Alors que l’A110 n’en finit pas de mourir, Alpine fait évoluer en 1976 son modèle phare, l’A310, en lui offrant deux cylindres de plus et un nouveau physique. Si les puristes grincent des dents, voyant l’esprit Alpine s’envoler et la ligne s’alourdir, les résultats sont là : l’A310 V6 se vend mieux que sa devancière à 4 cylindres, et même que l’A110 au temps de sa gloire et permettant au modèle de devenir la plus vendue des Alpine jusqu’à ce que l’A110 nouvelle génération ne vienne le détrôner au tournant des années 2020.
Production (1976-1984) : 9 276 exemplaires
Lieu : Dieppe (76)
Le PRV enfin disponible
Dès la conception de l’A310, les ingénieurs de chez Alpine ambitionnaient d’utiliser un V6 afin de faire monter en gamme le nouveau modèle. Faute d’un moteur disponible en 1971 (le PRV n’étant pas encore prêt), le coupé sportif dieppois dût se contenter d’un 4 cylindres qui limitait les performances attendues d’un tel modèle. Une fois le V6 réalisé par la Française de Mécanique, société commune à Renault et Peugeot, et intégré à leurs gammes respectives (Peugeot 504 coupés et cabriolet, 604 et Renault 30), il devenait enfin possible d’offrir plus de noblesse et plus de watts à l’A310. Bien qu’envisagée dès le départ avec une telle motorisation, il fallait pourtant modifier la voiture pour loger le nouveau bloc. Afin de marquer le coup et de différencier le nouveau modèle de l’ancien, le style fut lui aussi revu en profondeur.
Plus de muscles, moins de grâce
Ce que l’A310 gagne en puissance, elle le perd en grâce ! Les voies élargies à l’arrière lui offrent un popotin plus prononcé, tandis qu’elle abandonne les six feux sous plexiglas pour une face avant beaucoup plus conventionnelle à quatre optiques. Dommage tant ce signe distinctif lui allait bien mais on estime à Dieppe qu’une césure marquante doit être faite : impossible de confondre une A310 4 cylindres et une V6. En outre, l’A310 V6 se veut plus GT que berlinette, et se doit d’être plus statutaire en perdant sa taille de guêpe et son regard multiple. Cependant, la voiture paraît plus musclée dès le premier regard, plus lourde aussi. C’est ainsi que l’on conçoit désormais une Alpine moderne.
Du poids et des chevaux
Du poids, elle en prend d’ailleurs, essentiellement à l’arrière. Le V6 PRV à double carburateurs (1 simple corps et 1 double corps) de 2 664 cc pour 150 chevaux (soit 25 de plus que la Renault 30 TS) pèse 100 kg de plus que le 4 cylindres précédent et transforme le comportement de la voiture, plus pointue à manier. Malheureusement, l’A310 V6 doit se contenter (pour le moment) d’une boîte à 4 vitesses seulement issue elle aussi de la R30 TS. Si les performances s’améliorent, elles n’en sont pas pour autant époustouflantes et la tenue de route de la nouvelle Alpine est particulièrement critiquée tant le poids se fait sentir à l’arrière. A l’intérieur, l’organisation est un peu revue et la voiture hérite de sièges pétale plus confortables. Présentée dans le courant de l’année 1976, ses premières ventes sont anecdotiques (140 exemplaires) mais la mayonnaise prend dès 1977 avec 1 220 véhicules produits, soit près du double de la meilleure année de l’A310 L4. En 1978, les ventes se maintiennent à 1 216 exemplaires : en deux ans et demi, l’A310 V6 a déjà dépassé la production totale de la 4 cylindres en 6 ans.
Les Alpine A310 de la Gendarmerie
Alors que les Brigades Rapides d’Intervention (BRI) semblent de plus en plus tentées par Citroën, complétant son parc d’A110 par des SM et des DS23 IE, Alpine revient à la charge en proposant son A310 4 cylindres. Une VF est prêtée à la Maréchaussée début 1974 et la séduction opère : 6 exemplaires sont commandés pour remplacer petit à petit les A110. En 1977, la Gendarmerie décide de goûter au 6 cylindres et passe commande de 7 exemplaires d’A310 V6. En 1981, un huitième exemplaire est réceptionné (le seul en phase 2). Avec 6 A310 VF et 8 A310 V6, le parc a fière allure. Malheureusement, l’Alpine V6 GT n’aura pas la chance d’intégrer le cheptel malgré le prêt de 8 exemplaires en 1986, finalement recalés par la Gendarmerie.
Une nouvelle boîte 5 suivi d’un restylage
L’année 1979 marque une première rupture dans la vie de GT française. Elle reçoit enfin en janvier une nouvelle boîte de vitesses à 5 rapports issue de la R30 TX. Pour l’installer, il faut revoir l’arrière du châssis mais le gain en vaut la chandelle. D’ailleurs, les ventes s’en ressentent puisqu’elles grimpent à 1 381 exemplaires. Il ne s’agit pourtant pas de s’endormir sur ses lauriers et Alpine décide pour juillet 1980 d’offrir une cure de jouvence à l’A310. Années 80 obligent, elle récupère ainsi sa dose de plastique (boucliers avant et arrière), des ailes élargies, un nouveau spoiler avant, et devient plus agressive (mais moins élégante). Côté technique, elle hérite d’un train arrière proche de celui de la Renault 5 Turbo permettant une harmonisation de la production (la méchante R5 est produite à Dieppe) et des économies d’échelle. A cette occasion, la grille tarifaire est revue et l’A310 s’avère très bien placée sur le marché des sportives.
