La 305 est un cas d’école puisqu’elle se situe à une période mouvementée pour Peugeot. En moins de dix ans, la marque est passée de la culture du produit unique à un gamme de plus en plus variée, et l’entreprise a doublé de volume en absorbant Citroën entre 1974 et 1976. Les années 80 se profilent, avec leurs lots de nouveautés mais pour l’heure, il faut structurer la gamme et répondre à une clientèle fidèle, adepte de la fiabilité, de la solidité, du bien conçu et du sans surprises. Avec la 304, Peugeot avait bricolé une gamme intermédiaire entre la petite 204 et la grande 504. Avec l’arrivée de la 104 en bas et de la 604 en haut, il fallait faire mieux, plus statutaire mais toujours accessible. Ce sera la 305, initiatrice du 05 et premier acte du renouveau de Peugeot : une voiture plus intéressante qu’il n’y paraît !
Production (1977-1990) : 1 649 176 exemplaires
Repenser le plan produit
Lorsque Peugeot reprend Citroën à partir de 1974 (la fusion ne sera effective que deux ans plus tard), elle n’est que le troisième constructeur français, au coude à coude avec Simca mais derrière Renault et Citroën. Sa gamme reste limitée à la grande 504, une 204 en fin de vie, une 304 bricolée et une brillante 104, certes, mais bien malmenée par sa concurrente directe nommée Renault 5. Peugeot à l’époque, c’est la marque des gens sérieux, du notaire de province, loin des élucubrations de Citroën ou de Renault, des solutions techniques complexes ou des concepts novateurs. L’important à Sochaux (l’usine principale) ou Avenue de la Grande Armée (le siège) c’est de satisfaire le client, de rentabiliser l’outil industriel, et d’avancer pas à pas. Le rachat de la marque aux chevrons (un peu contraint) renforce Peugeot, a contrario, dans ses choix. La succession de la 304 se fera dans la continuité.
Remplacer la 304, soutenir la 504, compléter 104
Dès le début des années 70, on pense, chez Peugeot, à réorganiser la gamme. Lancée en 1972, la 104 fait office d’entrée de gamme et rogne un peu le potentiel d’une 204 vieillissante. Au dessus, la 304 l’amenuise aussi : elle en est directement dérivée et commence elle aussi à dater. La 504 fait le job dans le cœur de métier sochalien, mais il faut passer à autre chose. Le projet J est là pour y remédier. Enfin, pas tout à fait. Les circonstances feront de Peugeot le nouveau propriétaire de Citroën, et il faut repenser rapidement l’organisation et le plan produit. Le projet J s’avère trop coûteux, concurrent de la CX qu’il faut accompagner malgré tout. On décide alors de revenir à des ambitions moindres : faire évoluer le concept de la 304 en poussant le curseur un peu plus haut, vers la 504 et la 604, tout en laissant de la place à la 104 qui, sans ses deux déclinaisons (berline et coupé) se défend plutôt bien face à la pimpante Renault 5.
Du solide, du classique, du sérieux, du Peugeot
Pour la nouvelle 305, Peugeot va donc faire du Peugeot : du solide, du classique, du sérieux. Grâce à la novatrice 204, la firme dispose d’une excellente base déclinée par ailleurs en 304. Moderne en 1965, cette base le reste encore au milieu des années 70 : 4 roues indépendantes, traction, moteur transversal en alliage dont la boîte et le pont partagent le bloc avant. Révolutionnaire dans les sixties, encore d’actualité dans les 70s. La 305 reprendra donc cette architecture devenue classique, issue des 204 et 304. Cependant, elle n’en est pas une copie recarrossée mais plutôt une évolution logique. Ses fondamentaux sont les mêmes mais sa carrosserie entièrement nouvelle et imprégnée des nouveaux travaux sur la sécurité passive. En bref, la 305 est une 304 plus statutaire, plus sécurisante, mais à peine plus moderne.
Un dessin classique signé Gérard Welter
Pour enrober le tout, l’équipe de Paul Bouvot, secondé par Gérard Welter, va concevoir une voiture très classique (et gagner la compétition face à Pininfarina, évidemment consulté). Après les divers essais pour le projet J, le projet D4 se recentre sur l’essentiel : remplacer la 304 en montant un peu en gamme et sans faire d’ombre à la 504 (ni à la future 505). Rapidement, les stylistes, Welter en tête, s’orientent vers un dessin statutaire (3 volumes) proche de la récente 604. Ce choix est assez cohérent puisque dans le même temps, Citroën, nouvelle filiale du récent groupe PSA, propose la GS bicorps (sur le même segment ou presque) et la CX du même acabit un peu au-dessus : la répartition des rôles était acquise !
