Le petit cabriolet Louis Rosier fabriqué par Brissonneau & Lotz est une voiture méconnue. Pourtant, contemporaine de l’Alpine A106 avec laquelle elle partage un bout d’histoire, elle se vend aussi bien sans pour autant connaître de descendance directe, son constructeur préférant se consacrer à la sous-traitance automobile. Dommage car cette élégante voiture avait de nombreuses qualités et aurait pu connaître un destin tout autre. La mort prématurée de son créateur et la difficulté à rentabiliser l’affaire auront raison de la Louis Rosier qui restera le seul modèle portant le blason Brissonneau & Lotz.
Production (1956-1958) : 253 exemplaires
Lieu : Creil (60)
Louis Rosier, un homme d’engagement
Tout commence avec Louis Rosier, brillant résistant pendant la guerre, pilote automobile par passion et concessionnaire Renault à Clermont-Ferrand pour assurer ses arrières. En cela l’homme a des points communs avec Jean Rédélé, plus jeune que lui mais aux passions et activités similaires. L’homme aime piloter depuis des lustres, mais ne fait pas les choses à moitié lorsqu’il s’engage (sa guerre en témoigne) : il s’illustre ainsi aux 24 heures du Mans 1950 au volant d’une Talbot-Lago T26 qu’il remporte quasi à lui tout seul en passant 23 heures et 10 minutes dans le baquet, secondé par son fils Jean-Louis pour seulement 2 tours. Dans sa vie professionnelle, Louis Rosier est tout aussi engagé, faisant de sa concession clermontoise la première de France en volume. Il a, on le voit, l’automobile chevillée au corps.
De la barquette de course au séduisant cabriolet
Cette passion lui donne évidemment l’envie de concevoir sa propre voiture. Au début des années 50, il va réaliser un premier modèle, un coach en aluminium sur une base Renault 4CV, avec le carrossier italien Rocco Motto. Il va dans le même temps construire un coupé sur base de Renault Frégate qui restera unique. Dans la foulée, il réalise en 1952, toujours avec Motto, une barquette en aluminium elle aussi basée sur la petite 4CV et avec le soutien de Renault. Deux exemplaires seront produits, dont l’un participera aux 24 heures du Mans 1953 (20ème). Cette barquette tape dans l’œil de la société Plasticar en même temps que le coupé réalisé par Jean Rédélé avec Alemano. Un nouveau modèle est réalisé en polyester et est présentée sous le nom de The Rogue à New York, en mars 1954, aux côtés de la voiture de Rédélé dénommée, elle, The Marquis. L’aventure américaine tournera court, laissant les deux hommes avec leurs projets sous le bras. Rédélé, avec l’appui de son beau-père et grâce au talent et aux idées de Chappe et Gessalin, fondera Alpine et lancera l’A106. Rosier, lui, retourne plancher sur un nouveau projet de cabriolet 2 places.
Des débuts tragiques
Dans le même temps, la vénérable entreprise Brissonneau & Lotz, spécialisée dans le matériel ferroviaire (il fabrique d’ailleurs avec Renault, à partir de 1955, le premier métro sur pneumatique de série, le MP55), cherche à se diversifier dans l’automobile. La rencontre avec Louis Rosier permet de passer à l’acte : son projet de cabriolet reposant sur un châssis de 4CV et doté d’une carrosserie innovante (plusieurs panneaux) en polyester tombe à pic et permet d’envisager une petite production. L’usine de Creil, au nord de Paris, est aménagée en vue de cette petite série. Les premiers exemplaires sortent des ateliers à la fin de l’été 1956 pour mais il s’agit surtout de tester et de mettre au point avant que la véritable production ne débute fin septembre. La voiture doit être présentée au public au salon de Paris 1956, qui ouvre ses portes le 10 octobre. Or le 7, Louis Rosier, qui participe à la 12ème Coupe du Salon sur le circuit de Montlhéry, perd le contrôle de la voiture dès le premier tour et effectue plusieurs tonneaux. Gravement blessé, il reste dans le coma 22 jours avant de décéder.
Elégance, vivacité mais confidentialité
Cet événement tragique gâche la fête qu’auraient dû être les premiers pas du cabriolet sous les caméras et appareils photos des journalistes du monde entier. En l’honneur de son créateur disparu, Brissonneau & Lotz nomme alors la voiture Louis Rosier, tout simplement. Malgré ce coup dur, la production continue dans l’usine de Creil tandis que la distribution est assurée par un seul concessionnaire exclusif, à Puteaux. Cette étonnante politique pose question : avec un vrai réseau, la Louis Rosier aurait-elle connu une diffusion plus large ? Possible. En attendant, la voiture séduit. Elle utilise en porte à faux arrière le même bloc que la 4CV, un 747 cc qui développe 21 chevaux. Malgré un poids réduit à 630 kg, cette faible puissance ne fait pas d’elle une sportive mais l’Alpine A106 présentée un an plus tôt ne fait pas beaucoup mieux, tout en coûtant 100 000 francs de plus. En outre, le dessin de la Louis Rosier est particulièrement réussi et il est difficile de reconnaître la petite Renault tant elle ressemble à un roadster à l’anglaise. La qualité de fabrication est réelle, tandis que la conduite est particulièrement plaisante. Vive et dotée d’une tenue de route particulièrement améliorée par rapport à sa donneuse (4 roues indépendantes), la petite Louis Rosier se révèle particulièrement efficace malgré une vitesse de pointe limitée à 110 km/h.
La Floride remplace la Louis Rosier
Durant deux ans, le cabriolet Brissonneau & Lotz va être assemblé à un rythme de sénateur, permettant à l’entreprise d’apprendre le métier, différent du ferroviaire. Cette expérience de constructeur lui permet de faire affaire avec Renault qui recherche des partenaires pour l’assemblage de sa future Floride. Ainsi, les soubassements seront produits par Renault, les carrosseries par Chausson, tandis que l’assemblage final se fera à Creil. Ce contrat du siècle pour Brissonneau & Lotz oblige à mettre un terme à la production de la Louis Rosier début 1958 après 253 unités fabriquées. Il faut faire de la place pour la Floride dont les volumes seront bien supérieurs. L’usine de Creil produira plus tard des Renault 4 et même les carrosseries de Opel GT avant de passer sous le pavillon de Chausson en 1972. La Louis Rosier sera la seule automobile à porter la marque. Un très bel exemplaire est visible au Manoir de l’Automobile, à Lohéac.
Aller plus loin :
La petite-fille de Louis Rosier, Élodie, s’investit aujourd’hui pour faire vivre la mémoire de son grand-père. Elle organise notamment des expositions retraçant son histoire d’homme, de pilote et d’apprenti constructeur. Elle gère par ailleurs une page Facebook dédiée que je vous encourage à consulter : L’Aventure Louis Rosier.