Pack GT en approche
Malgré cela, les ventes fléchissent un peu en 1980, tombant à 1 138 exemplaires, mais heureusement, la tendance s’inverse dès 1981 avec 1 284 unités sorties d’usine. Cependant, le modèle commence à dater et la courbe plonge à nouveau en 1982 (1 095 voitures produites). Pour tenter de ranimer la flamme, Alpine présente en novembre 1982 la Pack GT, jusqu’alors vendue quasiment sous le manteau par le Centre Alpine de Boulogne. Alpine l’intègre finalement à sa gamme face à l’intérêt grandissant du public pour une telle déclinaison. Il s’agit tout simplement de muscler l’A310 pour lui donner l’aspect d’une Groupe 4. Grâce à des élargisseurs d’ailes, des marchepieds, un nouveau spoiler arrière et des jantes Elia, la voiture devient plus méchante mais moins élégante encore (on n’est pas loin du tuning alors en vogue). Pourtant, la clientèle plébiscite le Pack GT qui va devenir la finition majoritaire des voitures produites à partir de là. Les ventes remontent un peu en 1983 (l’effet Pack ?) avec 1 139 voitures vendues mais le sort de l’A310 est scellé : une nouvelle Alpine est en approche.
Alpine A310 Boulogne 200 chevaux
Le Centre Alpine de Boulogne ne chôme toujours pas. Après avoir offert son Pack GT à la marque, la petite équipe menée par Bernard Pierangeli imagine une version plus performante de l’A310 à destination de clients exigeants. Pour améliorer la performance, on décide d’utiliser comme base le PRV dédié jusqu’alors à Volvo de 2 849 cc. Le moteur est modifié (arbre à cames notamment), amélioré, passant aux carburateurs triple corps Weber et autres petites attention pour faire grimper le couple à 253 Nm au lieu de 204 et atteindre la puissance de 193 chevaux (elle sera abusivement appelée Boulogne 200 chevaux). Le premier client sera Thierry Sabine et 27 voitures trouveront preneur au total.
Place à la GTA
L’année 1984 sera la dernière année de production de l’A310 V6. Renault et Alpine annoncent le lancement prochain de la V6 GT (souvent appelée GTA) dont le moteur atmosphérique passe à 160 chevaux (une version Turbo est en préparation). L’attrait de l’A310 baisse inévitablement et la production chute à 663 exemplaires avant de laisser sa place sur la chaîne de montage de Dieppe à la nouvelle venue. L’A310 V6 n’aura pas démérité avec 9 276 exemplaires vendus en 9 ans de carrière et conserve aujourd’hui un fort pouvoir d’attraction.
Photos : Renault Classic, Alpine, DR
Un commentaire
En définitive, l’A310 V6 reprit le flambeau motorisé de feue la SM. La première SM portait son V6 Maserati de 2 670 cm3 valant 170 ch puis 178, avant de passer au quasi 3 litres (2 965 cm3 et 180 ch). Certes l’A310 V6 PRV croisait plus bas, 150 ch sortant des 2 664 cm3. La comparaison n’est sûrement pas fondée ni judicieuse, mais l’industrie française n’avait rien d’autre à proposer. Un problème de riche. N’est cependant pas Porsche qui veut. L’auto parait changer de registre comme le fit Ligier avec la très pointue JS1 succédée par la JS2 pour experts. De même, l’avant so seventies, plus littéral que la verrière plus raffinée de la SM annonce un dispositif retrouvé plus tard, l’inspira-t-elle, sur les Chevrolet Camaro 1982, voire les Pontiac Firebird 1981. Le sujet sur l’A310 4 cylindres avait posé le scénario. L’originelle appartenait à un univers automobile, celui du principe de la légèreté et de l’agilité compensant la puissance contenue. La deuxième et non seconde, car Arsène Lupin continuera bien la succession des générations de la GTA jusqu’à l’ultime A610, fut pertinente puisqu’elle fut vendue avec profit. Je me souviens de l’impression que faisait le photographe de la fac et du centré d’études médiévales, quand j’étais étudiant, lorsqu’il garait ostensiblement son A310 V6 grise aux jantes de R5 Turbo 1. Il la remplaça d’ailleurs par une Turbo 2. Nous, on roulait dans les Fiat 850 ou 127 des copains déjà bien poncées par les ans. C’était bas, très bas, plantureux mais supportait difficilement la comparaison lorsque le fils du concessionnaire Fiat venait garer sa Ferrari 308 GT4 devant le Pilori, le bistro des étudiants et des rugbymen locaux. C’était pas la même limonade. Si l’on ose des comparaisons hasardeuses, l’A310 V6 portait les élargissements d’ailles comme les Scora Jidé 1600, voitures de puriste, de converti de la première heure. L’A310 faisait sa bourgeoise. De toute façon Paul aboutira tôt ou tard à son Henriette de Mortsauf automobile (pour moi, c’est Madame de Chasteller, Balzac ou Stendhal il faut prendre son parti) palpitant au V6, la raffinée Venturi Atlantique 300. C’est bien la même idée de l’automobile grand tourisme, n’est-ce-pas ?