans grand succès. En juillet 1983, branle-bas de combat : la Fuego est légèrement restylée et reçoit le renfort d’un vrai haut de gamme sportif : la Turbo, dont le 1 565 cc reçoit un turbo pour délivrer 132 chevaux qui, grâce à son poids de 1 165 kg, peut atteindre les 200 km/h. Cette nouveauté paraît bien alléchante mais avec un prix supérieur à 90 000 F, elle reste bien trop chère pour améliorer durablement la situation. Les ventes chutent de façon vertigineuse cette année-là, à 37 725 exemplaires, et la France n’en représente qu’un gros tiers. Il faut dire que l’installation sur le marché de la Volkswagen Golf GTI et le lancement de la Peugeot 205 GTI font beaucoup de mal à la Fuego, dont l’image se ringardise vraiment à ce moment-là. Rarement un modèle aura subi un tel déclassement en si peu de temps et il est probable que l’imaginaire beauf de cette voiture date de ce moment précis.
La Renault Fuego en Argentine (19 352 exemplaires)
La Fuego est d’abord importée de France avant d’être fabriquée à l’usine de Santa Isabel à partir de mars 1982. Au pays des gauchos, on aime les coupés et en particulier les IKA/Renault Torino : la Fuego (au nom particulièrement adapté à son pays d’adoption) apporte une vraie touche de modernité et y est proposée comme une voiture de luxe (avec l’intérieur cuir). Elle n’est disponible qu’en une seule motorisation, le 2 litres Douvrin ramené à 103 chevaux. En 1987, la GTX (puis la GTA en 1988) s’offre une version 2.2 litres poussée à 116 chevaux (à cette occasion, elle reçoit des freins à disques à l’avant comme à l’arrière). La GTA est l’occasion d’une refonte esthétique, avec un avant plus moderne, proche de la Renault 25 de première génération, et parfois attribuée à Alain Clénet. En 1991, Renault Argentine lance la GTA Max dont le 2.2 est retravaillée pour offrir 123 chevaux et des performances proches de la Turbo d’antan. La Fuego quitte le marché en 1992 après 19 352 exemplaires : un succès sur ce marché et à ce niveau de prix.
Fin de carrière dans l’indifférence générale
Dès lors, la Fuego va petit à petit être reléguée au rôle de figurante dans le catalogue Renault qui fourmille de nouveautés : la Renault 25, l’Espace ou, pour les vrais amateurs de sport, l’Alpine V6 GT puis la Super 5 GT Turbo. Seul l’export permet de maintenir la tête hors de l’eau (Argentine, USA pour quelques temps). En juin 1985, la dernière Fuego tombe des chaînes de Maubeuge, signant sa fin de carrière européenne (bien que les stocks se vendront encore jusqu’en 1987). Seule l’Argentine poursuit la production du modèle (voir encadré), pays où les coupés ont toujours eu la cote et où Renault est particulièrement bien implanté depuis le début des années 60. Elle termine sa carrière en Amérique Latine en 1992 après 265 367 exemplaires produits, tous sites confondus (Santa Isabel, Maubeuge et Douai).
Renault Fuego Cabriolet Heuliez et Einfeldt
Officiellement, la Fuego n’eut pas de déclinaison cabriolet. Pourtant, au moment du lancement de la voiture aux USA, Renault envisage d’en proposer une version à la clientèle américaine, friande des découvrables. La Régie fait alors appel à Heuliez afin d’étudier la faisabilité d’un tel projet. Fin 1982, l’entreprise envoie sa vision de l’affaire chez AMC pour évaluation. La voiture est particulièrement réussie et son intérieur très soigné. Pourtant, le projet sera finalement refusé : la Fuego subit aux USA la même désillusion qu’en Europe après des débuts très prometteurs et ses ventes dégringolent. L’investissement ne semble plus rentable et la voiture est renvoyée chez Heuliez qui la conservera dans ses réserves jusqu’à sa vente en 2012.
Outre Rhin, une autre vision de la Fuego cabriolet voit le jour en 1983. Au pays du tuning, le concessionnaire Renault de Hambourg Axel Einfeldt entrevoit un potentiel et fait réaliser un premier modèle au look fort peu discret et pour tout dire d’assez mauvais goût. Mais cela suffit à Einfeldt pour écouler 12 exemplaires jusqu’en 1985 dont il ne resterait plus, aujourd’hui, que 7 modèles. Une rareté qui vaut bien de passer outre son design outrancier.
