L’apparition de l’AX au milieu des années 80 est une vraie révolution pour Citroën. Elle dispose enfin d’une vraie citadine adaptée à son marché, moderne, ingénieuse et qui complète parfaitement l’offre de Peugeot au sein d’un groupe PSA enfin cohérent. Plutôt que de cloner une 205 qui cartonne sur ce marché, Citroën va faire un pas de côté et proposer une offre différente, axée sur des qualités nouvelles : légèreté, sobriété, praticité et bon marché. Il ne s’agit pourtant pas d’un modèle low-cost, puisqu’elle dispose de sa propre plateforme et des derniers moteurs de PSA (le TU qu’elle étrenne), mais du fruit d’une intelligente réflexion sur la consommation, la facilité d’industrialisation (pour le constructeur) et d’entretien (pour le client). Une voiture discrète, certes, mais qui rencontrera son public, laissant derrière elle toute une génération nostalgique.
Production (1986-1998) : 2 570 364 ex.
Lieux : Aulnay sous Bois (93), Cerizay (79, AX électrique chez Heuliez), Vigo (Espagne), Mangualde (Portugal), Kuala-Lumpur (Malaisie, Proton Tiara)
Reprendre la main sur l’entrée de gamme
Au tout début des années 80, l’entrée de gamme Citroën est difficilement lisible pour la clientèle. La vénérable 2CV de 1948 est toujours au catalogue, tout comme la Dyane qui en dérive (elle disparaîtra cependant en 1983). On trouve aussi la petite LNA, directement dérivée de la Peugeot 104 dans sa version coach et qui représente l’offre purement citadine de la marque. A ses côtés, la Visa dérive quant à elle de la 104 berline et se positionne de façon intermédiaire en dessous de la GSA. Enfin, les difficultés de l’allié roumain Oltcit obligeront Citroën en 1984 à commercialiser l’Axel, rajoutant une couche de complexité à la gamme. Chez PSA, alors qu’on prépare deux grands projets à même de relancer le groupe (la BX pour 1982 et la 205 pour 1983), il devient évident qu’un nouveau modèle doit rationaliser l’offre sans pour autant concurrencer celle qui deviendra un best-seller : le projet M24, à savoir la 205.
La tentation du monocorps
Le projet ZA est donc lancé en 1980 puis évolue en projet S9, récupérant par ailleurs les enseignements du programme Eco 2000. De nombreuses réflexions seront lancées autour de son design. Heuliez sera consulté, tout comme Art Blakeslee chez Talbot, en Angleterre, Fergus Pollock et Trevor Fiore (pour Citroën). Bertone fera aussi des propositions. Au tout début du projet, il est prévu d’en décliner un modèle Talbot, idée qui sera vite abandonnée, aux alentours de 1983, la fin de la marque étant actée rapidement par le nouveau PDG de PSA, Jacques Calvet. On envisage une proposition audacieuse et monocorps, sorte de Twingo avant l’heure, qui sera refusée après des tests auprès d’un panel. Finalement, le design de Trevor Fiore est retenu. Il est compact, classique, mais sa face avant et ses feux rappellent sa grande sœur BX, tandis que son Cx est excellent.
Légèreté, sobriété
Cette recherche d’un bon Cx n’est pas anodine. Après la crise pétrolière de fin 1979, de nombreuses réflexions sont menées chez les constructeurs français (poussés en cela par l’État) pour diminuer la consommation. Chez Citroën, le fruit de cette réflexion s’appelle Eco 2000 et ses résultats influencent les études de l’AX. La voiture de série hérite donc d’un excellent coefficient de pénétration dans l’air (0,31) et bénéficie de la concordance d’un poids plume (640 kg pour la plus légère des versions) et de moteurs récents et efficients. A la clé, une consommation de 5 à 6 litres aux 100 km en fonction des motorisations, soit presque 1 litre de moins qu’une 205 équivalente tout en coûtant moins cher à l’achat (particulièrement pour les versions de base, l’écart se réduisant en montant en gamme). Sous ses airs sérieux, l’AX est donc une vraie Citroën, intelligente et réfléchie.
Du neuf sous le capot
Côté moteur, c’est aussi la révolution pour Citroën. Alors que ses modèles d’entrée de gamme composaient avec des bicylindres (2CV, LNA, Visa), des 4 cylindres X (LNA, Visa) ou un 4 cylindres à plat (Axel), l’AX s’offre (et inaugure) la dernière nouveauté de chez PSA : le moteur TU disponible au lancement en 3 cylindrées (954 cc de 45 ch, 1 124 cc de 55 ch ou 1 360 cc de 65 ch). Présentée en octobre 1986 au Salon de Paris, elle n’est alors disponible qu’en trois portes (laissant un peu de répit à la Visa) et en 6 versions (10 E, 10 RE, 11 RE, 11 TRE, 14 TRS et 14 TZS). Pour accompagner la petite nouvelle et la dynamiser en attendant le développement de la gamme, Citroën présente en même le concept Xanthia basée sur l’AX (voir encadré). Enfin, la marque fait appel à l’agence RSCG et son génial créatif Jacques Séguéla pour une campagne de pub elle-aussi révolutionnaire (c’est le cas de le dire) mettant en scène la citadine sur la Muraille de Chine.
