La Renault 10 est un bricolage comme on en voit souvent à cette époque dans l’automobile. Pour limiter les investissements tout en comblant un créneau de marché jusqu’alors inexploré, il suffit alors d’utiliser une voiture existante, de l’étirer et de l’équiper plus luxueusement pour créer un nouveau modèle. L’artifice pourrait passer pour une grosse ficelle : et pourtant, ça marche. La 10 était une 8 plus cossue, comme la Peugeot 304 l’était vis à vis de la 204. Une formule gagnante donc, qui ne choquait personne à l’époque.
Production (1965-1971) : 699 410 exemplaires
Lieu : Flins (France) Plovdiv (Bulgarie), Valladolid (Espagne), East-London (Afrique du Sud)
Intermédiaire à pas cher
Lancée en 1962, la Renault 8 se positionne un cran au-dessus de la R4 présentée l’année précédente et remplace la Dauphine avec la même architecture : moteur arrière et propulsion. Deux propositions différentes, l’une moderne, l’autre conservatrice, poursuivant le sillon tracé par la 4CV, mais rassemblant l’intégralité de la production, ou presque. Plus haut, la Rambler, produite en CKD à Vilvoorde, et entre les deux : rien ! Alors que la Régie planche sur un projet révolutionnaire, le 115, qui donnera naissance à la R16, on constate qu’il manque un modèle entre la R8 et le futur modèle. Pour faire la jonction dans la gamme, et en attendant une R12 prévue pour 1969, il faut donc bricoler.
Une 8 allongée
La méthode est assez simple : conserver le châssis et la cellule centrale, mais agrandir les porte à faux avant et arrière pour donner une ligne plus statutaire (mais pas forcément élégante au premier regard, quoi que). Poupe et proue sont retravaillées pour la distinguer de sa sœur R8 tandis que l’intérieur bénéficie des raffinement de la 8 Major qu’elle remplace et qui coiffait la gamme 8 jusqu’alors. A l’intérieur, c’est le luxe (enfin presque) : des placages en faux bois rehaussent le tableau de bord et son volant est spécifique. Pourtant, l’espace intérieur n’est pas meilleur que celui de sa petite sœur. L’important, à l’époque, réside plutôt dans le coffre (à l’avant) qui passe de 240 à 315 litres. Elle dispose elle aussi de 4 freins à disque mais prend un peu de poids dans l’opération (entre 775 et 805 kg selon les versions).
L’esquisse d’une gamme
La Renault 16 plus haut de gamme est présentée en mars 1965, tandis que la R10, intermédiaire, s’annonce en juillet de la même année : coup sur coup, Renault couvre un large segment de marché entre la 8 et la confidentielle Rambler. L’architecture de la gamme au losange est étonnante : tout à l’avant en haut et en bas (R4, R16), tout à l’arrière au milieu (R8, R10). L’arrivée de la 12 en 1969 condamnera la propulsion et le moteur arrière chez Renault qui, comme tous les constructeurs français, passera définitivement à la traction (et même plus rapidement que Peugeot, qui lancera sa dernière propulsion en 1979, la 505).
Bourgeoise plus que sportive
La Renault 10 dispose à son lancement du moteur Sierra dans sa version 1 108 cc et 43 chevaux DIN (46 chevaux SAE) et d’une boîte à 4 vitesses manuelle. Pas de quoi en faire un foudre de guerre certes, mais son moteur en porte-à-faux arrière ravit les amateurs autant que la R8. Contrairement à cette dernière, la 10, plus bourgeoise, n’aura jamais de déclinaison sportive (sauf en Afrique du Sud, voir encadré). Commercialisée à partir de septembre 1965, la Renault 10 trouve tranquillement son public sans renverser les foules mais le lancement de la Peugeot 204 lui fait de l’ombre : elle est certes plus petite mais apparaît comme une vraie voiture moderne quand la 10 utilise de vieilles recettes. Cependant, il existe encore une clientèle traditionnelle, habituée depuis la 4CV et la Dauphine à ce type de conduite, sans compter les amateurs de sensations fortes pour lesquelles la traction n’en est que trop facile.
