Fruit d’un partenariat avec la Roumanie, l’Oltcit Club est aussi connue en France sous le nom de Citroën Axel. Énième citadine dans la gamme française, l’Axel n’apportait rien de nouveau si ce n’est un tarif très concurrentiel au prix d’une finition douteuse tandis que la Club pensait convaincre le marché moins concurrentiel des pays du Comecon. Malheureusement, rien ne se passa comme prévu et l’Axel comme la Club furent des échecs patents ! Si la voiture en elle-même n’avait rien de révolutionnaire et souffrait de la comparaison avec la concurrence, son histoire, elle, vaut bien quelques lignes. Retour sur une fausse bonne idée franco-roumaine.
Production Oltcit Club (1981-1996) : 217 000 exemplaires
Dont Production Axel (1984-1988) : 60 184 exemplaires (47 928 Axel 11 et 12 256 Axel 12)
Une incongrue dans la gamme
C’est en juillet 1984 que Citroën introduit dans sa gamme l’Axel, provoquant l’incompréhension des observateurs. Dans la gamme chevronnée, on trouve déjà la LNA (évolution de la LN lancée en 1976), la Visa (lancée en 1978 sur une base de 104 et qu’un habile restylage a relancé en 1981) et l’inaltérable 2CV qui trouve encore quelques 60 000 clients en 1983 grâce à son tarif alléchant. Certes, la Dyane vient de disparaître mais l’AX est déjà dans les cartons et l’Axel n’apporte rien de neuf, au contraire. Plus largement, le groupe PSA dispose déjà de l’excellente Samba chez Talbot, d’une Peugeot 104 toujours vaillante, et surtout de la toute nouvelle 205 qui révolutionne depuis 1983 la vision de la citadine. Que vient donc faire l’Axel dans cette histoire, avec ses moteurs de GSA (Flat four 1 129 cc de 56 chevaux et 1 229 cc de 61 chevaux) et sa ligne maladroite ?
Les origines du projet
Pour comprendre, il faut remonter loin, très loin. Tout commence en 1968. A cette époque, Michelin et Fiat annoncent s’associer pour permettre le développement de la marque Citroën dont les frais liés au développement du moteur à piston rotatif (Comotor), au haut de gamme (rachat de Maserati et SM) et au lancement de la GS explosent. L’accord prend effet en 1970 avec la création de la holding Pardevi (51 % Michelin, 49 % Fiat) qui détient alors 55 % du capital du constructeur. Commencent ensuite les projets communs. L’un, qui concerne les utilitaires, verra bien le jour en 1974 (C35 chez Citroën, 242 chez Fiat) mais l’autre connaîtra une toute autre destinée : le projet Y. Ce dernier, basé sur la plate-forme de la Fiat 127, doit donner naissance à la Y1 (citadine 3 portes équipée de bicylindres Citroën) et à la Y2 (petite berline à 5 portes équipée de flat four de GS). Cependant, la situation financière catastrophique de Citroën change la donne en 1973. Michelin, désireux de se séparer de sa danseuse, est prêt à vendre ses participations à Fiat mais le gouvernement français s’y oppose, préférant une solution franco-française. Le retrait de Fiat impose de remanier le projet Y qui devient TA, 100 % Citroën. Fin 1974, Peugeot s’empare de 36 % du capital et s’engage à reprendre Citroën (la fusion ne sera effective qu’en 1976).
Rentabiliser les projets Y puis TA
La reprise en main par Peugeot dès 1975 implique une remise à plat des produits et des projets de Citroën. La DS est stoppée, faisant de la CX lancée en 1974 le fer de lance de la gamme (et laissant le champ libre à la future Peugeot 604), la SM est elle-aussi condamnée (les derniers exemplaires sont d’ailleurs fabriqués chez Ligier) tandis que le projet TA est supprimé. A la place, on lance à la hâte le projet RB (qui donnera naissance en 1976 à la LN) et le projet VD (qui deviendra la Visa, reprenant stylistiquement beaucoup du projet TA). Cependant, beaucoup d’argent a déjà été investi dans les projets Y puis TA. Si les LN et Visa semblent bien plus cohérentes (et rentables grâce à la base 104), il serait dommage de passer ces investissements par pertes et profits. Par chance, la Roumanie de Ceausescu cherche un nouveau projet automobile pour compléter l’offre de Dacia. C’est une occasion rêvée pour le patron de Citroën, Georges Taylor, qui dispose d’un sérieux atout dans les négociations face à la concurrence de Volkswagen : une fine connaissance de la Roumanie et surtout, de la langue. Si son nom sonne bien anglais (son père l’est), ses origines sont aussi roumaines par sa mère, née Zélia Sarro. Il est lui-même né à Bucarest en 1920.
