Au tout début des années 60, Renault se trouve devant un dilemme dans le haut de gamme (des voitures de plus de 10 CV fiscaux). Sa Frégate n’a pas réussi à s’imposer, balayée par la DS au-dessus d’elle et la 403 en dessous. Le projet de renouvellement (114) jugé trop coûteux a été annulé, et le projet 115 qui doit aboutir à une nouvelle proposition n’est pas encore prêt. Si Renault ne veut pas être effacé de ce créneau de marché, il lui faudra trouver une solution, fut-elle temporaire. Quoi de mieux qu’une américaine non encore importée en France, et d’une taille relativement adaptée à l’Europe, pour exister en haut de gamme ? C’est ainsi que Renault signe un partenariat de licence pour la production de la Rambler Classic, devenant ainsi le nouveau porte-étendard de la marque. Une initiative qui restera anecdotique dans l’histoire de la marque.
Production (avril 1962-juillet 1967) : 6 342 exemplaires
Montage CKD à Haren-Vilvoorde (Belgique)
Rebondir après la Frégate
En avril 1960, la Frégate fait ses adieux après dix années de carrière et 180 453 exemplaires produits. Cette berline de 11 CV devait concurrencer les Citroën Traction sur le créneau des grandes routières mais s’avéra sous-motorisée et vite ringardisée par la sortie successive des Peugeot 403 (plus accessible et fiscalement plus avantageuse) et Citroën DS (au style résolument moderne et à la technologie brillante) et de son dérivé plus simple ID. Dès 1958, la marque lance le projet 114 destiné à accoucher d’une grande routière à moteur avant et roues arrière motrices équipée d’un 6 cylindres. Mais ce véhicule est jugé trop cher à produire pour un marché incertain et lorsque la Frégate s’éteint, le projet 115 (qui donnera naissance à la Renault 16) n’est encore qu’au stade d’ébauche. Prévue pour 1965, elle laisse Renault sans haut de gamme pendant presque 5 années. En outre, cette dernière s’oriente plus vers une berline polyvalente qu’un véritable porte-drapeau.
La solution américaine
Renault va trouver la solution outre-Atlantique. En novembre 1959, la Régie signe un accord avec la société argentine IKA (Industrias Kaiser Argentina) pour la production sous licence de la Dauphine qui démarre en juin 1960. A la même époque, IKA négocie avec American Motors Corporation son entrée au capital et la production de la berline moyenne (à l’échelle de l’Amérique) Rambler Classic. Renault, partenaire de l’Argentin, est tenu au courant et comprend tout de suite l’intérêt qu’elle pourrait trouver en réalisant un accord du même type avec le constructeur américain. La Rambler possède un gabarit adapté à l’Europe (la même longueur qu’une DS/ID), un équipement pléthorique par rapport à la concurrence, et possède un 6 cylindres à soupapes en têtes de 3 205 cc et 129 chevaux (SAE). Surtout, elle reste inconnue sur nos routes et se prête tout à fait à une production sous licence.
Une grande berline à moindre frais
Renault va donc négocier avec AMC pour pouvoir produire cette grande berline. Un accord est signé le 22 novembre 1961 et les deux partenaires n’y voient que des avantages. Pour le Français, c’est l’assurance de disposer d’un haut de gamme à moindre frais ; pour l’Américain, c’est la certitude d’écouler des voitures sans avoir à se soucier de la distribution. L’accord prévoit en outre une organisation facile à mettre en place : il s’agit d’une production en CKD (Completely Knocked Down). Ainsi, AMC envoie par bateau des kits complets de fabrications vers l’usine belge d’Haren-Vilvoorde alors sous-employée, où ils sont assemblés sans avoir besoin d’un outillage lourd et coûteux. Les coûts assez faibles des voitures américaines permettent à Renault de sortir une voiture à 19 000 francs. C’est certes plus cher qu’un DS (14 245 francs) mais elle en offre plus : équipement riche et 6 cylindres puissant et onctueux. Revers de la médaille, la Rambler Classic voit sa puissance fiscale monter à 18 CV et sa consommation dépasser de loin celle de ses concurrentes. En outre, certains aspects restent moins reluisant qu’il n’y paraît : freins à tambour aux quatre roues, essieu arrière rigide et boîte manuelle à 3 vitesses à la 1ère non synchronisée (en option, une boîte automatique Flash-O-Matic à 3 rapports était proposée).
Des débuts discrets
La production commence en avril 1962 à Vilvoorde. Étrangement, Renault n’en fait pas particulièrement la promotion. Cette première mouture a l’allure d’une américaine, mais sa ligne est assez déroutante, notamment sa vitre arrière et les montants C inversés. Cependant, le partenariat avec AMC (et l’organisation industrielle légère) permet de suivre les évolutions du modèle. Or aux Etats-Unis, chaque millésime apporte de nombreuses modifications, notamment stylistiques, permettant de donner l’impression d’une perpétuelle nouveauté. Pour 1963, la technique n’évolue pas mais la ligne revient à une proposition plus traditionnelle et encore plus américaine. Malgré cela, les ventes ne décollent pas franchement. Renault n’en fait pas la publicité, et l’appartenance à la gamme française est discrète : elle se contente d’un monogramme Renault stylisé sur l’aile arrière (puis à l’avant à partir de 1964) et d’une plaque constructeur “American Motors Corp, assemblé par RNUR Bruxelles. Distributeur pour la France : Régie Nationale des Usines Renault”. Aucun losange nul part, et son nom Rambler Classic est conservé tel quel. Le moteur passe à 138 chevaux grâce à un carburateur double corps.