Citroën Xanthia
Si le lancement de l’AX est crucial et la voiture intéressante, les versions présentées au Salon de Paris 1986 restent assez classiques, en attendant la plus fantasque AX Sport. Citroën décide donc d’accompagner sa petite citadine d’un concept plus dynamique dénommé Xanthia (le nom inspirera le marketing à l’heure de remplacer la BX). Sur la base de l’AX, il s’agit en fait d’un véritable roadster à l’allure très sportive dans l’esprit de la Peugeot Peugette de 1976. Stricte deux places, sa ligne donne (faussement) l’impression d’un moteur central arrière tandis que son pare-brise saute vent dynamise la ligne. L’intérieur, quant à lui, est luxueux et futuriste. La Xanthia est très réussie mais laissera planer le doute sur une version cabriolet qui ne viendra jamais en série (voir encadré plus bas).
Une gamme enfin complète
Les débuts commerciaux de l’AX sont encourageants mais encore timides au début de l’année 1987. Heureusement, la gamme se développe rapidement : en mars, Citroën présente l’AX Sport (5 000 exemplaires), une véritable bombinette avec son 1 360 cc à carburateur Solex double corps de 95 chevaux (pour 730 kg). En septembre, les versions 5 portes ouvrent enfin la voie du succès d’autant que la Visa tire sa révérence et que l’Axel (qui se vend de toute façon très mal) n’en a plus pour longtemps. L’AX termine l’année à 238 562 exemplaires : un chiffre jamais atteint par la LN/LNA, ni même par la Visa (et encore moins par l’Axel).
Citroën AX Van Evasion
En 1988, Heuliez est un partenaire privilégié de Citroën. L’entreprise fabrique alors les BX Break Evasion, ainsi que les dernières CX Break, et s’apprête à produire la future XM Break. Cependant, pour assurer son chiffre d’affaires, le carrossier picto-charentais n’hésite jamais à proposer de nouveaux modèles pour séduire ses grands donneurs d’ordre. Afin d’offrir une plus grande capacité à l’AX, Heuliez imagine une étonnante version Van Evasion au pavillon surélevé et à l’empattement rallongé. PSA décline poliment la proposition jugée peu pertinente sur ce segment (pour l’instant) et la voiture sera remisée avant d’être revendue à la faillite d’Heuliez.
Des ventes records
L’AX devient donc la locomotive du bas de gamme Citroën, avec succès. Une version GT vient enrichir l’offre en octobre, tandis qu’en février 1988, la K-Way lance la politique des séries spéciales qui seront nombreuses tout au long de la carrière de l’AX (Air France Madame, Kaki, Thalassa, Tonic, Volcane et tant d’autres). En septembre 1988, l’offre moteur est élargie au diesel, spécialité de PSA (1.4 et 53 chevaux) et la petite AX s’envole pour un nouveau record (329 516 exemplaires). Pas pour longtemps cependant car en 1989, la petite chevronnée fait encore mieux, avec 390 157 unités (à comparer cependant avec la 205 qui se vend à 565 830 exemplaires cette année-là).
Citroën AX BB Cabrio
Présentée en 1988, la Citroën AX BB Cabrio a été commandée à AG Engineering par l’un des plus gros concessionnaires Citroën du Portugal, Benjamin Barral. Difficile de dire combien d’exemplaires de ce séduisant petit cabriolet furent réellement produits. Elle ne sera commercialisée qu’à partir de 1991, après 3 ans de difficile homologation et alors que l’AX est enfin en production au Portugal dans l’usine Citroën de Mangualde. Elle fut essentiellement vendue au Portugal par Barral, mais il semblerait qu’elle fut exportée un temps en Suisse, au prix de 30 000 F suisses de l’époque. La production dure deux ans, jusqu’à fin 92 (avec 60 à 92 exemplaires construits, selon les sources). Les AX BB Cabrio GT étaient basée sur l’AX GT, et donc dotée du petit 1,4 litres de 86 ch, et mise à part la découpe du toit, elles diffèrent très peu de leur modèle d’origine.
