Si en 1984 le Renault Espace de première génération cassait les codes de l’automobile, ce n’était plus le cas de son successeur en 1991, l’Espace 2. Il avait fallu du temps pour imposer le concept mais Renault avait persisté au point de préparer la suite dès 1987. Avec l’Espace 2, la Régie montrait sa confiance dans le produit comme dans le marché avec une voiture aboutie, n’hésitant pas à monter en gamme jusqu’à proposer un V6 sous le capot. Si l’Espace 1 était punk, l’Espace 2 devenait bourgeoise et cela lui allait bien. Les clients ne s’y sont pas trompés, plébiscitant la voiture malgré une concurrence naissante.
Production (1991-1996) : 317 225 exemplaires
Lieu : Romorantin (Matra, 41)
Transformer l’essai en montant en gamme
L’Espace 1 était un pari industriel et commercial, proposé en désespoir de cause à Renault après le désistement d’un groupe PSA en pleine déconfiture. Passé à deux doigts du désastre, la persévérance avait fini par payer, propulsant Renault en figure de proue de l’avant-gardisme européen. Aussi, dans la foulée des études menées en 1986 pour adapter l’Espace au marché américain, Matra et Renault s’attaquent dès 1987 à une nouvelle mouture sous le nom de code P36. Les chiffres de vente de l’Espace I restaient modestes mais en progrès constant (1990 sera sa meilleure année avec 47 421 exemplaires), tandis que le service marketing notait une part croissante des versions hautes dans les choix de la clientèle. La voie était claire : il fallait monter en gamme tant pour satisfaire le marché que pour mieux rentabiliser l’investissement grâce à des marges supérieures.
Le P36 devient J63 et son style se fige
Entre le premier prototype destiné à AMC (nom de code Espace Prime) en 1986/1987 et les projets P36A et P36B en 1988, de nombreux essais de style seront proposés, notamment les J48 AMC, J48A et J48B (1987). Finalement, le style retenu propose une évolution douce, ronde mais plus statutaire de l’Espace 1. Visuellement, le P36 en impose par rapport à la frêle Espace 1 et le design est figé en 1988. Fini le bricolage et les pièces venues d’un peu partout, le P36 devient J63 et s’offre un style personnel cohérent tout en s’adaptant aux nouvelles tendances envisagées pour les années 90 (heureusement, le J63 ne tombera pas dans l’excès de bio design). Sa plate-forme est retravaillée et rallongée (4,43 mètres contre 4,25 pour la précédente mouture) et le train avant (trains roulants, essieu) n’est plus celui de la Fuego mais reprend celui de la Renault 25. Enfin, la voiture est conçue pour pouvoir accueillir le V6 PRV sous le capot, preuve de la volonté de toucher une clientèle plus fortunée.
Un nouveau site industriel à Romorantin
Chez Renault comme chez Matra, on analyse la montée en puissance de l’Espace 1 avec confiance mais aussi vision. Si ses ventes restaient modestes, elles dépassaient désormais les capacités annuelles de Matra à Romorantin. Pour suivre la cadence, il avait fallu ouvrir une deuxième chaîne à Dieppe, chez Alpine. Pour le J63, on projette des ventes encore supérieures mais il semble impensable de continuer à cheval sur deux sites industriels. La construction d’un nouveau site à Romorantin est donc décidée (et financée en grande partie par Matra) : le Centre Romo 3. Avec 18 792 m2 d’usine, sur 100 000 m2 de terrain, Romo 3 est à la hauteur des ambitions de l’Espace 2. Ce dernier conserve le principe de la carrosserie en matériaux composites (Sheet moulding Compound) dont les éléments sont fabriqués à Theillay, commune toute proche de Romorantin.
Espace P40 et P46 : baroud et biturbo
En 1990, alors que le projet J63 est dans sa phase d’industrialisation, Matra tente d’élargir le champ d’action du nouvel Espace en proposant des versions exotiques à son donneur d’ordre, Renault. La première se nomme P40 et pousse le concept Quadra un peu plus loin grâce à un kit carrosserie de baroudeur qui n’est pas sans rappeler celui du Scénic RX4 quelques années plus tard. Le second, plus ambitieux, s’appelle P46. Il s’agit ni plus ni moins d’une version haute performance du J63. Dotée d’un V6 PRV dopé par deux turbos Garrett et équipé de la transmission intégrale Quadra, il développe 265 chevaux, rien que ça (240 km/h), et s’offre un kit carrosserie discret mais évocateur. Malheureusement, ces deux projets seront refusés et les deux prototypes conservés par Matra. Ils sont toujours visibles au Musée de Romorantin.
Lancement réussi
Enfin prête, l’Espace 2 J63 est présentée en mars 1991 au salon de Genève. Désormais, le concept est connu et ne surprend plus les foules mais la qualité générale est reconnue. On est loin du bricolage du P23 que la phase 2 avait tenté de gommer. Le nouveau venu est donc plus long et plus volumineux mais il conserve l’atout numéro 1 de l’Espace : la modularité sur un plancher plat, faisant du modèle un must pour les familles nombreuses (jusqu’à 7 places) comme pour les antiquaires (pour simplifier). Le mobilier intérieur fait un bond qualitatif, en rapport avec les aspirations plus bourgeoises du véhicule. Sous le capot toujours plongeant, on trouve un 4 cylindres Douvrin de 2 165 cc essence (110 chevaux) ou Turbo diesel (88 chevaux), ainsi que le fameux V6 PRV dans sa version 2 849 cc (153 chevaux). Certains marchés européens recevront aussi un L4 1 995 cc de 103 chevaux. Enfin, la transmission intégrale Quadra est reconduite, uniquement disponible sur la version 2.2i.
