Avec le temps, les souvenirs se brouillent, s’emmêlent, et les réputations deviennent, à tort, immuables. C’est malheureusement le destin de la compacte Renault 14, bonne voiture injustement décriée pour son moteur et son train avant Peugeot comme pour sa publicité de 1977. Pourtant, la 14 ne fut pas l’échec qu’on veut bien dire et, contrairement à la légende, fit mieux que se défendre malgré les tares précitées. Si la voiture échoue à passer la barre du million d’exemplaires, c’est essentiellement à cause d’une concurrence interne féroce et d’un abandon volontaire de Renault. Retour sur une histoire moins simple qu’il n’y paraît.
Production (1976-1983) : 999 193 ex
Lieux : Douai (1976-1981 : 680 087), Palencia (1979-1980), Vilvoorde (1981-1983)
Un échec très relatif pour une légende tenace
Il est de bon ton de se moquer, aujourd’hui, de la Renault 14. Pourtant, pour mieux comprendre son échec relatif, il faut la replacer dans son contexte historique et replacer les curseurs aux bons endroits. D’une part la voiture était élégante, bien dessinée, habitable et son moteur X vaillant, d’autre part elle séduisit une clientèle non négligeable sur un créneau disputé, et ce malgré un environnement général délétère. Pour mieux comprendre, il faut remonter à 1968 et le lancement du projet 121. A cette époque, il s’agit de concevoir une compacte moderne qui remplacerait la placide R6 et s’intercalerait entre la future petite R5 et la familiale R12 (puis R18). Elle viendrait ainsi se mesurer à la Simca 1100 (puis Horizon) sans pour autant faire de l’ombre au duo Peugeot 204/304 plus traditionnel. Cette répartition des rôles avec Peugeot n’est pas fortuit. Depuis 1965, les deux marques sont partenaires dans les achats mais aussi pour les études et la production de moteurs. Les lancements sont répartis, et les marchés aussi. Ainsi, en 1972, la Renault 5 ne sort qu’en trois portes quand la 104 n’en propose que 4 (bicorps mais sans hayon). Du côté des moteurs, la Française de mécanique, société commune, produit le V6 PRV pour les deux marques, mais aussi le moteur X conçu par Peugeot mais mis à disposition pour Renault et son projet 121 justement.
Un projet contrarié par les événements
La future Renault 14 est, au début des années 70, l’exemple type des accords Peugeot-Renault : la voiture n’a pas de concurrente dans la gamme du Lion, mais elle s’équipe d’un moteur Peugeot transversal et du train avant adapté de la 104. Son châssis est en revanche plus long que celui de la 104 et chasse donc sur un segment supérieur. Sa carrosserie spécifique est dessinée par le bureau de style Renault dirigé par Gaston Juchet et modernise le style bicorps hayon : il suffit pour cela de regarder celle qu’elle doit remplacer, la R6, pour en juger. Sur le papier, tous les voyants sont au vert. Cependant, un grain de sable va venir enrailler cette belle mécanique : le rachat de Citroën par Peugeot. En absorbant les chevrons, poussée en cela par l’Etat, le Lion rompt l’équilibre de son association avec Renault. Du côté de Boulogne-Billancourt, on voit ce rapprochement d’un très mauvais œil et décide de rompre ce qui peut l’être. Si le PRV est maintenu et le projet 121 trop avancé pour être annulé, il n’est désormais plus question de partager les études ni même certains moteurs : la 14 sera ainsi la seule Renault équipée du moteur X, les modèles suivants préférant user et abuser du Cléon (Alu ou Fonte).
