Alors que la Frégate avait dû s’éclipser en 1961, trop dépassée pour pouvoir lutter contre le couple Citroën DS/ID et la Peugeot 403 puis 404, Renault s’était résignée à faire acte de présence dans le moyen/haut de gamme avec une Rambler d’origine américaine, assemblée en Belgique et totalement déconnectée des réalités du marché français comme européen. Face à une DS dominante flanquée de son dérivé ID plus accessible et à une 404 sérieuse en tous points, il ne restait plus à Renault qu’une solution : inventer un nouveau concept. Plus compacte, plus modulaire (déjà !), différente en somme, la Renault 16 prenait un risque calculé en s’inspirant de la petite R4. C’était osé, ils l’ont fait, et le slogan “ça ne marchera jamais” aurait pu être appliqué dès 1965 qui, contre toute attente, explosera les plafonds.
Production (1965-1980) : 1 851 502 exemplaires
Flins, Sandouville, Novo mesto (1974-1976), Australie (1968-1977), Maroc (SOMACA 1967-1978), Algérie (1968-1971), Canada (SOMA 1966-1973)
Du projet 114 au projet 115
Après l’abandon du projet 114, une berline haut de gamme assez traditionnelle, Renault s’engage en 1961 dans une nouvelle voie matérialisée par le projet 115. Il s’agit ici de proposer au public une voiture capable d’être en même temps un haut de gamme et une voiture familiale innovante. Pour créer ce nouveau modèle, les ingénieurs et designers de la Régie vont tout simplement s’inspirer du dernier modèle de la marque, la populaire et ingénieuse Renault 4. Appliquer les recettes du bas de gamme pour créer un haut de gamme était en soi révolutionnaire. Les solutions retenues pour un véhicule de ce standing aussi : 2 volumes, hayon, traction, modularité, autant de termes qui ne rentraient que rarement dans les cahiers des charges des grandes berlines de l’époque. Pourtant, Pierre Dreyfus, le patron de Renault à l’époque, y croit dur comme fer : pour s’imposer face à la DS ou à la 404, il faut innover et imposer au marché une nouvelle façon de voir.
Gaston Juchet dessine une R16 révolutionnaire
Au crayon, on trouve un jeune designer, Gaston Juchet (sous la direction de Claude Prost-Dame et accompagné du modeleur Lucien Louis) qui va trouver le juste équilibre entre praticité et standing, préservant par ses 6 glaces latérales son statut de limousine tout en offrant une cinquième porte à la manière de la petite R4. Le résultat nous paraît évident aujourd’hui tant ce type de carrosserie s’est banalisé. A l’époque pourtant, c’était une vraie révolution et un pari osé : comment la clientèle plutôt traditionnelle sur ce segment allait-elle réagir ? Le projet est en tout cas crucial pour Renault qui y croit à raison : une nouvelle usine est bâtie à Sandouville, d’où sortira le nouveau modèle et la production commence dès la fin de l’année 1964 sous le nom de Renault 16. Dès le 5 septembre 1963, le magazine l’Auto-Journal révèle la “future 1 500 à traction avant” avec un dessin très ressemblant signé René Bellu. Le projet 115 récupère un maximum du projet 114 (très avancé au moment de son annulation) afin de réduire le temps de développement. Même le moteur sera en fait issu du 6 cylindres initialement prévu, amputé de deux cylindres.
La 16 accompagnée par la 10 et la Rambler
Cette nouveauté n’est d’ailleurs pas la seule dans les cartons. Pour accompagner la montée en gamme et combler le vide existant alors entre la compacte Renault 8 et la nouvelle grande R16, la Régie imagine une Renault 10 certes un peu bricolée mais parfaite pour faire la jointure. Elle permettra en outre de récupérer les conservateurs et autres amateurs de propulsion et du moteur à l’arrière, tandis que la 16 contenterait ce qu’on appelle aujourd’hui les early adopters. La Rambler continue d’être produite au compte goutte tandis que Renault réfléchit avec Peugeot à une berline encore plus haut de gamme, le projet H, à moteur V8. Ce dernier ne verra jamais le jour, chacun partant de son côté avec des ambitions plus modestes qui donneront naissance à la Renault 30 pour l’un et à la Peugeot 604 pour l’autre.
Une berline confortable et modulable, mais sous-motorisée
Si la production est lancée à Sandouville dès décembre 1964, ce n’est qu’en mars 1965, au Salon de Genève, qu’est présentée la toute nouvelle Renault 16. Le nouveau modèle fait l’effet d’une bombe. A peine 4 ans après le lancement du projet, la voiture est non seulement prête mais elle répond en plus aux attentes du public. Il s’agit alors d’une 8 CV équipée d’un 1 470 cc de 55 chevaux (DIN) accouplé à une boîte manuelle à 4 vitesses, disponible en finition normale ou Super (ou Luxe pour le marché nord-américain, voir encadré, cette dernière disposant d’une boîte automatique à 3 rapports en option bien avant les modèles européens). La voiture, à roues indépendantes, disques à l’avant et tambours à l’arrière, dispose comme la R4 d’une barre de torsion transversale à l’arrière et longitudinale à l’avant, lui offrant un empattement asymétrique étonnant.