Des débuts sans concurrence
L’Espace 2 est très bien accueilli par le public et les ventes de l’année 1991 poursuivent la tendance amorcée par l’Espace 1, d’autant plus qu’il n’existe pas encore de concurrence nationale. Si les acheteurs de la génération précédente avaient été des early adopters, ceux de l’Espace 2 s’avèrent plus variés. Grâce à son aspect statutaire et à sa motorisation V6, l’Espace 2 complète désormais la Renault 25 puis Safrane en haut de la gamme de la marque. Profitant de sa place unique sur le marché, le monospace au losange continue sa croissance jusqu’à ce qu’enfin, la concurrence réagisse. PSA dégaine le premier avec la 806 pour Peugeot et l’Évasion pour Citroën en 1994 (sans compter les jumeaux Fiat Ulysse et Lancia Zeta). Suivront d’autres marques européennes (Ford, Volkswagen et Seat en 1995 notamment, avec un produit commun dénommé Galaxy, Sharan et Alhambra). Malgré l’afflux de nouveaux modèles, le pionnier reste leader mais sa croissance se ralentit.
Renault Espace 2 Olympique 1992
En février 1992, la France accueille les Jeux Olympiques d’hiver à Albertville. Renault en est un des principaux sponsors et fournit à l’organisation un certain nombre de véhicules, de la camionnette Express à l’Espace dédié au transport de VIP. Pour surfer sur cette notoriété, Renault décide de décliner sa gamme dès la fin de l’année 1991 en une série spéciale dénommée Olympique 1992. L’Espace reçoit donc, comme ses soeurs Clio, R19, R21, R25, Jeep Cherokee (toujours distribuée par Renault) et Alpine A610, une peinture blanc arctique et ses logos Olympique 1992. Uniquement disponible avec le V6 (sans transmission intégrale donc), elle reçoit des jantes peintes en blanc, deux toits ouvrant, un intérieur cuir gris clair, une sono 4x25w et la climatisation. Seuls 100 exemplaires (normal vu le tarif supérieur de 30 000 F à celui d’une V6 RXE) seront distribués par le réseau, faisant d’eux de véritables collectors aujourd’hui.
Une fin prématurée malgré une belle carrière
Pour maintenir un certain attrait pour le produit, Renault ne va pas hésiter à dégainer l’arme des séries spéciales. Outre l’opportuniste Olympique 1992 (voir encadré), l’Espace 2 sera décliné en Hélios et Alizé en 1993, Cyclades en 1994, Space Mountain Disneyland Paris et Grand Écran en 1995 puis Magellan et Nouveau Monde en 1996. Si les motorisations essence n’ont pas évolué, le Diesel gagne un peu de puissance en 1995 en passant à 92 chevaux. Alors que la relève se prépare chez Renault et Matra qui cogitent sur le futur Espace 3, l’Espace 2, lui, continue son bonhomme de chemin sans même profiter d’un restylage. L’arrivée massive d’une nouvelle concurrence oblige le duo de constructeurs à reprendre l’avantage, ce qui explique une carrière plutôt brève. En outre, l’arrivée du Scénic en 1996 oblige Renault à repenser son offre monospace, en positionnant l’Espace 3 encore plus haut pour laisser de la place au petit-frère.
Renault Espace F1 (1994)
Pour fêter les dix ans de l’Espace, Matra, Renault et sa filiale Renault Sport eurent une idée de fou ou de génie, c’est selon. Profitant de ses succès en F1 grâce à la collaboration avec Williams, la marque décida en effet de transformer son vénérable Espace 2 qui n’avait jamais eu de prétention sportive, même en V6, en un véritable dragster équipé d’un V10 de Formule 1 et dénommé tout simplement Espace F1. Présenté en 1994 au salon de Paris, la bête se dote d’une carrosserie toute en puissance sur la base du J63 et d’un moteur hurlant de 3,5 litres de cylindrée en position arrière, pour 820 chevaux, 300 km/h et 2,9 s au 0 à 100. Il ne s’agit en effet pas que d’un concept car, mais bien d’une voiture roulante. En réalité, il existe deux versions : l’une, au moteur factice, dédiée aux présentations statiques comme les salons, et l’autre, équipée de pied en cap, réservée aux démonstrations dynamiques, emmenées par Alain Prost au début de l’année 1995. Le premier est conservé par Renault Classic à Flins, tandis que le second se trouve désormais au musée Matra de Romorantin.
Un nouveau marché
Retiré définitivement du catalogue en septembre 1996 après épuisement des stocks, l’Espace 2 aura prouvé encore plus que le 1 l’existence d’un marché du monospace, appelé à exploser dans les années 2000. Avec 317 225 exemplaires vendus en 6 années à peine, il faisait mieux que sa devancière, et presque aussi bien que son successeur sur un marché encore plus mature. Esthétiquement réussi, doté d’une finition enfin correcte, bien motorisé, l’Espace 2 imposa son jeu sur les années 90, obligeant la concurrence à réagir et initiant plus sûrement que le 1 la folie du monospace à partir du milieu de la décennie. Il faudra la déferlante SUV dans les années 2010 pour voir disparaître ces voitures familiales, pratiques, mais dont le design peinait à évoluer par la nature même de son concept.
Photos : Renault Communication, Jim Magill, Paul Sernine, DR
2 commentaires
0 à 100 en 6,9s pour le F1… Pas sûr quand même! 😁
200, à la rigueur…
C’est une faute de frappe, il s’agit en fait de 2,9 secondes… !