Le projet D4 prend forme
Évidemment, on réfléchit à des déclinaisons, notamment coupé, pour remplacer les 304 coupé et cabriolet : finalement, on se contentera d’une berline même si l’idée titillera les designers jusqu’au début des années 80. La 305 restera une berline, déclinée cependant en break pour compenser la disparition progressive de la 204 puis 304 dans cette carrosserie familiale et utilitaire. Après de nombreuses hésitations sur le style, la technique, le positionnement, le projet D4 n’est donc lancé qu’au début de l’année 1975. Heureusement que la technique était déjà validée (issue des 204/304 donc) car le temps pressait. Renault venait de présenter une R20 un cran en dessous de la 30 et concurrente de la 504, tandis que la R12 plus statutaire que la 304 commençait à lui faire de l’ombre (accompagnée de ses dérivés R15 et R17).
Peugeot 305 coupé : une tentation jamais assouvie
Durant la gestation du projet J, puis du projet D4, la direction de Peugeot et le bureau du style ont toujours hésité à donner une descendance aux 304 coupé et cabriolet. Si la question d’une décapotable semble avoir été tranchée assez vite (il faudra attendre la 306 Cabriolet pour revoir chez Peugeot une telle carrosserie dans la gamme médiane), celle du coupé a longtemps travaillé l’équipe. De nombreuses propositions ont été faites, y compris au début des années 80 (sans doute pour accompagner le restylage), sans jamais convaincre. La 305 restera donc à jamais une berline et un break, et par ricochet conservera à jamais l’image d’une voiture sérieuse et sans panache. Dommage !
Une 604 en miniature
A l’arrivée, la 305 est commercialisée en novembre 1977, peu après sa présentation au salon de Paris. Son look la fait paraître 604 en miniature, mais avec une plus grande maturité et un plus petit gabarit : on sent l’influence Mercedes et la volonté affichée de ne pas heurter la clientèle Peugeot du milieu de gamme, le socle de la marque. Comme la 604, elle ne récupère pas les feux en amandes de la 504 (un gimmick pourtant repris, plus tard, par la 505) et présente un profil très sérieux. Rappelons-le : si elle reprend la base technique des 204 et 304, celle-ci était très en avance dix ans plus tôt, et toujours dans le coup en 1977. Si le châssis est plus long, et le dessin nouveau, les fondamentaux restent les mêmes. A son lancement, la 305 récupère donc les qualités de ses devancières, et leurs moteurs : le XL5 en entrée de gamme (GL et GR, 1 290 cc et 60 chevaux, avec une boîte 4 vitesses) et le XR5 au dessus (SR, avant d’être élargie à toute la gamme, 1 472 cc et 74 chevaux, boîte 4 également).
Le marché répond présent
Ces puissances peuvent paraître faibles aujourd’hui, mais rappelons-le : la concurrence ne faisait pas mieux dans ce segment de marché, et le poids de la voiture (moins d’une tonne pour les versions berlines essence) permettait des performances tout à fait correctes (l’auteur de ses ligne a suffisamment vécu de trajet en son sein pour le savoir). La 305 est vite dotée d’un break qui profite d’une longueur plus grande (4,26 mètres) pour supplanter la 304 (3,99 mètres). Sans tapage, la nouvelle Peugeot s’installe dans le paysage, avec 169 324 exemplaires produits pour sa première année pleine en 1978. Mieux, malgré le lancement d’une Renault 18 concurrente (remplaçant la R12), la lionne passe à 245 716 unités en 1979 : cette année restera son record absolu, profitant de l’arrivée des motorisations diesel en février (1 548 cc et 44 chevaux). La 305 est alors à son apogée. Plus pour longtemps. La 505 lui mange la clientèle par le dessus, la R18 s’affirme, tandis qu’au sein même du groupe, la Citroën GSA et les Talbot 1510 et Solara lui diminuent son marché. Mais le pire est à venir…
Les années 80 voient la 305 évoluer, enfin
Certes, la Peugeot s’affirme avec des versions sportives (la S apparaît en 1980 avec 86 chevaux à la clé), mais elle n’a pas grand chose d’autre à proposer. Le groupe est englué dans son rachat aventureux de Chrysler Europe et sa tentative de relance avec la marque Talbot et n’a pas vraiment les moyens de faire mieux. La relève est déjà en gestation (projet D6 qui donnera naissance à la 405) chez Peugeot, tandis qu’une cousine bien mieux armée se prépare à débarquer : la Citroën BX. Dès lors, c’est service minimum. Avec 201 459 exemplaires en 1980 et 189 934 en 1981, la 305 ne s’en sort pas trop mal : c’est tout l’avantage d’un modèle consensuel. Cependant, on connaît bien la principale concurrente chez PSA : il s’agit de la BX, un modèle aussi crucial que ne le sera la 205 un an plus tard. Pour atténuer le choc d’une voiture bien plus moderne, un restylage semble le minimum. Il sera effectif pour le millésime 1982 (mi-1981).
