Dans les années 60, les constructeurs automobiles commencent à réfléchir à l’articulation d’une véritable gamme. Conscient du trou béant existant entre la 2CV et la DS, Citroën fut le premier à dégainer avec une Ami 6 bricolée sur la base d’une deuche mais c’est Peugeot qui crée la surprise en 1965 en dégainant une 204 révolutionnaire donnant ses lettres de noblesses à la berline de moyenne gamme (qui donnera naissance au segment M1). Renault ne pouvait rester les bras croisés d’autant que le duo R8/R10 qui jouait peu ou proue ce rôle commençait à vieillir et à pâtir de son architecture “tout à l’arrière”. Or depuis 1961, la R4 connaissait un succès sans précédent tandis que la R16, lancée en 1965, annonçait la possibilité d’une gamme cohérente. C’est ainsi qu’est lancé le projet 118 qui accouchera d’une Renault 6 héritant des bonnes idées de ses devancières mais aussi d’un physique fade qu’on aime moquer aujourd’hui. Discrètement pourtant, la 6 s’installera sur le marché comme une alternative crédible et deviendra un vrai succès commercial.
Production (1968-1980) : 1 743 314 exemplaires
Lieux de production : Billancourt, Valladolid (Espagne, 327 802 ex), Envigado (Colombie), Santa Isabel (Argentine)
Un trait d’union entre R4 et R16
Au milieu de la décennie, il devient de plus en plus évident qu’une demande existe pour un véhicule plus spacieux que les populaires d’alors (2CV, R4) mais restant dans une gamme tarifaire et fiscale correcte tout en utilisant la technologie moderne d’alors (id est le moteur avant et la traction). Citroën avait senti le filon en 1961 et lancé l’Ami 6 mais cette dernière, bien que plus puissante que la 2CV, restait sous-motorisée (602 cc de 22 puis 26 chevaux, pour 3 CV fiscaux) et son physique étonnant signé Flaminio Bertoni pouvait en rebuter plus d’un. D’ailleurs, la version break moins surprenante (et plus pratique) prendra vite le dessus sur la berline à l’étrange vitre arrière inversée. Une situation qui n’échappera pas à Renault lors de la conception du projet 118. Preuve s’il en était qu’un marché existe bien, l’Ami 6 rencontre le succès malgré ses handicaps. Le lancement de la Peugeot 204 en 1965 conforte Renault dans cette idée, d’autant que la sochalienne n’est pas une voiture au rabais, mais une proposition moderne et performante pour des clients cherchant à monter en gamme comme en performances. Cette année-là, Renault présente la Renault 16 qui vise certes plus haut, mais contient des arguments applicables un cran plus bas, sur une nouvelle voiture.
Le projet 118
Le projet 118 va donc faire la synthèse des Renault 4 et 16 afin de dynamiser la gamme. Renault a clairement décidé de passer définitivement à la traction, condamnant à terme les R8 et R10 certes amusantes à conduire, mais manquant clairement de praticité (elles seront remplacées en 1969 par la Renault 12). Le projet se base donc sur la partie technique et le châssis (à l’empattement asymétrique) de la petite 4 mais s’inspire du style et de la modularité de la grande 16. Renault confirme avec sa nouvelle 6 son attachement au hayon. Présentée en octobre 1968 au Salon de Paris, la voiture ne fait pas sensation : la faute à son style moins réussi que celui de la 16, moins jovial que celui de la 4 et, pour tout dire, pas franchement joyeux. Son pavillon haut et sa compacité lui donnent des proportions étranges et l’ensemble ne paraît pas très valorisant. Bernard Carat, journaliste à l’Auto-Journal, résume de façon lapidaire la situation : “une fois encore, nous dirons que ce qui manque le plus à la Régie Renault, c’est un styliste”. Gaston Juchet, qui vient de prendre la direction du Style, a dû apprécier la formule !