L’export commence
En janvier 1966, une version Automatic (3 vitesses) fait son apparition au catalogue : elle restera anecdotique en France mais permettra l’exportation aux États-Unis, dont les conducteurs sont friands de ce type de transmission (début de commercialisation en septembre). La carrière internationale démarre d’ailleurs cette année-là. En Grande Bretagne, la R10 prend le nom de Renault 1100. En Afrique du Sud, elle est assemblée en CKD à partir de juillet et le préparateur Alconi lui offre rapidement une version sportive en décembre (voir encadré). En octobre, c’est l’Espagne qui emboîte le pas et débute la production chez FASA-Renault à Valladolid (particularité, les 10 espagnoles sont équipées de tambours à l’arrière).
La Renault 10 Alconi
Dès septembre 1966, la production de la Renault 10 commence en Afrique du Sud, dans l’usine d’East-London, grâce à des kits envoyés de France (CKD). Le moteur est lui aussi un Sierra 1 108 cc légèrement plus puissant que le modèle français (57 chevaux SAE contre 46). Depuis le début des années 60, les frères Porter, employés de la filiale sud-africaine et pilotes amateurs, faisaient des merveilles avec des modèles Renault, et particulièrement la 8. Afin de capitaliser sur ces succès, les frères Porter et deux collègues fondent Alconi, soutenus par Renault. En 1964, une R8 dopée voit le jour et rencontre son petit succès dans la communauté des fous de circuits sud-africains (68 ch SAE, certes moins que les Gordini françaises, mais pour des performances identiques, des consommations moindres et un coût bien inférieur). En fin d’année 1966, Alconi s’attaque à la Renault 10 dotée du même moteur, en appliquant la même formule. Malgré les Gordini au catalogue, Renault South Africa soutient Alconi en distribuant la voiture et/ou en proposant les kits : environ 400 exemplaires de 8 et 10 seront produits jusqu’en 1968.
Un lifting pour la route
En septembre 1967, la Renault 10 reçoit un premier lifting qui voit sa face avant changer : désormais, les phares sont rectangulaires et seules les versions destinées à l’export (et notamment aux USA) conservent les phares ronds d’origine. Tranquillement, la 10 fait son trou sur le marché, sans faire de vague, sauf en juin 67 malheureusement : le 26 de ce mois, Françoise Dorléac, qui triomphe avec sa soeur Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort à peine sorti, se tue au volant d’une 10 de location qui s’embrase après une perte de contrôle. Cet accident tragique ne nuit cependant pas à sa carrière qui continue tel un long fleuve tranquille, et ce malgré le lancement d’une Renault 6 à traction en dessous d’elle et dérivée de la 4 en 1968.
Bulgarrenault 10
Intéressée par les négociations entamées entre Renault et la Roumanie, la Bulgarie fait acte de candidature pour développer son industrie automobile nationale avec la Régie courant 1966. L’accord est alors moins ambitieux : il s’agit alors de monter les kits (CKD) dans une usine plus modeste, à Plovdiv, au centre du pays. D’ailleurs, le contrat est signé en septembre tandis que les 10 premières Bulgarrenault 8 sont assemblées dans la foulée. L’usine bénéficiera d’investissements durant l’année 1967 pour permettre d’atteindre une production annuelle de 3 000 véhicules et une intégration plus importante de composants bulgares. Dans les faits, les voitures seront assemblées avec des pièces provenant de France. Deux modèles étaient proposés, sans modifications majeures si ce n’est les monogrammes Bulgarrenault : la 8 et la 10. Environ 4 000 exemplaires de ces deux voitures seront produits jusqu’en 1970. Inaccessibles pour la plupart des Bulgares, elles seront parfois exportées vers l’Autriche ou la Yougoslavie. A leurs côtés, quelques exemplaires de Bulgaralpine (une A110 au goût bulgare) seront assemblés pour le prestige et au compte-goutte !
