Elle avait de nombreux arguments, à commencer par une ligne superbe signée Gérard Godfroy, l’un des deux pères de la marque. Née en quelques mois par la volonté du nouveau propriétaire de Venturi, la 300 Atlantique semblait capable d’inverser la tendance et de remettre la firme au Gerfaut sur les rails. Malheureusement, malgré des efforts étonnants pour proposer l’un des produits les plus enthousiasmant de l’industrie automobile française, le manque de moyens mais surtout de soutiens condamnèrent cette belle GT à une production anecdotique.
Production (1994-1999) : 67 exemplaires
Dont : 45 Mono Turbo, 13 Biturbo, 6 BVA et 3 GTR
De nouveaux actionnaires pour Venturi
L’année 1993, malgré une certaine réussite aux 24 heures du Mans et au succès du Gentleman Driver Trophy, est une annus horribilis pour Venturi. L’aventure en Formule 1 a coûté cher, tout comme l’usine de Couëron (surdimensionnée) ou le circuit de Fay de Bretagne malgré des subventions locales controversées. L’actionnaire principal, Didier Primat jusqu’alors près à tout pour sa danseuse, est rappelé à l’ordre par sa propre famille. Ian Dalziel, mandaté par les Schlumberger pour faire le ménage, a coupé dans les effectifs, stoppé l’hémorragie sportivo-financière, et préparé l’entreprise à une cession. L’entreprise est cédée à la fin de l’année 1993 à Hubert O’Neil, ex-cadre chez Bénéteau et entrepreneur dans l’âme. S’il roule en Volvo 850 break et que la mer l’attire, il aime aussi la belle bagnole et s’associe avec un industriel breton, Louis Bopp, pour créer la Compagnie Morbihannaise de Participations et reprendre 100 % du petit constructeur français.
La 300 Atlantique, conçue en six mois
Tout en remettant en ordre des comptes dans la continuité du précédent DG, O’Neil imagine rapidement une suite : simplifier la gamme avec deux modèles seulement. La 400 GT, dérivé routier de la 400 Trophy qu’il intègre rapidement au catalogue, mais aussi un tout nouveau modèle afin de tirer un trait sur le passé incarné par la 200 devenues 210 et la performante 260. Les lignes datent de près de 10 ans, il est temps de passer à autre chose mais le nouveau PDG a l’intelligence de faire appel au fondateur de la marque et designer de toujours, Gérard Godfroy. Ce dernier s’attaque au problème et signe en un temps record un dessin frôlant la perfection tout en restant dans la continuité. La ligne reste très Venturi (ou MVS, au choix), très Godfroy (il a signé aussi l’Alpine GTA), mais elle récupère cette petite dose de modernité qui commençait à manquer à ses devancières, ces quelques rondeurs la rendant plus charnelle, plus sensuelle. En un mot, elle est parfaite compte tenu des moyens disponibles, c’est-à-dire peanuts (Gérard peut en témoigner).
Look GT, comportement incisif et 281 chevaux
Côté technique, le châssis est repris de la 400 Trophy/GT : plus long de 25 cm, plus large de 14 cm, il assoit la voiture et s’avère plus sportif, donnant l’impression d’une montée en gamme que le style, plus abouti, confirme. En position centrale arrière, on retrouve le PRV mais dans sa configuration 2 975 cc à 12 soupapes (Renault Safrane), gavé par un Turbo Garrett T3 et un calculateur EIA permettant d’atteindre la puissance respectable de 281 chevaux et un couple de 420 Nm à 2 500 tours / minutes. La vitesse maxi grimpe à 280 km/h et le 0 à 100 à 5 secondes. La voiture est à même de rivaliser avec les Porsche 911 993 ou Lotus Esprit contemporaines. Si l’intérieur continue à recevoir des accessoires et commodos de grande série, le cuir se bat avec le bois pour rendre l’habitacle aussi cosy qu’un manoir anglais. Avec un tel modèle, présenté au Mondial de l’Auto 1994 en un temps record, l’avenir s’annonce sinon radieux, au moins rassurant : les équipes ont fait preuve de dévouement, de réactivité, et l’entreprise termine l’année avec, pour la première fois depuis 1987, des bénéfices. Un million de francs, c’est peu, mais Venturi semble repartie sur de bonnes bases.
Lâchée par les banques
Hélas, tout ne se passera pas comme prévu. Si l’année 1994 a été bonne, elle n’est pas suffisante et les actionnaires ont besoin des banques pour assurer le développement de l’entreprise, le lancement de la 300 Atlantique, son industrialisation et sa distribution. Tout est à reconstruire, et les financiers, frileux, ne suivent plus. Malgré les miracles effectués au Mans, la présentation éclair de la 300, l’assainissement des comptes, cela ne suffit pas. Hubert O’Neil est obligé de déposer le bilan alors que la production n’est pas encore engagée. Les quelques voitures déjà en production sont quasiment des prototypes (l’ensemble de la série le sera aussi si l’on y réfléchit bien) et la commercialisation effective ne commencera qu’en 1996, alors que sa concurrente naturelle, l’Alpine A610, a déjà pris sa retraite.