Les ambitions roumaines
Sur le papier, c’est une occasion en or pour Citroën qui coiffe au poteau Volkswagen. La Roumanie engage 1 milliard de dollars (sous forme de prêt) pour la création d’une usine de 350 000 m2 à Craiova, en Osténie (au sud-ouest du pays), pour une capacité annuelle de 150 000 véhicules. Citroën fournit les études du projet TA, la conception de l’usine, les machines-outils (qui représenteront, en 1978 et 1979, ⅓ des exportations françaises de ce type) et prend 36 % du capital de la nouvelle société dénommée Oltcit (contraction de Olténie et de Citroën). Les 64 % restants appartiennent à l’Etat. Le contrat est signé le 30 décembre 1976 et s’annonce sous les meilleures auspices. Cependant, le projet TA est remanié pour répondre aux nouveaux enjeux. Pour des questions de coûts, il n’est plus question d’une version 5 portes, mais seulement d’une 3 portes, jugée largement suffisante pour les besoins roumains ou des pays frères (Bulgarie, Tchécoslovaquie, Hongrie notamment). Le style reste assez proche de celui envisagé pour le projet TA, ce qui explique sa proximité avec celui de la Visa. Pour un œil non averti, elle pourrait presque passer pour sa version 3 portes (il n’en est pourtant rien).
Du retard pour la Club
De toute façon, la future Oltcit Club n’a pas vocation à être exportée en Europe occidentale et n’entre donc pas en concurrence avec la gamme Citroën. Les travaux de l’usine sont lancés en 1977 et doivent permettre à la Roumanie d’obtenir l’un des sites les plus modernes en Europe. C’est d’ailleurs vrai, mais il faudra beaucoup de temps pour arriver à ce résultat malgré l’aide de Citroën. Il faut attendre 1981 pour voir la première Oltcit Club sortir des chaînes de Craiova. Cette dernière est disponible en deux versions : l’une est équipée d’un bicylindre à plat de 652 cc (36 chevaux), l’autre du 4 cylindres à plat de 1 129 cc et 56 chevaux. Elles sont équipées de freins à disques ventilés à l’avant et de freins à disques à l’arrière. La suspension est particulièrement soignée (barres de torsion longitudinales à l’avant et transversales à l’arrière). Pour les pays de l’Est, il s’agit d’un certain raffinement technologique mais qui a un prix : la Club est plutôt chère dans ces pays au faible pouvoir d’achat. Le résultat ne se fait pas attendre : la voiture se vend mal et Oltcit se retrouve dans l’incapacité de rembourser les prêts de PSA pour la construction de l’usine.
Il faut sauver le soldat Oltcit
Jusqu’alors, Citroën ne s’impliquait pas dans la commercialisation de l’Oltcit Club. Cependant, il faut bien l’admettre : la voiture ne se vend pas et il faut sauver le projet coûte que coûte. Si la voiture est trop chère pour l’Est, elle peut devenir un excellent produit d’appel en Europe de l’Ouest, pense-t-on à Neuilly, au siège de Citroën. On sait la 2CV sur la fin, tout comme la LNA, et pour l’heure, le projet AX n’est pas encore prêt. De toute façon, on n’a plus vraiment le choix si l’on veut pouvoir rentrer dans ses frais avec l’opération roumaine. Citroën décide donc d’intégrer dans sa gamme la Club sous le nom d’Axel (qui annonce subtilement l’AX). La voiture est intégrée au catalogue en juillet 1984 (millésime 85) mais se contente de 4 cylindres, tous deux issus de la GSA : le 1 129 équipant la Club, mais aussi un 1 229 cc plus coupleux mais à peine plus puissant (61 chevaux).
Oltcit Club Cabriolet
En 1986, Oltcit prend l’étonnante décision de présenter un cabriolet sur la base de la Club. Nicolae Ceausescu est séduit par le projet et autorise la production de trois prototypes joliment dessinés et se passant d’arceau. C’est beau (enfin, vu la base), certes, mais le beau est parfois l’ennemi du bien : la voiture n’est absolument pas rigide, devenant presque dangereuse. D’autre part, il s’avère qu’aucun marché n’existe vraiment pour une telle voiture, ni à l’Est, ni à l’Ouest. Oltcit prendra la décision qui s’impose : se passer d’un cabriolet.
