La Dyane est une automobile complexe à comprendre : très proche (trop ?) de la 2CV, techniquement comme stylistiquement, elle démontre les hésitations de Citroën à remplacer l’une des deux icônes de sa gamme et son désir de profiter encore longtemps d’une plate-forme et de motorisations amorties depuis longtemps. Pourquoi lancer en 1967 un tel modèle ? Sans doute pour animer la gamme à moindre frais en attendant les vraies nouveautés (GS et SM), pour soutenir la 2CV face à la Renault 4, pour utiliser le bureau d’études de Panhard alors désoeuvré, et avec le secret espoir que cette nouvelle mouture remplace la Deuche dans les coeurs grâce à ses lignes plus modernes. Disparue avant son aînée, on pourrait supposer un échec mais en réalité, coincée entre une 2CV moins chère ou des Ami 6 puis 8 (puis GS) plus grandes, elle ne s’en est pas si mal tirée. Et si elle n’a pas pris le dessus du côté des berlines, son dérivé Acadiane l’aura fait du côté des fourgonnettes.
Production (1967-1983) : 1 444 583 berlines et 253 393 fourgonnettes (Acadiane 1977-1987)
Lieu de production : Levallois-Perret (92), Rennes (35), Vigo (Espagne), Forest (Belgique), Mangualde (Portugal), Téhéran (Iran), Koper (Slovénie)
Animer la gamme
Pour comprendre la Dyane, il faut déjà se débarrasser d’une idée reçue : malgré son âge canonique, la Citroën 2CV ne souffre qu’à la marge du lancement de la Renault 4 en 1961. Si l’année 1962 voit fléchir ses ventes, elles retrouvent leur niveau dès 1963. Elle atteint même un premier record en 1964 (167 757 berlines), battu 3 ans plus tard en 1967, année de lancement de la Dyane qui nous occupe (168 384 exemplaires). Chez Citroën, on a lancé l’Ami 6 sur la même plate-forme sans cannibaliser les ventes et qui tente de faire la jointure avec le duo ID et DS, avec le renfort des produits Panhard : la PL17 d’abord, puis la 24. Les projets sont nombreux et ambitieux : projet F puis G, moteur à piston rotatif, autant de futurs produits (ou pas) qui demandent temps et argent. En attendant, il faut animer la gamme et les solutions ne sont pas légions : restyler la DS, repenser la 2CV et banaliser l’Ami 6.
Une Super 2CV
Pour “repenser la 2CV” justement, on lance le projet AY, qui doit non pas la remplacer mais plutôt la tirer vers le haut : un produit plus haut de gamme et plus rentable en somme. Dès 1965 et l’absorption totale de Panhard, on sait la marque condamnée et son bureau d’études désoeuvré. Cela tombe bien puisque du côté de Citroën, on croule sous les projets tandis que Robert Opron prend ses marques après la mort de Flaminio Bertoni en 1964. Le style est donc confié à Louis Bionier et René Ducassou-Péhau de chez Panhard avec la charge de moderniser la ligne sans trahir la 2CV. Ce projet prend le nom de Dyane, un presque anagramme de la très Panhard Dyna. Il sera cependant retravaillé par Jacques Charreton (extérieur) et Henry Dargent (intérieur) de chez Citroën : le premier projet semblait un peu trop osé pour Pierre Bercot, le patron de l’époque.
Un avantage rapidement réduit à néant
Côté technique, on recycle évidemment : châssis de 2CV et bicylindre bien sûr. L’idée cependant reste de proposer une montée en gamme. La Dyane, présentée en octobre 1967 au salon de Francfort, se veut donc une version plus cossue et plus puissante (18,5 chevaux tirés d’un 425 cc puis 25,5 chevaux pour 602 cc). L’offre moteur évolue rapidement puisque dès 1968, la Dyane 4 passe à 435 cc et 24 chevaux quand la Dyane 6 offre désormais 28,5 chevaux pour une cylindrée identique. Étrangement, Citroën va faire évoluer la 2CV en 1969 qui récupère les mêmes moteurs (2CV 4 et 2CV 6). La différence devient de plus en plus ténue d’autant que l’écart de tarif n’est pas négligeable (7 792 Francs pour une Dyane 6 Confort contre 6 892 Francs pour une 2CV 6).
