La M35 est la première pierre visible de Citroën dans le domaine du moteur à piston rotatif. Plutôt qu’un modèle à part entière, il s’agit d’un prototype à la fonction bien précise : valider certains concepts techniques en vue du lancement d’autres voitures plus ambitieuses d’une part, et préparer le public à la rupture technologique à venir d’autre part. En effet, Citroën s’est associé depuis quelques années au constructeur allemand NSU pour développer et industrialiser le moteur Wankel et ainsi perpétuer sa qualité de défricheur technologique après la traction et la suspension hydropneumatique. La M35, vendue à des fidèles volontiers cobaye, ne sera pas un échec à proprement parler (les ambitions étaient modestes) mais peinera à atteindre ses objectifs.
Production (1969-1971): 267 exemplaires
Lieu : Cerizay (79)
La tentation du moteur à piston rotatif
L’aventure commence dans les années 60. Si Citroën domine le haut de gamme avec la DS (et l’ID), son patron, Pierre Bercot, est persuadé que la marque doit à nouveau innover pour se démarquer de ses concurrents bien plus timorés techniquement. Après avoir imposé la traction avant puis révolutionné la conduite grâce à la suspension hydraulique, il convient désormais de s’attaquer au point faible de Citroën : les moteurs. Les DS et ID, bien que convaincantes, doivent se contenter d’évolutions successives du 4 cylindres de la Traction dont le développement remonte aux années 30. Si la marque ne renonce pas à un moteur plus noble (on le verra par la suite avec le rachat de Maserati et le lancement de la SM), elle espère aussi proposer une alternative qu’elle entrevoit avec le moteur à piston rotatif développé par l’ingénieur Félix Wankel. Elle n’est pas la seule sur le coup : depuis 1951, NSU collabore avec Wankel pour des moteurs de motos et travaille sur une application automobile. Cependant, les investissements sont lourds et les deux constructeurs jugent opportun de s’associer pour partager les frais.
Comobil et Comotor : l’alliance avec NSU
La collaboration entre NSU et Citroën commence en 1964 mais n’est contractualisé qu’en 1965 avec la création de la société commune (50/50) Comobil, chargée de préparer et d’étudier la production d’automobiles équipés d’un moteur à piston rotatif sous licence Wankel. Chez Citroën, on est alors en pleine préparation du projet F (qui ne verra jamais le jour) et l’on imagine le doter, en haut de gamme, d’un tel bloc moteur. Finalement, c’est le projet G, lancé en 1967, qui se voit attribué cette nouvelle motorisation (et Ro80 pour NSU), tandis qu’en mai de la même année est fondée la société Comotor SA au Luxembourg. Cette dernière aura pour mission de produire les moteurs pour NSU comme pour Citroën. Des terrains sont achetés en Sarre en 1969 pour y construire l’usine dédiée au moteur à piston rotatif (qu’on appelle souvent abusivement “moteur rotatif”).
Un test grandeur nature
Sans attendre que l’usine soit terminée, Citroën décide d’accélérer les choses pour être prête au moment du lancement de la future GS Birotor (projet GZ) prévu pour 1972. C’est toute la raison d’être du prototype M35 : servir de mulet. Pour raccourcir les délais, la marque décide de mettre à contribution ses plus fidèles clients : la M35 sera confiée à 500 bêta testeurs chargés de faire remonter leurs observations d’utilisation sur une longue durée (2 ans) et de longues distances (plus de 30 000 km par an). Preuve qu’il s’agit d’un prototype et non d’un modèle à part entière : la M35 sera réalisée par Heuliez en petite série (500 exemplaires prévus) et les moteurs réalisés à la main chez NSU. Ce dernier, de type KKM 500, est un monorotor (différent donc, du bloc de la GZ) de 995 cc développant 49 chevaux DIN, accouplé à une boîte de vitesses à 4 rapports inédite et qui servira par la suite sur les GS 1015.
Une Ami 8 revisitée par Heuliez
La caisse, quant à elle, est dérivée de l’Ami 8 mais se présente sous la forme d’un coupé fastback réalisé par Heuliez. Si l’air de famille avec la donneuse est évident, il ne faut pas sous-estimer le travail du carrossier picto-charentais tant de nombreuses pièces sont spécifiques. Évidemment, la voiture n’est pas un prix de beauté mais elle n’a pas vocation à séduire. Son rôle serait plutôt de se faire remarquer et d’afficher clairement sa condition de voiture testeuse. D’ailleurs, les M35 sont toutes peintes de la même couleur et portent leur nom et numéro de modèle sur l’aile avant. Enfin, elles récupèrent évidemment une suspension hydraulique (ce qu’aucune Ami n’aura jamais) car Citroën est bien décidée à allier deux technologies plutôt qu’une. Avec 815 kg, la M35 peut atteindre 144 km/h.