Un coup de jeune pour résister à la concurrence
La carrière de l’AX est certes bien lancée mais ses ventes commencent à décliner en 1990. La petite Citroën reçoit donc un coup de jeune en 1991. Cela ne suffit pas car la concurrence devient rude avec la nouvelle Renault Clio sortie en 1990 et la cousine Peugeot 106 en 1991. Ironie de l’histoire, si la LN récupérait un châssis de 104, la 106, elle, se base sur l’AX. Cette année-là, une version 4×4 complète la gamme, ainsi qu’une GTI de 100 chevaux et une GT de 85 chevaux. La Sport, elle, se retire discrètement. En 1992, les moteurs passent à l’injection et à la catalysation (la GTI tombant alors à 95 ch et la GT à 75). En septembre, l’Exclusive tente de concurrencer la Clio Baccara grâce à sa sellerie cuir, des jantes en alliage et des antibrouillards (elle restera cependant confidentielle).
Proton Tiara
Au début des années 90, le constructeur malaisien Proton cherche à diversifier sa production jusqu’alors essentiellement constituée de modèles Mitsubishi. C’est vers le groupe PSA que la firme va se tourner, envisageant d’abord la production de Peugeot 306. C’est finalement sur la Citroën AX que se porte l’accord signé en 1995 : PSA rentabilise alors une voiture déjà sortie de la gamme française (remplacée par la Saxo), tandis que Proton se renforce sur le marché des citadines alors totalement aux mains de son concurrent Perodua, spécialiste des petites voitures grâce à son partenariat avec le constructeur japonais Daihatsu (filiale de Toyota). L’AX est donc restylée pour s’intégrer à la gamme Proton, et s’appellera désormais Tiara, c’est à dire diadème en français. En fait de diamant de la gamme, la Tiara sera un échec total. Trop différente du reste de la gamme très japonaise, uniquement motorisée par un petit 1,1 litres de 60 ch, elle ne rencontrera pas le succès. Surtout qu’un accord entre PSA et Proton en interdit l’exportation. Malgré un pic à plus de 14 000 exemplaires en 1997, les ventes retombent comme un soufflet, et début 1999, Proton jette l’éponge, après 30 000 exemplaires vendus là où les objectifs étaient de 20 000 exemplaires par an.
Fin de carrière tranquille, le devoir accompli
En juillet 1993, la gamme est réorganisée sur le même modèle que la Xantia (X, SX, VSX) tandis que les séries spéciales s’enchaînent pour maintenir les ventes d’un modèle qui commence à dater. Un modèle électrique est mis en test à La Rochelle (voir encadré) avant d’être mis en vente. En juillet 1995, la gamme se réduit à trois modèles : la 4×4, la Spot et l’Image. Alors que la Saxo est lancée au début de l’année 1996, l’AX fait désormais figure d’offre bon marché. En juillet 1997, seule la Spot 1.0 (60 ch) est proposée à la vente. Un an plus tard, la production de l’AX cesse, après 2 425 138 exemplaires particuliers et 145 226 Entreprise, remplacée par une Saxo dérivée, ironie de l’histoire, de la 106.
Citroën AX électrique
En 1993, un partenariat est signé avec la ville de La Rochelle, qui veut être à la pointe du transport écologique, pour tester « grandeur nature » l’utilisation de véhicules électriques. 30 particuliers auront le droit pendant deux ans de bénéficier de 106 électriques afin de « valider le concept ». Les utilisateurs sont enthousiastes, et la décision est prise de produire en série des Citroën AX et Peugeot 106 à destination des particuliers comme des entreprises et administrations (en VP ou VU 2 places donc). La motorisation provient de chez Leroy-Sommer (situé à Poitiers), tandis que la production est réalisée chez Heuliez (à Cerizay). Le moteur électrique développe 27 chevaux. Les voitures disposent certes d’une « prise » de recharge située sur l’aile avant, mais aussi d’une trappe à essence à l’arrière. Il faut dire que les AX/Saxo/106 ne sont pas 100% électriques : elles disposent d’un petit moteur thermique diesel et d’un réservoir de 8 litres pour… faire fonctionner le chauffage ! L’autonomie du véhicule (environ 80 km) limite aussi l’utilisation à la ville et sa banlieue. L’AX électrique sera vite remplacée en 1996 par la Saxo, après seulement 694 exemplaires entre 1993 et 1996.
Malgré sa ligne discrète, l’AX aura tenu son rang de petite Citroën abordable et marqué son temps par sa sobriété, sa simplicité d’usage et d’entretien, ses petits prix et sa gamme relativement large (de la dépouillée 10 E du début à la luxueuse Exclusive, de la Sport à la GTI, en passant par les 4×4, les diesels ou les séries spéciales marquantes). Elle aura par ailleurs touché toutes les générations, réalisant le grand écart en étant à la fois une voiture de vieux et une voiture de jeunes. Fédérer n’est pas toujours facile et l’AX l’a fait avec brio, réussissant le challenge de rester une vraie Citroën au sein du groupe PSA.
Photos : Citroën communication, Heuliez, Car Design Archives, DR