SAIPA Jiane / Jyane
En 1966, Citroën signe un accord avec l’organisme d’État iranien IDRO pour la création de la Société Anonyme Iranienne pour la Production Automobile (SAIPA) dont elle prend 25 % du capital. Le produit phare de la nouvelle société sera la Dyane, en cours d’élaboration en France (mais le premier modèle sorti des chaînes sera la 2CV Fourgonnette AK350). La production, sous le nom perse de Jiane (parfois écrit Jyane), commence en 1968 avec pour objectif une intégration de pièces iraniennes à 50 %. Cette dernière rencontre un certain succès et évolue au fil des ans, s’éloignant de son modèle français pour gagner de plus en plus de spécificités iraniennes : nouveau style, version pick-up, fourgonnette (avant l’Acadiane française). Au catalogue, la Baby-Brousse la rejoint ainsi que quelques exemplaires de Méhari. La production durera jusqu’en 1980, mais les liens avec Citroën seront mis à mal par la révolution islamique fin 1979. Le nombre d’exemplaires produits est difficile à estimer (entre 5 et 10 000 exemplaires par an, au doigt mouillé).
La 2CV reprend du poil de la bête
L’année 1968 a vu les ventes de la 2CV tomber à 57 473 exemplaires tandis que la Dyane semblait prendre le dessus (98 769 unités) mais dès 1969, la tendance semble s’inverser : l’antique Deuche reprend du poil de la bête (72 044) quand la petite dernière stagne (95 434). En 1970, Mamie fait plus que de la résistance puisqu’elle repart vers des scores d’avant-Dyane (121 096 contre 96 546). Tout se passe comme si Citroën ne poussait pas réellement son modèle, préférant continuer à miser sur son cheval (enfin, ses deux chevaux) de 1948. Avec des motorisations identiques, mais des écarts de tarif sensible, la différence se joue sur le choix du design (rond ou carré) et sur un petit supplément de confort. De nouveauté en 1967, la Dyane est passée rapidement au statut de complément produit de la 2CV. Elle doit se contenter d’un petit espace à côté de sa sœur plus économique mais ses ventes progressent, du moins jusqu’en 1974, année record pour la Dyane (126 854 berlines) mais année toujours excellente pour la 2CV (163 143). Cette année-là, Citroën passe sous le contrôle progressif de Peugeot (qui prend le contrôle effectif en 1976). Si le Lion coupe dans la gamme et stoppe les projets des chevrons, le duo 2CV/Dyane n’est pas menacé : les deux sont ultra-rentables et se vendent bien. Cependant, il manque une vraie citadine moderne à Citroën et Peugeot va lui apporter sur un plateau en lançant la LN en 1976, clone de la Peugeot 104 mais équipé des bicylindres des 2CV et Dyane. La petite LN s’adresse à une clientèle plutôt citadine, mais elle reste dans la même zone tarifaire (bien qu’un peu plus chère).
Cimos Diana, Dak et Geri
A partir de 1972, la co-entreprise slovène Cimos produit en Yougoslavie, à Koper, la Dyane dans une version Diana 6 ainsi que deux dérivés spécifiques entre 1981 et 1985 : la Dak (une fourgonnette différente de l’Acadiane, dont le châssis est identique à celui de la Dyane) et la Geri (un pick-up). 2 200 Dak et 900 Geri seront produits, tandis que le chiffre des Dyane 6 reste inconnu.