Une R14 boudée en interne
Malgré cette séparation, les investissements concédés pour la R14 sont trop conséquents et le modèle est maintenu au calendrier. Pourtant, l’équipe dirigeante n’est plus aussi enthousiaste à l’idée de pousser ce modèle avant même sa naissance. D’ailleurs, tout au long de sa carrière, elle fera l’objet d’un service minimum en termes marketing et publicitaires. La seule campagne d’ampleur pour soutenir tant bien que mal les ventes, en 1977, sera un raté monumental (voir encadré) : pas de chance ! Présentée en mai 1976 à Paris, la Renault 14 reçoit un bon accueil de la part de la presse spécialisée, qui loue sa tenue de route et son habitabilité. Contrairement à ce qu’on peut dire parfois, la majorité des clients se moquent de savoir qu’il s’agit d’un bloc Peugeot, d’une direction et d’un freinage de 104, leurs préoccupations sont ailleurs. Le vrai problème vient plutôt du réseau qui rejette cette Regeot, ou cette Peunault, au choix ! Les agents et concessionnaires rechignent à vendre (et donc à réparer) cette mécanique issue de la banque d’organes ennemie. Dans ces conditions, difficile pour la 14 de se faire une place.
Renault-Ligier 14 Coupé
Lors du développement du projet 121, on imagine d’éventuelles déclinaisons de la future R14. L’auteur de ses lignes, Robert Broyer, va dessiner d’autres évolutions possibles comme une version à châssis long plus habitable et capable de rivaliser avec la R16, une version 3 portes et même une déclinaison 4 portes / malle arrière à la manière de la Siete en Espagne. Cependant, c’est sa vision d’un coupé / shooting brake qui va attirer l’attention à la direction du plan produit Renault. L’idée est validée en juillet 1974 et les études commencent. Courant 1975, sachant la production d’un tel dérivé, sorte de Volvo 480 avant l’heure, forcément réduite, on fait appel à Ligier qui cherche, de son côté, à rentabiliser son usine alors que la production des SM comme des GT JS2 équipée du même moteur, prend fin. La firme de l’Allier est impliquée dans le projet à partir de septembre 1975. En novembre, une première maquette à l’échelle 1:1 est achevée. En juillet 1976, c’est au tour d’un prototype roulant de prendre pour la première fois la route : les choses semblent bien embarquées pour cet étonnant projet, jusqu’alors resté secret. Robert Broyer, désormais designer indépendant, en supervise le dessin. La commercialisation est même prévue pour septembre 1977. Pourtant, le projet est annulé en octobre 1976, sans préavis. A la Régie, on a subitement compris que ce coupé n’apporterait rien à la gamme : les Renault 15 et 17 continuent de bien se vendre tandis qu’une version coupé plus ambitieuse est prévue pour la Renault 18, la Fuego. Enfin, ce coupé made by Ligier, dérivé de la 14 pêchait par son positionnement mais aussi par son origine : Renault ayant acté l’abandon des moteurs X et de la plate-forme 14 pour se concentrer sur ses propres châssis et mécaniques. Ligier, de son côté, perdit toute illusion et retrouva un nouveau souffle industriel dans un secteur connexe : la voiture sans permis (VSP).
Un lancement tout à fait correct
A son lancement, la Renault 14 ne dispose que d’une seule mécanique, un 4 cylindres placé transversalement, réalésé à 1 218 cc et développant 57 chevaux : une puissance jugée suffisante sur ce segment, pour l’instant du moins. La boîte à 4 rapports (et un poids de 855 kg) permet d’atteindre 143 km/h pour une consommation de 8,1 litres aux 100 km. Deux finitions sont proposées au lancement : une L dépouillée et une TL plus bourgeoise. Comme les photos de cet article le prouvent, les couleurs sont tout à fait dans la tendance de ce milieu des années 70, avec force orange, jaune, vert ou marron. La Renault 14 plaît et pour 1977, première année pleine, la production totale monte à 190 561 exemplaires. Pourtant, la concurrence interne est rude. Celle qu’elle devait remplacer, la R6, est maintenue au catalogue à des tarifs bien inférieurs et trouve 102 800 clients. Au dessus, la vieillissante R16 continue de séduire notamment dans ses versions TX et réduit la cible de la R14. Ces deux modèles seront reconduits jusqu’en mai 1980, empêchant la 14 de ratisser plus large. En 1978, le lancement de la R18 vient compliquer l’affaire : les modèles de base sont affichés au même prix que la 14 et la possibilité d’une voiture plus statutaire vient interférer dans le choix du client. Au même moment, la Simca Horizon, directement concurrente et lancée en 1977, cartonne en Europe et dépasse les 200 000 exemplaires en 1978. La 14 encaisse le coup et ne s’écoule qu’à 144 357 exemplaires.