Une carrière tout à fait honorable
En 1969 cependant, la donne change. D’un côté, Peugeot lance sa 304 directement concurrente et dérivée de la 204, de l’autre Renault lance la R12 qui doit la remplacer. Pour autant, sa carrière n’est pas terminée et elle reçoit pour l’occasion le moteur de sa nouvelle sœur, un 1 289 cc de 48 chevaux DIN (le passage de l’avant à l’arrière fait perdre quelques chevaux au moteur). Ce nouveau moteur, un peu plus puissant mais surtout plus coupleux, lui permet de tenir le coup jusqu’à sa retraite définitive en août 1971. Au total, elle aura tout de même séduit 699 410 clients.
Images : Renault Classic, DR
2 commentaires
Mon premier souvenir de R10, c’est en 1966, tout minot, avec celle de Guillemette X, sa Renault 10 « bordeaux » immatriculée 96 HB XX. Il y eut celle de la fille de la pédicure, voiture blanche disputant, malgré sa modestie, le stationnement à l’une des Rambler déjà évoquées dans un autre commentaire ou celle des parents de mon copain Jojo (mais qu’est-il devenu ?), gris métallisé passé au soleil, terni, matifié comme souvent sur ces peintures d’alors. R8 rallongée certes la R10 , mais la cellule centrale ne variait pas. Les passagers n’en profitaient guère. 21 cm de plus en longueur, 4 de plus en largeur, 1 de plus en hauteur, ça vous change une auto, ça l’élance même. C’est l’auto de Malbosc (Pierre Tornade), vaniteux marinier, sorte de Monsieur Homais de la batellerie, transportant sa « 6 ch. » sur sa péniche pour circuler d’aise aux escales. Tout cet étirement la caractérisant, mais les portières doivent être identiques à celles de la R8 (comme sur le trio Lancia Thema, Fiat Croma, Saab 9000 des années 80) lui attribue, un petit aspect installé, « rangé des voitures », à la différence de la R8 plus énervée, aux pliures d’origami. La R10 fut presque élégante du fait de la dominante horizontale, tendue de la poupe à la proue, le jonc chromé juste cassé faute de pouvoir l’aligner sur la pointe du bloc clignotant-feu de position habillant l’angle de l’aile avant. Une auto longue et basse est bien habillée, presque tirée à quatre épingles. La R10 a un petit côté Simca 1500, mais en tout-à-l’arrière, et cela lui va si bien. Elle clôt aussi cette ruse de carrosserie commencée avec la ronde Dauphine, continuée avec la séduisante Floride et la géométrique R8, le logement de la roue de secours dans un coffre articulé à l’avant comme un menton de marionnette. La fourgonnette R4 eut son équivalent inversé avec le girafon (quel joli nom, pourquoi pas…) au sommet de la porte arrière de caisse. Bref, ce menton de tôlerie conséquence du moteur à l’arrière anthropomorphisait un tantinet ces Renault jusqu’à la 10 à l’instar des bouches pulpeuses des Vedette/Ariane. Passée aux optiques rectangulaires, c’est comme si R10 était passée chez l’oculiste. Avec cette 1300, elle quittait la généalogie en se « aireseïzant » aux tableaux avant et arrière, les feux arrière annonçant nettement ceux de la R16 millésime 1971. La R10 était une mue de la R8, non pas bourgeoise, mais plutôt accession à la propriété, d’allure conformiste, une R8 « comme-il-faut ». Elle fut une étape dans l’équipement automobile et statutaire des familles. La preuve, les parents de mon copain Jojo lâchèrent leur R10 en 1971 pour une blanche R12 TL (665 LS XX) remplacée en 1976 par une R20 TL praliné (508 QE XX). Une ascension.
PIM a des trous de mémoire. La R10 de Malbosc, c’est dans L’Homme du Picardie, série télévisée de l’ORTF, datant de 1969.