Les séries spéciales Dyane
C’est en 1975 qu’apparaît la première série spéciale sur ce modèle. La Dyane Nazaré est produite dans l’usine de Mangualde et n’est destinée qu’au marché portugais. En France, la Dyane Caban fait son apparition en 1977 (1 500 exemplaires, mais aussi 250 pour la Grande Bretagne et 250 pour l’Allemagne et la Suisse). En 1981, c’est l’Espagne qui s’y met avec deux séries limitées : Edelweiss (750 unités) et Capra (600).
Une concurrence interne et externe forte
En 1978 pourtant, la Dyane obtient une victoire face à la 2CV. Sa déclinaison Acadiane va remplacer les Fourgonnettes 2CV (voir encadré). Ce petit succès n’empêche pas la berline de voir ses ventes baisser inexorablement. Il faut dire qu’en entrée de gamme, l’offre Citroën devient pléthorique : 2CV, Dyane, LN/LNA et désormais Visa, sans compter la 104 de chez Peugeot, proposée en berline et coach. D’autant que dans les cartons se trouve la future Talbot Samba, prévue pour 1981, et que la Renault 5 s’offre une version 5 portes en 1979. Cela commence à faire du monde à brouter dans le même pré. Si la gamme est maintenue telle quelle au début des années 80, c’est surtout par manque d’argent, vu la situation dramatique du jeune groupe PSA. On fait alors durer les modèles rentables et amortis depuis longtemps. La Dyane en fait partie, mais pas pour longtemps.
Citroën Acadiane
L’Acadiane est une 2CV qui s’ignore. Si elle remplace à partir de 1978 la 2CV Fourgonnette (sa production commence toutefois en fin 1977 tandis que celle de la 2CV se prolonge jusqu’en 1981 pour l’export), elle n’en est en fait que la prolongation. En effet, elle reste assez proche de sa devancière, bénéficiant d’un empattement légèrement agrandi. Avec son boxer 602 cc de 31 chevaux, elle reste un utilitaire daté et n’apporte pas grand chose de nouveau, à part une face avant de Dyane, justement. Symboliquement toutefois, c’est le seul domaine où cette dernière prendra le dessus sur la 2CV qui s’incline. Cette victoire sera de courte durée toutefois (enfin, pour l’époque). Face à la Renault 4 Fourgonnette, l’Acadiane ne fait pas le poids et Citroën prépare un nouvel utilitaire sur la base de la Visa, le C15 qui mettra un peu de temps à arriver, laissant à la bicylindre l’occasion de se faire une place sur le marché des fidèles. Elle cède donc sa place en 1984 mais reste longtemps (et encore aujourd’hui) sur nos routes de campagne.
Timide évolution
Elle évolue cependant en 1980 en recevant des freins à disques à l’avant, des ceintures de sécurité à l’arrière et une banquette rabattable. Cela ne suffit pas à stopper l’hémorragie. Citroën doit trancher et choisit de conserver l’iconique 2CV au catalogue, au détriment de la Dyane, d’autant qu’elle doit intégrer à sa gamme, contrainte et forcée par une situation roumaine dramatique, l’étrange Axel. La Dyane tire donc sa révérence en 1983 (bien que quelques modèles soient encore fabriqués début 84) sans pour autant avoir démérité : 1 444 583 berlines et 253 393 Acadiane. Elle part donc sans regret, satisfaite du travail bien fait. De toute façon, l’AX en 1986 condamne ces voitures désormais obsolètes : la 2CV sera conservée jusqu’en 1990 pour le folklore, d’une certaine manière, mais elle ne pouvait prétendre aux normes des années 90. Reste tout de même un mystère : quel était le réel objectif de Citroën en lançant la Dyane en 1967 tout en la privant de ses avantages à peine 3 ans plus tard ? Mal positionnée, elle ne pouvait que rester dans l’ombre mais ses performances remarquables malgré les embûches laissent un goût amer : que se serait-il passé si Citroën avait sacrifié la 2CV sur l’autel d’une plus moderne Dyane ? Mais avec des si…