Polémique fruitière : la poire
A son lancement, la Renault 14 avait bénéficié d’une campagne presse au slogan intéressant : “la 7CV du bonheur”. En 1977, Renault décide de continuer à soutenir (un peu) sa compacte et demande à l’agence Publicis de concevoir une nouvelle campagne, plus impactante. Contrairement aux idées reçues, la voiture se vend plutôt bien cette année-là et il s’agit surtout de maintenir l’effort plutôt que de “sauver” la R14 comme on le lit trop souvent. L’agence change de braquet par rapport à 1976 et décide de s’inspirer des formes de la Renault 14 et de la couleur jaune souvent proposée dans ces années-là. L’image de la poire surgit chez les créatifs qui n’imaginent pas une seconde l’ambiguïté de ce fruit. Là où les pubards voient une comparaison fruitière drôle et pertinente (“coupons la poire en deux”, ou bien “une poire qui a la pêche”, voire “une poire c’est confortable”). L’analogie visuelle entre la poire et cette voiture est flagrante. Oui mais voilà, c’était oublier le côté négatif de la poire : “être pris pour une poire”, “la bonne poire”, autant de métaphores pour parler du pigeon, du gogo, ce celui qui se fait avoir. Lorsque les têtes pensantes s’en rendent compte, il est trop tard. Cependant, on a donné beaucoup d’importance à cette campagne publicitaire a posteriori. En réalité, elle a surtout fait rigoler dans les chaumières sans porter préjudice aux ventes en cette année 1977. C’est seulement en 1978 que la 14 connaîtra son premier coup de mou, et pour d’autres raisons.
Restylage pour la forme
Pour l’année 1979, Renault réagit tout de même et daigne accorder à sa compacte une très léger restylage. L’offre moteur a aussi été modifiée : la R14 TS, avec 69 chevaux, avait lancé le mouvement. En 1979, les LS, TS et GTS sont désormais équipées d’une nouvelle version 1 360 cc plus coupleuse et plus puissante (70,5 chevaux). Les TL et GTL conservent le 1 218 cc initial, mais poussé à 58,5 chevaux. Relookée et dynamisée, la 14 se refait une santé sur le marché avec 197 707 exemplaires produits et vendus dans le monde. L’embellie se poursuit en 1980 avec 201 984 unités sorties d’usine, malgré le lancement en 1979 de la Renault 5 dans sa version 5 portes (1979). Mais c’était sans compter la politique de Renault. Sitôt débarrassée des 6 et 16, la 14 doit à nouveau affronter une concurrence interne : la Renault 9, lancée en 1981. D’ailleurs, ses jours sont comptés désormais, puisqu’une version bicorps à hayon (3 et 5 portes) est prévue pour 1983 : la R11, qui doit tout bêtement la remplacer.
Renault 14 Safrane
En France, la 14 n’aura jamais droit à une série spéciale, preuve, s’il en fallait encore une, d’un profond dédain de Renault pour cette compacte devenue à ses yeux bâtarde. En Europe, quelques efforts furent cependant fait pour améliorer l’image de la voiture. Notons ainsi une 14 Spécial au look sportif destiné au marché suisse en 1978, ou bien la Regency plutôt luxueuse et dotée d’un toit ouvrant pour le marché britannique en 1981. Mais la plus intéressante série spéciale reste la 14 Safrane. Lancée en avril 1978, la Safrane est une version suréquipée destinée au Royaume-Uni, à la Belgique, les Pays Bas, l’Allemagne et la Suède. Extérieurement, elle se pare d’une teinte marron métallisée, de boucliers noirs, de jantes en alliage Dunlop et de bandes décoratives. A l’intérieur, moquette épaisse, volant sport, liseuse de carte, plaques aux initiales du propriétaire et autres petites attention réhaussent l’équipement. Sous le capot, pas de changement avec le 1 218 cc et la boîte à 4 vitesses. On sait qu’elle fut proposée à 900 exemplaires en Grande Bretagne, ce qui permet d’estimer à environ 3 000 exemplaires le volume total en Europe. L’intérêt de cette série spéciale réside surtout dans le choix de son nom puisqu’il parle à l’amateur de voiture : évoquant un certain luxe, il sera réutilisé en 1992 par la Renault Safrane, prenant la suite de la R25.