Un positionnement compliqué
La voiture se positionne alors un peu au-dessus de la 2CV (32 500 F à l’époque) et au même niveau que les LNA (39 900 F en bicylindre, 40 400 F en 4 cylindres) grâce à son tarif canon en entrée de gamme : 38 000 F. Cependant, sa version 12 TRS est plutôt mal placée (46 000 F), aussi chère qu’une Peugeot 205 d’entrée de gamme ou qu’une Visa 11. Mais le pire n’est pas là. Si 1984 est encourageante (15 027 ex vendus), les ambitions sont vite limitées en 1985 (22 360 exemplaires contre 54 067 2CV). Les ventes s’écroulent ensuite en 1986 (12 840). La raison est simple : pour maintenir un tarif aussi bas, PSA rogne sur ses marges mais aussi sur celles des concessionnaires, peu motivés à vendre cette étrangeté ; en outre, la qualité de fabrication s’avère pitoyable et sa réputation en fait largement les frais ; enfin, la 12 TRS spécifiques aux marchés de l’Ouest n’est pas du tout compétitive et se vend encore plus mal que la 11 de base et la 11R (un peu mieux équipée). Rien ne va plus pour Oltcit qui peine toujours autant à vendre ses modèles malgré une percée en Tchécoslovaquie. La sortie de l’AX en 1986 annonce à court terme la fin de l’Axel dont l’arrêt est annoncé pour 1988, après écoulement des derniers modèles (3 334 unités vendues cette année-là).
La fin du bourbier roumain
Si l’Axel tire sa révérence, ce n’est pas le cas de la Club qui continue sa carrière à l’Est. Citroën reste impliquée par contrat et conserve sa participation (comme un boulet), espérant un miracle pour se sortir du guêpier. Et justement, l’Histoire avec un grand H va offrir une porte de sortie à la marque française. Fin 1989, la révolution roumaine fait chuter Nicolae Ceausescu et déstabilise pour un temps le pays. Citroën profite de ce moment de flottement et de la découverte d’une fraude au sein de l’usine (l’utilisation de pièces Dacia) pour dénoncer le contrat la liant à Oltcit et quitter le pays fin 1990. L’entreprise, redevenue 100 % nationale, poursuit la production de la Club sous la marque Oltena. En 1994, le sud-coréen Daewoo rachète l’entreprise, intéressé surtout par l’usine encore très moderne. Le modèle continue quelque temps sous la marque Rodae (contraction de Romania et Daewoo) et avec un léger restylage, avant de quitter la scène automobile en 1996, après 217 000 exemplaires, loin des objectifs initiaux de 150 000 unités par an.
Photos : Citroën, Car Brochure Addict, Oltcit, DR
Un commentaire
Petite séance de rectification:
– Primo, il y a confusion au niveau des noms de projets: le projet initial sur base Fiat 127 (d’abord simple 127 rebadgé puis plateforme Fiat/carrosserie Citroën) se dénommait RA et fut abandonné peu de temps avant la rupture Citroën/Fiat de 1973 suite à un désaccord sur les prix des composants d’origine italienne. Le projet Y correspond au projet 100% Citroën faisant suite au RA, dont 2 protos existent toujours au sein de Citroën Héritage ( une cinq portes verte à flat-four GS et une deux-portes bleue type « Entreprise » à flat-twin 2CV). Prévu pour une sortie en 1976, il sera gelé à l’arrivée de Peugeot le temps que celui-ci évalue la situation au Quai de Javel. Présenté à la nouvelle direction courant 1975, il reçoit un refus catégorique de la part de Sochaux. Le projet VD (future Visa) lui succède en octobre de la même année. Le projet TA quant à lui désigne une version du Y revue et corrigée suite à l’appel d’offres roumain.
– Secundo, s’agissant du cabriolet, cette version n’était absolument pas destinée à être commercialisé. les deux exemplaires visibles sur la photo n’étaient destinées qu’à la visite de Ceausescu et du chef de l’Etat français pour l’inauguration officielle de l’usine. Suite au retard pris dans la mise en route de celle-ci et à l’arrivée de Mitterrand au pouvoir chez nous, cet événement n’aura jamais lieu… Exposée un temps dans le hall d’accueil de l’usine, elles seront vendues à des particuliers suite à la chute du régime roumain.
J’avais d’ailleurs déjà laissé un commentaire à ce sujet sur feu Boitier Rouge (certains s’en souviendront peut-être…) concernant l’article consacré à ce modèle… Apparemment et contrairement à l’expression populaire, si les paroles s’envolent, tout les écrits ne restent pas…
Pour plus d’infos et de précisions, la lecture de l’ouvrage (en français !) « Axel & Oltcit, les Citroën de l’Est » de Citrovisie serait intéressante.
Sources:
– Article « Le projet Y: l’occasion manquée de Citroën », Gilles Cobloc, Automobilia n°62, mai-juin 2003.
– Article « Un Modèle, Une Histoire (Visa) – Histoires Parallèles 1ère partie, Aurélien Chubilleau, Citromania n°23, décembre 2008- janvier-février 2009.
– Interview de Raymond Ravenel par Thierry Astier, Chevronnés n°4, mai-juin 2014.
– Les Citroën du monde, Gilles Cobloc & Jean-François Ruchaud, Editions E.T.A.I, , 2005