Un coupé à redécouvrir
La Fuego sera le dernier coupé Renault avant que la marque ne tente à nouveau le coup avec la Laguna Coupé en octobre 2008, sur un créneau plus bourgeois et GT. La mode du coupé populaire était passée dès le milieu des années 80, et la Fuego en fit les frais, du moins en apparence. Car sur un marché ultra-concurrentiel, face à des GTI mieux armées et avec un physique jugé dépassé (à tort) assez rapidement, la Fuego fit mieux que se défendre, égalant presque les volumes des R15/R17 malgré des tarifs un peu hauts. Parmi ses congénères européennes, seule la Ford Capri III dépassa les 300 000 exemplaires tandis que la Fuego, produite moins longtemps, talonnait la Volkswagen Scirocco que personne ne trouve ringarde aujourd’hui. Il convient donc de regarder la Fuego avec un nouvel oeil, faire fi des blagues idiotes et de son image colportée par des humoristes à la gâchette facile (mais drôle), et convenir qu’elle a quelques atouts aujourd’hui : une ligne typique de son époque, joliment dessinée (mais sans doute trop banale), un confort hors pair grâce à ses fauteuils “pétale” identifiables entre tous, un côté décalé et des performances honorables dans ses versions hautes.
Aller plus loin : la Fuego au Cinéma
La Fuego a d’abord connu une carrière classique, apparaissant dans de nombreux films des années 80 comme figurante totalement légitime dans l’environnement automobile de l’époque. Elle paraît cependant plus exotiques aux américains qui la voient apparaître dans la série Magnum, ou bien K2000 avec un David Hasselhoff bien décidé à récupérer KITT grâce à son destrier français occasionnel. On l’aperçoit aussi dans Un jour sans fin à de nombreuses reprises puisque la scène ne cesse de se répéter avec ce casse-pieds d’ancien copain de classe devenu assureur. Dans les années 2000 en France, la Fuego devient l’objet de moqueries. Dans Caméra Café, c’est l’une des montures de Jean-Claude Constant (avant d’opter pour une Xantia) mais c’est surtout grâce au film Mais qui a tué Pamela Rose, de Kad et Olivier, qu’elle gagne un potentiel comique, devenant une “voiture de collection de prestige”, et, comme dit Kad : “il n’y en a plus que trois qui roulent dans le monde, et moi j’ai la numéro 4”.
Images : Renault Communication, Car Design Archive, DR, IMCDB.org
5 commentaires
La fuego et la Porsche 924 ont un arrière un peu similaire, et pour cause ! C’est la même pièce de verre qui a été utilisée ; elle a simplement été retournée sur la fuego !
Renault cherchait une solution économique et a tout simplement pioché dans le catalogue de Saint-Gobain…
Merci Christian pour cette précision : j’ignorais ce détail ô combien important pour comprendre cette « ressemblance ».
Il doit bien y avoir une certaine cohérence, des données reprises de l’une à l’autre, de la R14 jusqu’à la Fuego. Mais là, on ne sait où poster le commentaire, sous le sujet de l’une ou de l’autre. Des R14 de 1978-1979 étaient affublées d’un bandeau autocollant au sommet de l’aile avant, pratique conservée sur la TS et doublé au pied du montant « C », la bande du haut portant le nom de l’auto. Cette ceinture fait celle de bandes noires striées de la Fuego. De même l’aile arrière enflée annoncée par un pli, passe, adaptée, de l’une à l’autre. Bref, la Fuego porte un petit quelque chose de la R14 qui lui est de peu antérieure. Aussi, quand on voit ici le dessin d’une Fuego à 4 portes, outre l’évidence tant répétée de la R25 à venir, une esquisse de généalogie formelle est traçable. Et sans bulle, cette Fuego 4 portes n’est pas si R18. Tout cela se croise, forcément, entre la version basse de la Fuego (1 397 cm3/64 ch) et la version haute de la R14 (1 360 cm3/70 ch). Un temps d’unité de style associant de près ou de loin 4 modèles Renault, R14, R18, Fuego, R25. Mais, avec des si. Et puis pourquoi comparer jusqu’à l’usure la Fuego avec la 924 alors qu’un autre coupé germanique, l’Audi GT/GL ou Audi Coupé dérivé de la 80, lourd d’allure, commençait avec un seize-cents de 75 ch, suivi par un dix-huit-cents de 90 ch ou un autre de 112 ch, issu de la 80 ?
Une remarque concernant les mécaniques produites à Douvrin. Chaque constructeur restait le mettre de sa mécanique. Tout comme Renault n’a rien apporté au moteur X, Peugeot n’a rien apporté au moteur J, le 2 litres, dont il l’objet dans cette article.
Par contre toutes les mécaniques produites dans cette usine, devaient servir tous les constructeurs.
A ce titre, d’ailleurs Mr Levy, PDG de Renault, c’est offusqué auprès de PSA, que le moteur 2,5 diesel produit à Douvrin par Peugeot, et compte tenu de son architecture était impossible à caser sous le capot des Renault.
Merci Sylvain pour ces précisions (et bien vu pour le 2.5 D).