Renault Rambler Présidentielle Chapron
Pour donner un peu de visibilité à sa grande Rambler, Renault va tenter de draguer l’Elysée et de en proposant une version présidentielle blindée signée par le carrossier Chapron. Le design est remanié par Philippe Charbonneaux qui n’arrive pourtant pas à rendre la voiture plus élégante. Alourdie par le blindage, elle nécessite un plus gros moteur (5 258 cc, 250 chevaux) toujours américain. Présentée en 1963, elle sera boudée par un Général de Gaulle qui non seulement la trouve affreuse mais lui préfère nettement ses chères DS dont la tenue de route lui aura sauvé la vie au Petit-Clamart, en août 1962 et malgré l’absence de blindage. Immatriculée 6 PR 75, elle faisait pourtant bien partie de la flotte de l’Elysée avant d’être vendue à un collectionneur.
De plus en plus américaine
Si le modèle 1964 n’évolue que par petite touche, le millésime 1965 change beaucoup plus. Alors que les premières Rambler restaient dans des dimensions raisonnables, la nouvelle grandit de 10 centimètres, et son moteur passe à 3 258 cc et 140 chevaux. Plus de punch donc, mais la puissance fiscale passe à 19 CV ! En juillet 1966, la grande Renault ne peut plus cacher ses origines américaines et se base désormais sur la Rambler Rebel : la longueur atteint les 5 mètres, le 6 cylindres en ligne passe à 3 802 cc et la puissance augmente à 155 chevaux (pour 22 CV fiscaux). Le poids passe à 1 500 kg (contre 1 300 à 1 400 précédemment) et la consommation explose. Heureusement, elle gagne des freins à disques à l’avant. Pour tenter un dernier coup, Renault assemble aussi une version hard top coupé qui ne trouvera pas plus sa clientèle.
Un échec flagrant
Entre-temps, la Renault 16 est apparue en 1965 et le maintien dans la gamme de la Rambler apparaît moins crucial. De toute façon, la voiture ne se vend qu’au compte-goûte. La DS maintient son leadership assez facilement, les amateurs de sérieux n’hésitent pas à se tourner vers une 404 économique et fiable au look justement très américain, tandis que la R16 séduit une nouvelle clientèle iconoclaste à la recherche de praticité tout en maintenant un certain standing. Renault prend donc la décision en 1967 de stopper la Rambler, dont la dernière sort des chaînes en juillet après 6 342 exemplaires seulement.
Des relations solides avec AMC
L’échec de la Rambler est patent, mais tout n’aura pas été négatif. Renault aura maintenu à moindre frais une présence symbolique sur un marché difficile mais vecteur d’image. En outre, la Régie tissera des liens de confiance avec AMC qui compteront par la suite. Elle n’hésitera pas à lui reprendre sa participation dans IKA en Argentine en 1967 où elle continuera à produire la Rambler sous la forme d’une Torino devenue voiture nationale là-bas (et qui finira, dans les années 70, par porter le losange sur sa calandre). Enfin, elle prendra petit à petit des parts dans AMC à partir de la fin des années 70 pour finir par en prendre le contrôle au début des années 80 : mais cela, c’est une autre histoire.
Images : AMC, Renault, DR
Un commentaire
Dans la rue du Palais de mon enfance, au cours des années 60, le propriétaire du magasin « Les Galeries », un grand bazar, avait remplacé sa Fiat 1500 berline gris-bleu clair (la série 1961-1967), par une trilogie de Rambler. Voilà qui faisait cossu et exotique. Il eut d’abord une Classic noire modèle probablement 1965, typée sévère façon cinéma de Melville, succédée par la même, couleur « crème » comme on disait alors, mais en appuyant sur le « r ». Normal, c’est le patron du restaurant Le Cheval Blanc qui la racheta. On se croirait chez Simenon. Le fin du fin fut l’arrivée d’une blanche Rebel, parallélépipède façon Mannix, mais ce n’était pas si mal et moins compassé presque que les sérieuses Opel KAD (Kapitän, Admiral, Diplomat). 18 cylindres de Rambler plus loin, il y eut, je crois une sérieuse berline BMW 3.0, peut-être S.I. Toujours un L6 conservateur mais, pour sûr, le gain de productivité était patent. Salmson avait sa « Randonnée » (G72) au début des années 50, Renault fit débarquer la sienne et en vendit douze fois plus. Au fait, Rambler c’est la randonnée en anglais. Mais de quoi crapahuter.