Alors que l’heure de la retraite sonnait pour l’Alpine A310 qui, sans avoir fait oublier totalement la Berlinette, s’était imposée comme l’Alpine la plus vendue jusqu’alors, il convenait de développer et lancer une remplaçante. C’est ainsi que la Régie Renault, désormais seule aux manettes à Dieppe, lançait au début de l’année 1985 la V6 GT, rapidement rejointe par la plus sportive et puissante V6 Turbo, évolution moderne et aérodynamique de l’A310 vieillissante. Malheureusement, la nouvelle venue, surnommée GTA (Grand Tourisme Alpine) ne rencontrera pas le succès escompté malgré une ligne élégante et des performances relativement intéressantes (surtout en version Turbo).
Production (1984-1991) : 6 494 exemplaires
Dont : 1 509 GT, 4 082 Turbo, 488 Turbo Catalysées (dont 100 Mille Miles), 325 Le Mans (dont 26 en RHD), 69 Turbo Cup et 21 GTA US
Une relève pour l’A310
Le développement de la GTA commence au début des années 80. Si la technique ne pose pas de problème en reprenant le principe de l’A310 (un châssis poutre métallique habillé d’une coque en fibres de verre) et que le V6 PRV est reconduit, le design fait quant à lui l’objet d’un soin tout particulier avec pour objectif d’évoquer l’A310 tout en donnant à la voiture un aspect moderne et aérodynamique. Pour cela, Renault va mettre en compétition son propre bureau de style, le Bérex (Bureau d’études et de recherche exploratoire) d’Alpine, le centre de design d’American Motors et le carrossier Heuliez qui tente à l’époque de développer son activité design. Contre toute attente, c’est ce dernier qui remporte le concours grâce à un dessin très réussi d’un designer méconnu à l’époque mais ô combien talentueux, Gérard Godfroy. Ironie de l’histoire, il dessinera avec brio quelques mois plus tard la Venturi, qui deviendra la principale concurrente d’Alpine pendant presque une décennie. L’intérieur, quant à lui, était dessiné par Renault, et cela se voit.
Alpine V6 Turbo Cup (69 exemplaires)
Pour promouvoir sa nouvelle voiture, Alpine décide d’organiser une challenge monotype appelé Europa Cup. Des V6 Turbo coursifiées sont proposées à la vente à une clientèle d’écuries ou de Gentlemen Drivers afin de participer à la compétition organisée la plupart du temps en ouverture des Grands Prix de Formule 1. Les V6 Turbo sont allégées (environ 1 000 kg), dotées d’un arceau de sécurité et leur moteur gonflé à 250 chevaux (les puissance évolueront au fil des ans, jusqu’à 280 chevaux). Ces Alpine V6 Turbo Cup sont les premières à étrenner le nouveau Z7U de 2.5 litres puisque la compétition commence en mai 1985 avec 54 voitures vendues. L’Europa Cup durera jusqu’en 1988 et la production sera portée à 69 voitures au total.
L’atmosphérique avant le turbo
La collaboration avec Heuliez ne se limitait pas au dessin de la voiture. Le carrossier se chargeait aussi de la production du châssis poutre et des deux faux châssis dans son usine de Cerizay, dans les Deux-Sèvres. Pour la motorisation (à l’arrière, toujours), seul le V6 PRV est choisi, mais en deux versions : l’une atmosphérique de 2 849 cc développant 160 chevaux, l’autre turbo de 2 458 cc et poussée à 200 chevaux (185 seulement sur la Renault 25 contemporaine). Mais il faudra attendre pour cette V6 Turbo car le nouveau V6 Z7U doté d’un nouveau vilebrequin à manetons décalés n’est pas encore prêt. Lorsque Renault présente la V6 GT en octobre 1984 aux journalistes puis en mars 1985 à Genève (la production a déjà commencé fin 1984), elle doit donc se contenter d’un “vieux” V6 au fonctionnement toujours un peu bancal. Pire, elle conserve ses deux carburateurs sans même passer à l’injection.
Alpine V6 GT Gendarmerie
Au milieu des années 80, les Alpine A310 V6 encore en service commencent à être bien usées tandis que les versions 4 cylindres ont été réformées depuis longtemps, tout comme les SM. Les BRI ne peuvent compter que sur leurs vaillantes CX. Pour essayer de convaincre la Gendarmerie de rester fidèle, la marque de Dieppe va prêter en 1986 pas moins de 8 exemplaires de l’Alpine V6 GT, dont le V6 PRV atmosphérique de 2.8 litres offre 160 chevaux. Un choix étrange puisque la version Turbo était disponible au catalogue avec 40 chevaux de plus. D’ailleurs, la Gendarmerie ne s’y trompe pas et finit par rendre ces Alpine à leur constructeur durant l’année 1987. Seuls 7 exemplaires seront restitués puisqu’une V6 GT sera accidentée durant le Tour de France.