Une performance meilleure qu’il n’y paraît
Difficile de refaire l’histoire, mais il faut bien l’admettre : la R14 n’aura jamais eu l’opportunité de démontrer toutes ses qualités. Évolutions rares ou timides, offre limitée, soutien marketing limité, désaffection du réseau, remplacement rapide (pour l’époque), diffusion limitée à l’Europe : autant d’erreurs, volontaires pour la plupart, qui limitèrent la diffusion du modèle malgré ses nombreuses qualités. Malgré cela, avec une durée de vie moindre par rapport à la normale de l’époque et autant d’obstacles à franchir, la Renault 14 séduira 999 193 clients. Le dernier exemplaires tombera des chaînes de Vilvoorde, en Belgique, en mai 1983. Le chiffre symbolique du million ne sera donc jamais franchi mais il faut saluer ici la performance, loin de l’image d’Épinal d’une voiture ratée et boudée (si ce n’est par Renault elle-même plus que par les clients souvent très satisfaits).
Photos : Renault Communication, Lignes Auto, Car Brochure Addict
4 commentaires
Bref, une R14 de base pesait 865 kg, sortait 57 ch (42 kW) de son moteur 1 218 cm3 au prix de 6,1 litres aux 100 km, et sa descendance lointaine, ou plutôt équivalence pour éviter l’anthropomorphisme, la Mégane IV essence phase 1, 1,2 Tce, 1 197 cm3, c’est 100 ch (75kW) et 5,4 litres aux 100 km pour 1 205 kg, c’est 28 % de poids en plus. Et encore, la Mégane IV est-elle plus longue (4 359 mm vs 4 025 mm), plus large (1 810 mm vs 1 624 mm) et plus haute (1 450 mm vs 1 405 mm). Comme comparaison n’est pas raison, on n’en tirera pas de loi, sauf que la nostalgie fausse aussi la raison. Il vaudrait peut-être mieux regarder du côté de la Clio V. Certes, l’auto de 1976 s’en sort bien au rapport poids/puissance (15,17 ch contre 12,05 ch à la Mégane IV), mais au prix de la sécurité et d’éléments de confort inexistants alors à ce niveau. En 1976, il fallait un dixième de litre d’essence pour mouvoir chaque cheval-vapeur de la R14 contre un vingtième (0,054) pour la Mégane IV. Le gain de productivité, de confort, de sécurité est indubitable. Aussi, que regrette-t-on dans ces célébrations multiples des automobiles de la société de consommation et des loisirs, de la production massifiée, de la pollution au plomb sans vergogne ? Et si on rapportait aussi la comparaison au pouvoir d’achat, au salaire médian, sinon au SMIC, en francs constants, au prix du carburant, au coût du crédit, que sais-je encore ? Cela dit, il ne me déplait d’apercevoir une R14 dans le trafic actuel. Mais, elle parait frêle, étroite, inadaptée désormais.
Ben dis-donc Isidore, tu sais plus compter. Ce ne serait pas plutôt 15,17 kg par cheval-vapeur ? Sinon, la R14 aurait été une hypercar avant l’heure.
Bonjour,
Dans l’article, il est fait mention de versions « LS TS GTS », je m’en voudrais de dire une connerie mais il me semble qu’en réalité, il n’y a eu que la TS…
Après cette 14 a souffert comme la 20 ou la 18 de versions juste « pas trop sous-motorisées » à leur sortie, nul doute qu’en rééquipant la 14 avec le 1397 plutôt que le 1360, allez, soyons fous, version 5 Alpine, on avait la digne descendante d’une belle 1100Ti. (Uchronie quand tu nous tiens…😁)
Pour le 1397, encore eut- il fallu que notre chère régie Renault ait dans sa banque d’organe la boîte de vitesse permettant de monter ses moteurs à arbre à came latéral en position transversale……., et de loger la roue de secours ailleurs que sur le moteur.