La 6 s’installe
Côté mécanique, Renault ne prend pas de risque. Alors que Peugeot avait offert un tout nouveau moteur en alliage à sa 204, la Régie préfère jouer la tranquillité en optant pour Billancourt inauguré par la Dauphine. Ce 4 cylindres de 845 cc délivre 38 chevaux SAE ( soit 34 ch DIN et 5 CV fiscaux), suffisants pour atteindre les 120 km/h grâce au poids contenu de 745 kg. De là à parler d’un foudre de guerre ? N’exagérons rien, il lui faut tout de même 43 secondes pour atteindre le kilomètre départ arrêté. C’est pourquoi en 1970, Renault décide d’offrir un Cléon-Fonte à sa R6, dans une déclinaison plus luxueuse (façon de parler) appelée TL. Avec 1 108 cc, ce dernier développe dix chevaux de plus (48 ch SAE soit 45 ch DIN) : pour absorber une telle puissance (façon de parler là encore), la R6 TL récupère des freins à disque à l’avant contre 4 tambours pour la version Billancourt.
Renault 6 4×4 Sinpar (1971)
Depuis presque dix ans, le spécialiste Sinpar, désormais filiale de Renault, propose une version à 4 roues motrices de la petite Renault 4 (en plus d’avoir fabriqué l’éphémère Plein Air qui restait une traction). C’est tout naturellement qu’elle propose la même transformation sur la base de la plus spacieuse Renault 6, rendant possible l’ascension de pentes de plus de 40 %. Ce modèle relativement cher et produit de façon artisanale à quelques exemplaires, séduira surtout les administrations ou des professionnels situés en zone difficile (montagne, DOM ou TOM).
Un succès inattendu
Malgré l’étonnement du public lors du lancement fin 1968, la mayonnaise prend petit à petit. Elle prend parfaitement place entre la 4 trop populaire, la 12 plus classique (3 volumes 4 portes) et la 16 plus originale mais plus chère. Sérieuse et appliquée, la 6 ne fait pas d’esbroufe et en donne pour son argent, et c’est bien là l’essentiel. Les ventes s’en ressentent malgré la concurrence de plus en plus rude sur le créneau (Citroën Ami 8 et GS, Simca 1100, Peugeot 204 et 304). Pour l’année 1970, la production s’élève à 200 469 exemplaires (sur 3 sites, Billancourt, Valladolid et Santa Isabel depuis 1969). En 1971, c’est l’apothéose avec 236 177 unités sorties d’usine (la Colombie produit désormais le modèle). Jamais la R6 n’atteindra plus ce record, mais les ventes restent très correctes malgré une baisse régulière, normale, avec l’âge de la voiture.
Renault Rodéo 6
Après l’échec de la R4 Plein Air produite par Sinpar, Renault va se reposer sur un sous-traitant, les Ateliers de Construction du Livradois (ACL, qui prendra le nom de son fondateur Teilhol en 1978) pour produire à partir de 1970 un véhicule de loisir concurrent de la Méhari, dérivée de la Renault 4 : la Rodéo 4. En octobre 1972, ACL décline le concept sur la base de la Renault 6 plus puissante et présente au Salon de Paris : la Rodéo 6. Elle récupèrera en 1979 le moteur de la 5 GTL, un 1 289 cc. Elle terminera sa carrière en juillet 1981. Au total (Rodéo 5 comprise, sur base R5), ACL / Teilhol produira environ 60 000 exemplaires des Rodéo.
Une carrière très honorable
En 1974, la Renault 6 n’est pas encore bonne pour la retraite. Renault lui offre alors un restylage censé la faire entrer de plain-pied dans les années 70. Pour cela, la calandre abandonne le métal pour le plastique noir : une solution pratique et pas cher pour changer la physionomie de la voiture. Les ventes subissent une amélioration, remontant à 173 817 exemplaires, mais la chute reprend dès 1975. Elles passent sous la barre des 100 000 en 1977 (77 282 pour être précis, concurrencée en interne par une R14 plus en phase) pour terminer discrètement l’année 1980 à 29 255 exemplaires. Cette année-là sera donc la dernière pour la R6 en France mais elle continuera sa carrière encore quelque temps en Amérique du Sud (jusqu’en 1984) et surtout en Espagne (1986). Au total, plus de 1.7 millions de clients se laisseront tenter par la Renault 6 en 18 ans de carrière : pas mal pour une voiture au physique pas facile.
Images : Renault Classic, DR