Images : Conservatoire Citroën, Cimos, Saipa, DR
Un commentaire
Diane, pas seulement chasseresse, assurait la continuité de la lumière et donc des temps à venir. Ce devait être de bonne augure pour Citroën tout à son répertoire usant de l’allusion mythologique, on connait la suite. Mais comme l’évoque le sujet, il indique la parenté avec la doyenne, selon le poncif, « Panard » (comme le chantait Charles Trenet) & Levassor (« [Je t’attendrai] Á la porte du garage « , 1955) via la Dyna, ne renonçant pas la réduction à la troisième syllabe de la plantureuse Dynamic de 1936. On savoure la jovialité des clichés de l’article, très Dim Dam Dom, colorés comme dans un film de l’Agnès Varda d’alors. En plein éloge de la modernité, foi dans le futur dit par les formes y compris automobiles (Ah ! le saint homme Marcello Gandini !), Citroën est supposé moderniser la 2 CV en la géométrisant à partir du vocabulaire formel de l’Ami 6 appliqué à la voiture de 1948 et peut-être bien avec, ici ou là, des citations du projet C60 de 1960. On n’ose évoquer des détails de 24 BT/CT. Vraiment, la Dyane n’a rien d’une incongruité, mais Citroën fait preuve d’inventivité post-moderne en usant d’un répertoire d’avant-guerre, ailes saillantes, toit en toile, tout cela à rebours du vocabulaire de l’aérodynamisme, en plein temps de la célébration des tacots. Ils avaient l’air malin les fabricants d’ersatz d’Auburn et de Duesenberg. Citroën s’offrait le luxe de dessiner des voitures comme en 1938 et ce, bien avant la New Beetle de 1998. Le fil n’était pas coupé, l’histoire continuait, comme la promesse de fécondité assurée par Diane. Bon d’accord, c’est tiré par les cheveux. Quoi que. Bon sang que c’était moelleux une Dyane, sièges, suspensions. Et c’était joyeux à conduire. Bon sang, mais quel était ce monde où il suffisait de 18 à 24 ch DIN (Dyane 4) de 25,5 à 32 ch DIN (Dyane 6) et 41 Nm pour se déplacer ? Une Dyane 6 (3206 SV XX) a joué un rôle fondamental dans mon existence. Pensez-donc, une version beige, millésime 71 ou 72 ( ?) dépourvue de siège avant droit. C’était celle de ma future épouse. On aurait pu aller au bout du monde, ma (très) belle, la Dyane et ma pomme assis sur le tapis de caoutchouc, à l’avant, en dépit de toute sécurité. Mais personne n’est jamais venu verbaliser. Une bielle a cédé avant. Et on y pense toujours à cette Dyane. Dans ma petite patrie natale, les Dyane n’étaient pas rares, des 4 sans vitres de custode, dont une superbe jaune cédrat ou primevère, de dame chic, voiture sortie pour aller à la messe. Même les dames très comme-il-faut, un peu Elina Labourdette (encore une famille de l’industrie automobile, sinon de la carrosserie) osaient des couleurs savoureuses façon Les Parisiennes de Claude Bolling, pour leur voiture. Des 6 or métallisé et plus tard, usée jusqu’au deuxième mandat de Chirac, une bleu lagune ou des tropiques, hugopratisée, augmentée de portraits de Corto Maltese, d’autres de Snoopy. C’était aussi une caisse de bab’s. Tout de même, les campagnes aussi ne voient que rarement des Acadiane, cette façon qu’avait l’industrie automobile de faire des autos à la Rémi Julienne. On coupe une berline en deux, on jette la moitié arrière et on colle à la place un container. 4L fourgonnette devenues F4 et F6, Simca 1100 VF2, pick up 202, 203, 403, 404, 504, il doit en manquer. Au fait, la Dyane, est-ce que c’était une « voiture de dame », façon Mini, 4L Parisienne, Autobianchi A112 ? Ma (très) belle en a eu une aussi (112 TG XX). Mais là, c’est passible de mille hourvaris. Pensez-donc, « une voiture de dame », voilà un stéréotype de genre en airain.