Voiture de l’année 1966 en Europe
Si ses caractéristiques techniques ne lui permettent pas encore d’aller titiller la concurrence en termes de performances (145 km/h seulement et une puissance basse), son habitabilité est sans commune mesure : grâce à sa banquette arrière rabattable, elle peut littéralement se transformer en utilitaire à la demande (et permet de nombreuses configurations comme le montre la photo présente dans cet article. C’est sur cette polyvalence que compte Renault pour convaincre la clientèle en attendant des mécaniques plus performantes. D’ailleurs, la 16 s’impose rapidement comme une excellente voiture, agréable et confortable. Elle reçoit d’ailleurs en février 1966 le Trophée européen de la voiture de l’année au salon d’Amsterdam.
La Renault 16 au Canada
Production (66-73) : 12 183 exemplaires dont 1 756 R16 L, 6 467 TL/GL, 2.612 TA et 1 348 TS
Depuis 1963, des discussions ont lieu entre les autorités du Québec, Renault et l’État français pour produire des automobiles dans la Belle Province. Ces pourparlers aboutissent en 1965 avec la construction d’une usine à Saint Bruno de Montarville, près de Montréal, chargée de produire des véhicules Renault, mais aussi des Peugeot, en CKD (kits envoyés depuis la France et montés sur place par la SOMA, Société de Montage Automobile). La Renault 16 va donc être fabriquée au Canada aux côtés de la Renault 8 et des Peugeot 204 et 404. Pourtant, l’opération vire rapidement au cauchemar. Peugeot quitte le navire tandis que Renault perd beaucoup d’argent sur chaque véhicule qui coûte 200 dollars plus cher que l’équivalent importé, taxes comprises. Les relations entre Renault, la SOMA et le gouvernement québécois tournent à l’orage et Renault quitte définitivement l’affaire en janvier 1973. La R16 aura malgré tout rencontré un petit succès d’estime, avec 12 183 exemplaires produits.
Evolutions en douceur
Si la production a commencé en 1966 au Canada dans l’usine SOMA, il faut attendre 1967 pour la voir débarquer aux Etats-Unis où sa diffusion restera relativement confidentielle. En mai 1968, la Renault 16 reçoit enfin un moteur digne de ce nom sur la version TS : 1 565 cc et 83 chevaux (DIN) permettent d’atteindre les 160 km/h. C’est beaucoup mieux même si on reste dans des zones paisibles, mais la voiture ainsi motorisée passe alors dans la catégorie des 9 CV. En mars 1969, la gamme s’élargit encore avec la 16 TA (pour automatique) dotée du moteur de la TS mais dégonflé à 67 chevaux. Pour l’année modèle 1970, la gamme est réorganisée et reçoit un restylage de mi-vie. Les Normale et Super disparaissent au profit de la 16 L et TL dotées du même moteur que la TA. Il n’y a alors plus de 8 CV dans la gamme R16. La TS, elle, passe à 85 chevaux. C’est d’ailleurs en 1970 que la R16 atteint son record de production avec 186 632 exemplaires produits.
La Renault 16 en Australie
Production (68-76): environ 13 000 exemplaires
Poursuivant son expansion internationale, Renault voit dans l’Australie un débouché intéressant et rachète un assembleur local en août 1966. La Régie lance alors la production de la R10, puis de la R4 Fourgonnette et de la R8 Gordini aux côtés des Peugeot 404 dont elle continue la production par contrat. En juin 1968, c’est au tour de la Renault 16 d’être assemblée en CKD dans l’usine de West Heidelberg dans sa version 1 470 cc. La version TS est produite en Australie à partir de mars 1969 tandis que la 12 rejoint la gamme aussie en novembre 1970. Les R16 TL, TS et TS Spécial seront fabriquées jusqu’en 1976, et vendues jusqu’en 1977, réussissant à convaincre environ 13 000 clients.
La R16 enfin à maturité avec la TX
Ce n’est que huit années après son lancement que la Renault 16 récupère un vrai haut de gamme avec la TX, dévoilée en octobre 1973. Avec son 4 cylindres 1 647 cc de 93 chevaux (90 en boîte automatique) et ses 5 rapports manuels, les performances décollent enfin (170 km/h) tandis que le standing s’affiche par une face avant différente à double optiques (à la manière de la R30 vis à vis de la R20 peu de temps plus tard) et un équipement intérieur riche et de bonne facture. Hélas, c’est un peu tard d’autant que les Renault 30 puis 20 sont présentées en 1975. Bizarrement, ce sont les entrées de gamme L et TS qui sont supprimée en septembre 1976, ne gardant au catalogue que l’intermédiaire TL et le haut de gamme TX qui perdureront jusqu’en septembre 1980.
La base des Renault pour les 50 années à venir
Ainsi, la révolutionnaire Renault 16 aura-t-elle duré plus de 15 ans au catalogue. Sa longévité lui permet d’atteindre 1 851 502 exemplaires au total mais surtout d’imposer un nouveau concept signé Renault pour de longues années. La 20, la 30 mais aussi la 25 puis la Safrane continueront dans la voie d’une grande berline à hayon même si elles perdront un peu en modularité. Cette modularité, on la retrouvera surtout dans le futur Espace. Car si le concept fut apporté par Matra après le refus d’un PSA en trop grande difficulté, c’est bien Renault qui imposa l’agencement du monospace, inspiré de sa bonne vieille R16 et amélioré. On peut donc parler d’une voiture fondamentale pour Renault, posant les jalons pour les 50 années à venir en plus d’être un succès commercial sans précédent pour la marque à ce niveau de gamme.
Photos : Renault Classic, DR