Des cobayes pour le rotor
L’Auto-Journal révèle l’opération en décembre 1969. Il note en préambule que certains, depuis quelque temps, observaient à Javel d’étranges Ami 6 au capot rallongé et au bruit feutré démontrant l’absence de bicylindre. D’autres avaient aperçu, dans les environs de Paris, des breaks Ami 6 non seulement rapides et silencieux, mais aussi à l’assiette constante, preuve de la présence d’une suspension hydraulique. Le principe de l’opération M35 est simple : 500 clients triés sur le volet, volontaires et gros rouleurs, pourront acheter un exemplaire avec la garantie d’un rachat par Citroën au bout de deux ans (dans de bonnes conditions financières). Pour 14 000 F, soit le prix d’une DSuper, on pouvait donc devenir pour deux ans un authentique essayeur Citroën, à condition de justifier de plus de 30 000 km par an. Le moteur est garanti par Citroën pour deux ans. En cas de panne, le réseau a reçu pour instruction de traiter ces clients en privilégiés et de fournir un véhicule de remplacement.
Etonnante sans être bluffante
La voiture se révèle particulièrement agréable à conduire grâce à sa suspension hydro-pneumatique onctueuse et à son intérieur plus luxueux que celui de l’Ami 8 (et en particulier ses sièges spécifiques qui préfigurent ceux de la SM). Le silence de fonctionnement est aussi particulièrement appréciable mais les performances sont jugées décevantes par rapport aux attentes. Le freinage est en revanche très efficace, et la boîte tout à fait correcte. Pas de quoi cependant justifier son tarif qui permettrait de s’acheter une DS autrement plus valorisante. Or dans le cas de la M35, le prix n’est pas un problème pour ses clients, enthousiastes et ravis de jouer les cobayes.
Une production limitée
La production commence dès 1969 avec 6 exemplaires, suivis de 212 en 1970 et 49 en 1971. Chaque M35 coûtant en réalité plus cher que le prix réclamé au testeur volontaire, Citroën décide de ne pas aller jusqu’aux 500 exemplaires promis, et ce malgré près de 5 000 demandes reçues au siège (cette voiture ne se commandait pas chez le concessionnaire). Comme promis, Citroën proposa à ses clients le rachat du véhicule au bout de deux ans. Environ 1⁄3 d’entre eux refusèrent, préférant garder leur précieux prototype. Les autres cédèrent et virent partir leur M35 à la broyeuse (quelques exemplaires furent conservés par le constructeur, cependant).
Collector pour passionnés
La M35 n’est donc pas à proprement dit un échec : prévue pour être en série limitée et n’ayant pour vocation qu’un test grandeur nature pour une application sur la GS Birotor, elle aura connu la carrière à laquelle on la destinait. Que la production fut plus réduite que prévu n’est en tout cas pas le résultat d’une question commerciale mais plutôt financière face au coût réel d’une telle opération. A l’époque comme aujourd’hui, elle reste cependant une affaire de spécialistes, voire de fous furieux, de la marque. Un collector assurément.
Images : Citroën Héritage, DR
Un commentaire
Arsène Lupin donne le tournis citroënien ces temps-ci. Pensez-donc, Dyane, AX, Saxo et une bien moins banale, la M35. Á y regarder de près, ce bitza restait vraisemblable et attirant, dans la perspective du prototype C60 de 1960. L’une et l’autre suspendues par l’hydropneumatique. Les rotatives étaient pour les minots d’alors, dont j’étais, badant devant les rares curiosités automobiles visibles, des voitures du futur, comme les motos. Mais la Suzuki RE-5 Rotary est postérieure, sortie en 1974. Les NSU Ro80 de 1967, dont le moteur se retrouva dans la GS Birotor étaient aussi curieuses que magnifiques. Il était là le futur automobile plutôt que dans les tentatives à turbine. La NSU spider, façon Tesla roadster avant la lettre, avait initié le parcours. Faire de l’AMI 8 un coupé à la technique hétérodoxe valait bien de pervertir doublement sa caisse. Elle est refaçonnée, tranchée de façon brute, en coupé fastback à l’instar d’une VW 1500 (voire R15 de peu postérieure) plus harmonieuse, mais la suspension la couche comme un chien tapi. Le véhicule de service est transfiguré et enjolivé force baguettes chromées et inox, l’habitacle doté d’une sellerie soignée évoquant celle de la SM, sinon celle des sièges Barcelona (1929) de Mies Van der Rohe très en vogue dans les 60’. Et puis l’aile arrière longue, venue du cabriolet DS , c’est aussi la signature de la SM, comme le déflecteur de vitre avant. La voiture est lisse et allongée, l’effet lissé disant la perfection technique, l’économie de formes. Concordance des temps. Il parait que ces autos étaient gloutonnes. Les retours d’expérience des utilisateurs d’alors, analysés par les ingénieurs et techniciens de Citroën, permettraient sûrement d’aller plus loin que la description.