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Une voiture bien placée, mais mal marketée
Ce n’est qu’en septembre 1985 qu’apparaît la V6 Turbo qui a laissé la primeur du nouveau moteur à la Renault 25 V6 Turbo. Enfin, la nouvelle Alpine semble compétitive mais le tarif s’en ressent : en 1986, la V6 GT coûte 188 000 Francs quand la Turbo grimpe à 227 000 Francs. Malgré cela, les deux modèles sont compétitifs face à la concurrence : la Venturi 200 dotée du même moteur V6 se paie 288 000 Francs (le prix de l’artisanat), la Lotus Esprit à 4 cylindres (160 chevaux) coûte 285 000 Francs. Chez Porsche, la 924 S (4 cylindres 150 chevaux) est affichée à 167 500 Francs, la 944 (163 chevaux) à 218 300 Francs et sa version Turbo (220 chevaux) à 307 000 Francs. On le voit, la GTA n’est pas si mal placée mais paie cher son manque d’image et une qualité perçue déplorable. Surtout qu’il ne s’agit plus d’une Alpine mais bien d’une Renault-Alpine, siglée du losange et vendue comme telle. Quitte à acheter une Renault, autant se tourner vers une Renault 25 V6 Turbo presque aussi performante, plus polyvalente et située dans la même zone de prix (197 600 Francs).
Alpine GTA US
Début 1986, Renault, emmené par Georges Besse, croit encore en sa capacité de s’imposer aux Etats-Unis avec son allié AMC. On confie donc au Bérex la charge de concevoir une GTA adaptée au marché américain. Seul le modèle Turbo doit traverser l’Amérique. Le châssis bénéficie notamment d’un gros travail d’adaptation (un travail qui bénéficiera à l’A610, heureusement) tandis que de nombreuse modifications sont apportées au modèle (feux escamotables, nouveaux boucliers à amortisseurs d’énergie, flancs renforcés, troisième feux stop, clignotants latéraux etc). Au total, 21 pré-séries seront fabriquées en 1986 avant que le programme ne soit annulé en 1987. La donne avait changé, et Raymond Lévy, successeur de Besse après son assassinat, décide de jeter l’éponge aux USA. Douze exemplaires seront vendus à des particuliers, les autres servant ensuite de mulet pour le développement de l’A610.
Des ventes correctes, mais des espoirs déçus
L’Alpine GTA n’est pas ridicule malgré tout : dès sa première année pleine (1985), 1 037 exemplaires sont écoulés et, jusqu’en 1988, les ventes oscillent entre 1 198 (1987) et 1 327 (1986), en passant par 1 256 (1988). Un rythme de croisière tout à fait acceptable, mais pas suffisant pour faire oublier le record de l’A310 (11 484 unités entre 1971 et 1985). Cependant, les ventes plongent à partir de 1989 : le modèle vieillit vite et semble déjà dépassé par une concurrence plus moderne. La V6 GT fait quasiment de la figuration quand la Turbo assure l’essentiel des ventes. Aussi, la marque va se lancer dans une politique de séries limitées (Mille Miles, Le Mans, voir encadrés) et revenir au seul logo Alpine (1989). Mais alors que chez Venturi, on lance un modèle poussé à 260 chevaux, chez Alpine la puissance est en berne avec le passage au pot catalytique : la puissance tombe à 185 chevaux seulement. Étrange puisqu’au même moment, la Renault 25 V6 Turbo grimpe, elle, à 205 chevaux.
Alpine V6 Turbo Le Mans (325 exemplaires)
Après la série spéciale Mille Miles, Alpine continue sa politique de série spéciale avec la Le Mans, qui doit clôturer la carrière de la GTA aux côtés des quelques Turbo catalysées classiques. Contrairement à la Mille Miles qui se contentait d’un équipement enrichi (et d’une teinte spécifique), la Le Mans se veut un modèle à part et obtient, pour cela, un kit carrosserie particulièrement agressif qui évoque les lignes à venir de l’A610. Ainsi recarrossée, la Le Mans paraît beaucoup plus moderne et, pour tout dire, particulièrement séduisante. Hélas, elle doit se contenter du PRV décatalysé et donc dégonflé à 185 chevaux et c’est d’autant plus dommage qu’au même moment, la Renault 25 V6 Turbo s’offrait 205 chevaux malgré la dépollution : une décision incompréhensible tant les deux voitures ne se faisaient pas concurrence. Malgré cela, 325 clients (dont 26 en conduite à droite) se porteront acquéreurs de cette série limitée (les derniers exemplaires seront produits début 1991).
L’A610 prend la suite
La politique de la maison n’est pas très lisible et l’on sent bien que la GTA est, d’une certaine manière, abandonnée à son sort. L’héritière est déjà en préparation et doit permettre une remontée en gamme : l’A610. En 1990, les ventes tombent à 535, soutenues par la présence de la Le Mans et de son kit carrosserie (291 exemplaires cette année-là) tandis qu’en 1991, seules les dernières unités de Le Mans sont produites (34) avant de laisser la place à la belle A610. Cette dernière sera pourtant un échec encore plus flagrant : alors que 6 494 GTA auront été produites à Dieppe, seuls 818 A610 trouveront preneur. Finalement, la GTA aura tenu son rang : sa production sur 6 ans seulement la met au même niveau que l’A310 sur une durée de vie double !
Oui mais voilà, la GTA paiera sans doute le manque de moyen lors de son développement, ses évolutions limitées (ou bien même moins-disantes avec une grosse baisse de puissance au fil des ans), sa ligne certes très belle mais sûrement trop discrète, l’étrange marketing de Renault (version atmosphérique dépassée, losange sur le capot, qualité déplorable et loin du luxe attendu sur ce type d’automobile malgré un équipement très complet etc). L’avantage cependant c’est qu’elle est moins recherchée aujourd’hui qu’une A310 ou qu’une A610 (on ne parle même pas de l’A110), ce qui permet de s’offrir une Alpine dans une zone de prix tout à fait raisonnable (particulièrement la V6 GT).
Images : Renault Communication, André Leroux, DR