Inaugurant la marque Renault Sport sur les cendres d’Alpine, le Spider est un véritable ORNI, surtout dans la gamme d’un constructeur généraliste. Pour incongru qu’il soit, ce modèle réunit de nombreux avantages pour installer le nouveau label : un look incroyable agissant comme une véhicule publicitaire ambulant, un coût de développement relativement faible et des qualités routières remarquables malgré un manque certain de puissance. Avec le Spider, Renault Sport marquait les esprits rapidement afin de faire oublier au plus vite la disparition d’Alpine.
Production (1995-1999) : 1 726 exemplaires
Dont 438 avec saute-vent, 1 208 avec pare-brise et 80 Trophy
Lieu : Dieppe (Alpine, 76)
De la W71 à la W94
L’aventure Spider commence en 1989, au Bérex (Bureau d’études et de recherches exploratoires). Il s’agit alors de plancher sur le projet W71, qui doit aboutir au lancement d’une petite Alpine qui soit viendrait se positionner sous l’A610 elle aussi en cours de gestation, soit la remplacer ultérieurement, revenant à un positionnement plus conforme à l’A110 originelle. Deux prototypes explorant des voies stylistiques différentes sur un même châssis (une coque autoporteuse en acier), développé pour l’occasion, sont réalisés en 1990. Dans le même temps, Renault présente un concept car dénommé Laguna au Salon de Paris. Dessiné par Jean-Pierre Ploué, il explore de nouvelles voies stylistiques minimalistes qui inspireront, plus tard, les créateurs du Spider. Alors que l’A610 est lancée en 1991, la W71, elle, peine à convaincre : stricte deux places et allégée au maximum pour conserver performances et tarifs, elle aurait vu ces avantages s’envoler avec l’ajout du confort moderne. D’autant que les piètres résultats de l’A610 n’incitent plus à investir sur Alpine qui semblait avoir atteint sa dernière limite. Le projet W71 pourtant bien avancé est donc finalement annulé.
Renault Sport supplante Alpine
Rapidement, il devient évident que la marque Alpine doit disparaître. Renault Sport s’affirme en Formule 1 avec Williams et il semble pertinent de capitaliser sur cette marque plutôt que sur Alpine, en perdition. L’A610 n’aura pas de remplaçante. Cependant, il apparaît opportun d’accompagner l’émergence d’un nouveau label avec le lancement d’un modèle iconique, capable de marquer les esprits et d’indiquer la tendance sportive de Renault Sport en attendant la production de modèles de plus grande série (la Clio 2 RS n’arrivera qu’en 2000, accompagnée la même année d’une étonnante Clio 2 V6). Début 1993, une réunion technique permet de définir les grandes lignes du projet W94. Le design est rapidement esquissé par le designer Benoît Jacob sous la direction de Patrick Le Quément. Pour la partie technique, l’idée est de partir de la base de la W71 mais d’en confier le développement à Nogaro Technologie dirigé par Claude Fior, en collaboration avec Daniel Charles, de chez Renault Sport : une façon de sortir du carcan d’un grand groupe tout en allant vite.
Sportive radicale
Un premier prototype est réalisé début 1994. Il est rapidement suivi par un deuxième à l’été. Il est alors présenté à Louis Schweitzer en septembre qui valide le projet malgré son originalité stylistique. Contrairement au projet W71 aux lignes de coupé, il s’agit ici d’un spider radical qui sera disponible en deux versions : l’une minimaliste avec un simple saute-vent, nécessitant le port d’un casque (930 kg), l’autre plus civilisée dotée d’un pare-brise plus classique (965 kg). Le moteur, transversal, est placé en position centrale arrière (et non en porte à faux comme sur les Alpine), limitant le Spider à deux places. Il s’agit du 4 cylindres F7R de 1 998 cc qui équipait les Clio Williams, mais dans son évolution dédiée à la Mégane Coupé. Il développe 150 chevaux pour un couple maxi de 185 Nm. Alors que le projet n’est pas encore arrivé à son terme, Renault Sport décide de présenter son Spider au salon de Genève en mars 1995. Le prototype exposé est tout à fait présentable et le lieu parfait pour présenter un tel véhicule. Enfin, il permet de rassurer les observateurs comme les salariés d’Alpine : malgré l’annonce de l’arrêt de l’A610, Dieppe ne restera pas sans modèle à produire.
Succès d’estime
La présentation du Spider est à double tranchant : les amateurs d’Alpine ont du mal à avaler la pilule, considérant qu’il aurait aussi bien pu porter le A fléché. Mais cette façon de voir, bien qu’un peu amère, prouve que le produit fait envie, même aux plus obtus. Le grand public est quant à lui beaucoup plus enthousiaste, le Spider venant comme un point d’orgue après la présentation de l’Espace F1 fin 1994, et complétant une gamme délicieusement sportive (Clio Williams, Safrane Biturbo et bientôt Coupé Mégane). En outre, une version Trophy dédiée à une compétition monomarque est aussi programmée. Il faut attendre juillet 1995 pour que les premiers Spider de série voient le jour, prenant la suite des dernières A610. Vendu 200 000 francs à l’époque, il coûte en revanche plus de deux fois moins que la dernière grande Alpine, mais s’avère plus cher que la nouvelle petite Lotus, l’Élise, moins puissante mais plus légère, lancée quelques mois plus tard.
Helem V6 et TS07
Décidés à participer aux 24 heures du Mans, les deux associés de RJ Racing, Jean-Michel Roy et Brian Johnson s’enthousiasme de l’excellente base du Renault Spider et décident d’en extrapoler une version V6. Pour accéder à la compétition dans la catégorie, il faut en produire une petite série. Les deux hommes réalisent deux prototypes équipés d’un PRV de 3 litres et 281 chevaux identique à celui de la Venturi 300 Atlantique, et cherchent de l’argent pour lancer la production. Malheureusement, les deux associés se brouillent, et l’affaire est récupérée par Nogaro Technologie (tiens tiens) qui échouera elle-aussi à passer au stade de la production. Technical Studio, située dans le Loiret, tente alors de relancer le modèle sous le nom de TS07 en 2006 sans plus de succès : la Helem était décidément maudite.
Un collector artisanal
Châssis en aluminium, rigidité, répartition des masses, suspensions élaborées, légèreté, ligne époustouflante, tout est réuni pour faire du Spider un objet hautement désirable. Pourtant, ces qualités révèlent fort justement les limites du moteur : le Spider pourrait encaisser bien plus de chevaux que les 150 du F7R. Du fait de sa radicalité, il n’espère pas des chiffres de ventes mirobolants. Il ne sera d’ailleurs produit qu’à 1 726 exemplaires entre 1995 et 1999 (dont 80 Trophy), essentiellement vendus en France et en Allemagne (mais les japonais furent eux-aussi de bons clients malgré l’absence de conduite à droite). Seuls 438 fous furieux choisirent la version saute-vent quand la majorité préféra opter pour le pare-brise conventionnel, rendant le Spider bien plus utilisable au quotidien. Chaque Spider était réalisé dans des conditions artisanales, à la main, lui donnant encore plus de charme et d’exclusivité. A partir de 1999, la Clio 2 RS prend progressivement la relève sur une vraie chaîne : il en sera produit plus de 50 000 exemplaires jusqu’en 2006 : une autre échelle). Pour l’artisanale, c’est la Clio V6, développée avec TWR qui remplace le Spider comme produit phare, mais cela, c’est une autre histoire.
Photos : Renault Classic, DR