Un début de production timide
Entre temps, Hubert O’Neil a dû céder les rênes de Venturi au groupe thaïlandais Nakarin Benz, distributeur de voitures de luxe en Asie du sud-est et Océanie. L’afflux d’un peu (pas beaucoup) d’argent frais permet de commercialiser la voiture mais il faut être sérieusement mordu de la marque et du modèle pour se lancer. Au-delà du prix, pas si mal placé d’ailleurs, il manque la confiance dans l’avenir de l’entreprise : qu’en sera-t-il si Venturi disparaît ? Si le nouvel actionnaire semblait solide au point de produire 18 voitures en 1995/1996 puis 20 en 1997, ce n’est pas suffisant pour rentabiliser l’entreprise, d’autant plus que la crise financière frappe Nakarin Benz qui doit réduire la voilure. Un problème n’arrivant jamais seul, le V6 PRV arrive en fin de carrière et doit être remplacé chez PSA ou Renault par le nouveau moteur ESL (ES chez Peugeot/Citroën, L pour la Régie). Pour faire perdurer l’Atlantique, Venturi va suivre l’initiative de son distributeur belge et développer avec lui une version Biturbo de l’ES9 : un 2 945 cc à 60° boosté par deux turbos Aerodyne Dallas qui propose 310 chevaux, mais avec un couple moindre (394 Nm à 3 800 tours / minutes).
Biturbo et boîtauto
En attendant l’arrivée de ce nouveau modèle dont la mise au point se révèle difficile, Nakarin Benz tente de séduire les pays asiatiques ou moyen-orientaux avec un modèle automatique équipé de l’ES dans sa version atmosphérique : avec 210 chevaux, la voiture perd toute velléité sportive et ne sera produite qu’à 6 exemplaires (3 en 1998, 3 en 1999). Trois modèles de course dénommés GTR seront aussi produits avant que l’entreprise de dépose le bilan. Malgré des propositions de reprises locales et respectueuses de l’identité de la marque, c’est Gildo Pallanca Pastor, promoteur immobilier monégasque, qui remporte la mise en 2000, fermant l’usine de Couëron pour se concentrer sur une hypothétique sportive légère, la Fétish, qui, faute de moteur, deviendra en 2005 une pionnière de l’électrique sans jamais réellement rencontrer de clients.
Série très limitée
Avec 67 exemplaires produits, dont 13 biturbos, 6 BVA et 45 monoturbo PRV, la Venturi 300 Atlantique est donc une vraie rareté. La situation financière de l’entreprise n’aura jamais permis à cette excellente voiture, vive, incisive et précise, de rencontrer un large public. Entre le manque d’image, le manque de confiance, la peur d’une décote rapide, un tarif dans la fourchette haute, et un réseau quasi inexistant, il était difficile de sortir du lot. Les bases posées par Hubert O’Neil n’auront pas suffit à convaincre et les ambitions peu claires de Nakarin Benz auront juste fait durer le plaisir sans vision ni moyens. Reste aujourd’hui l’une des plus belles GT de la production française, et c’est bien là l’essentiel !
Aller plus loin : et si Hubert O’Neil avait sauvé Venturi ?
Amateurs d’uchronie, cette histoire est faite pour vous. Que se serait-il passé si Hubert O’Neil avait réussi à convaincre les banques, en 1995, de poursuivre l’aventure ? Une histoire à lire ici
Lien utile : Communauté Venturi, pour tout savoir sur la marque et ses modèles
Photos : Venturi, Communauté Venturi, Artcurial, Dominique P, André Leroux, DR
3 commentaires
Il l’a fait, il n’a pas pu s’en empêcher. C’est l’effet Venturi sur Arsène Lupin. Son Henriette de Mortsauf automobile, inaccessible et à la vie courte. Á lire le sujet, on se demande comment on a pu fabriquer et assembler une si belle auto, cohérente, réussie et rater de bout en bout son industrialisation. Ligier n’avait pas mieux abouti avec sa JS2 (86 exemplaires en 4 ans) un quart de siècle plus tôt. La Bugatti d’Artioli façonnée par des orfèvres n’eut pas meilleur sort. On se retourne aujourd’hui dans la rue quand on en voit passer une, ou que l’on peut la détailler stationnée. C’est très fin, délicat, raffiné, sans affèterie, rien de tapageur. Les finitions semblent datées, c’était il y a vingt-cinq ans, à une époque où l’on aimait l’automobile envisageable à défaut d’être accessible. Mais, que c’est élégant.
Merci pour ce bel article !
Quelques précisions :
1/ la 300 ne mesure que 10 cm de plus que la 400 GT
2/ le calculateur n’était plus fourni par EIA sur la 300, mais par Siemens
Merci pour ces précisions (l’habitude avec EIA ahahah). Je tenterai de corriger prochainement.