Peugeot 305 Break Service
On l’oublie un peu mais cette gamme de voitures intermédiaires était aussi l’occasion de diffuser des versions plus utilitaires, pas si négligeables que cela. A partir de 1980, Peugeot propose dans son catalogue une version 3 portes déclinée de son break et appelée Break Service. Elle sera produite à 86 413 exemplaires tout de même entre 80 et 90, preuve de la pertinence d’une telle offre dans les années 80.
Un lifting bienvenu face à la concurrence de plus en plus rude
Avec ce lifting de mi-vie, la 305 n’est pas transfigurée, juste améliorée et rendue plus moderne. Sa face avant est désormais dans le sens de la marche, et ses feux aérodynamiques ! Le capot avant évolue un peu, tout comme la proue dont les feux deviennent lisses. Globalement, la voiture est sensiblement plus ronde mais conserve sa ligne générale typique des années 70. Rien à voir avec la nouvelle Citroën dont les traits sont angulaires, mais la dynamique générale très moderne (on l’oublie trop aujourd’hui). L’offre moteur évolue un peu, avec des 4 cylindres essence XK5 (1 127 cc et 58 chevaux, ouvrant le bal et la gamme), XL5 (1 290 cc et 65 chevaux) et XR5 et XR5A (1 472 cc 74 chevaux). En Diesel, la famille XU s’impose avec le XUD9 (1 905 cc 65 chevaux). L’année suivante, le XU s’invite en essence sur les versions sportives (GTX) et automatiques (Automatic) avec 1 905 cc et 105 chevaux à la clé.
Une fin de carrière en demi-teinte
Malgré ces évolutions, la 305 est sur la sellette. La BX engrange les clients mais la lionne résiste (198 461 exemplaires en 1982 grâce au restylage, 198 298 en 1983 grâce à la nouvelle palette de moteurs, et 155 665 en 1984, preuve de sa résistance 7 ans après son lancement). A partir de 1985, la chute est inévitable. Peugeot lance la 309 juste en dessous d’elle, la future 405 fuite dans la presse, les R9/R11 se débrouille, la R18 résiste elle-aussi, la 25 cartonne vu son positionnement, et la R21 s’annonce. Il faut être un fidèle pour investir dans une 305 en 1985 (118 237 voitures produites) et 1986 (75 850). La remplaçante pointe enfin le bout de son nez en 1987 et signe l’arrêt de mort de la 305 en 1988 (pour la France en tout cas, Vesoul produisant des CKD pour l’export jusqu’en 1990). Au total, cette tranquille berline atteindra les 1 649 176 exemplaires en un peu plus de dix ans : un volume tout à fait respectable, surtout quand on voit la concurrence sérieuse existante tout au long de sa carrière. Une voiture sérieuse, une clientèle sérieuse, et donc une carrière sérieuse : une vraie Peugeot !
Aller plus loin : Les Peugeot 305 sportives (S, GT, S5, GTX et V6)
Cet article retrace l’histoire générale de la 305. Mais la glorieuse Peugeot eut tout de même droit à des version presque sportives, voire même très intéressantes (GTX et ses 105 chevaux), sans parler d’une déclinaison V6 Rallye qui restera, malheureusement, au stade du prototype. Retrouvez ces versions ici : Peugeot 305 S, GT, S5 et GTX : le sport placide
Images : Peugeot, DR