Plus diffusée que la DS, partageant ses lignes et affichant autant sinon plus de qualités, l’ID est pourtant restée dans l’ombre de sa sœur, plus prestigieuse. Pourtant, l’imaginaire collectif lui rend grâce, d’une certaine manière : nombreux sont ceux qui croient avoir des souvenirs en DS, alors qu’il ne s’agissait sans doute que d’une ID, l’associant ainsi au prestige de la grande Citroën. Cependant, n’allez pas croire qu’elle n’est qu’une version low-cost de la DS. Il s’agit en réalité d’une version simplifiée destinée à séduire ceux que la technologie (et son lot de pannes à répétition) rebutait encore (à raison) en cette deuxième moitié des années 50. Elle n’a jamais cessé, ensuite, de monter en gamme, se rapprochant de plus en plus de son modèle tout en restant plus accessible et en conservant l’essentiel : la suspension hydraulique.
Production (1956-1975) : 835 666 exemplaires
Dont : 93 919 breaks
Lieux : Paris (75, Javel, 1956-1975) Aulnay-sous-Bois (93, 1973-1975), Heidelberg (Australie, 1961-1966), Johannesburg (Afrique du Sud, 1959-1975), Koper (Slovénie, 1972-1975), Mangualde (Portugal)
Les débuts difficiles de la DS
Sans l’ID, la DS aurait-elle connu un aussi grand succès ? Pas sûr. En venant soutenir la DS au moment le plus difficile de sa carrière et en rassurant la clientèle conventionnelle hésitant à passer au tout hydraulique, tout en diffusant largement la même silhouette, l’ID a permis à la DS de se bonifier et de devenir le mythe que l’on sait aujourd’hui. En effet, si Citroën surprend le monde entier avec sa nouvelle berline en octobre 1955 au Salon de Paris, elle n’est pas passé loin de la catastrophe. Si le style novateur révolutionne l’automobile, et si la technologie fait rêver, la DS pêche aussi par une fiabilité douteuse et oblige d’une certaine manière à réapprendre à conduire. L’année 1956, première année pleine de production, fait craindre le pire à Javel avec seulement 10 868 exemplaires produits, loin des ambitions de la marque. Les pannes à répétition font des premiers clients de véritables cobayes, et la réputation de la DS est vite entachée. En outre, son tarif de 965 000 francs n’est pas à la portée de toutes les bourses. Il faut donc vite rectifier le tir.
Un bonne idée pour rattraper le coup
Dès le début de l’année 1956, il est clair que la DS ne sera pas (tout de suite) un succès. Pour éviter de perdre l’ancienne clientèle des Traction qui risque de partir chercher la fiabilité et le juste prix du côté de la concurrence sochalienne dont la nouvelle 403 est l’exact inverse de la DS, Citroën va inverser la tendance en concoctant l’ID : une version plus accessible à tous les sens du terme. Outre un tarif en baisse (entre 860 000 francs pour l’ID Normale et 925 000 francs pour l’ID Luxe), cette nouvelle mouture rassure en ne gardant que la suspension hydraulique au chapitre des innovations. Il ne s’agit pas seulement de faire baisser le prix, mais aussi (et surtout) de rassurer la clientèle avec un freinage plus habituel (adieu le champignon de la DS) et une boîte de vitesses mécanique, à l’ancienne (4 vitesses). Perdant une grande partie du complexe circuit hydraulique (ne conservant donc que la suspension) mais aussi, par conséquent, la direction assistée, elle gagne en fiabilité et ne nécessite pas de réapprendre à conduire comme certains l’imaginent pour la DS (qui demande, il est vrai, un peu d’adaptation notamment au freinage).
Un cran en dessous mais toujours séduisante
Pour maintenir des prix inférieurs et pour se distinguer de la luxueuse DS, Citroën propose une version différente de l’antique 1 911 cc issu des Traction. Au lieu de recevoir un carburateur double corps Weber, il doit se contenter d’un simple corps Solex 33 (ID 19 Normale, développant 63 chevaux SAE) ou Solex 34 (ID 19 Luxe, 66 chevaux SAE). L’ID 19 perd ainsi en vitesse de pointe (135 km/h contre 145 à la DS) ce qu’elle gagne en consommation, notamment par une perte de poids allant de 85 (Luxe) à 100 kg (Normale) par rapport à leur grande sœur de 75 chevaux. L’ID 19 est présentée au salon de Paris 1956 mais il ne s’agit alors que de prototypes : il faudra attendre mai 1957 pour que les premières ID 19 Luxe soient commercialisées. Pendant ce temps-là, les ventes de DS ont doublé, mais restent en deçà des espérances et l’arrivée de l’ID s’avère bienvenue même si elle n’est produite, cette année-là, qu’à 5 655 exemplaires.
Une gamme économique, fiable et valorisante
A partir de 1958, l’ID s’installe comme la véritable gamme inférieure de la DS. Avec l’arrivée d’une version Confort à l’été 1957, l’ID 19 se décline en trois modèles, du plus dépouillé (Normale) au plus cossu (tout en restant inférieur à la déesse de la gamme). Entre-temps, les problèmes de la DS se règlent et la mauvaise image s’atténue pour finir par disparaître avec la fiabilisation des modèles. Elle profite aussi de la gamme ID pour augmenter ses tarifs et améliorer sa rentabilité : désormais, elle est le véritable haut de gamme des chevrons mais l’ID en profite pour passer devant en volume de production. A partir de 1958, elle sera toujours devant, représentant parfois jusqu’à trois fois les ventes de DS (certaines années, en fonction des nouveautés, cette dernière réduira l’écart sans jamais rattraper l’ID). D’autant que cette dernière reçoit une déclinaison break présentée au Salon de Paris 1958 mais qui n’entrera vraiment en production qu’en fin d’année 1959. Enfin, en 1961, l’ID a elle-aussi droit à sa déclinaison cabriolet usine produite chez Chapron (voir encadré).
Citroën ID 19 Cabriolet Usine Chapron
Preuve que le choix d’une ID n’était pas toujours une question de prix mais aussi de simplicité d’entretien et de conduite, elle eut droit elle-aussi à une déclinaison cabriolet, dite usine, produite dans les ateliers du carrossier Chapron. Elle se distinguait des DS décapsulée par l’abandon, comme pour la berline, d’une majeure partie de l’hydraulique, n’en conservant que la suspension. Son freinage et sa transmission sont donc classiques, mais le prix reste élevé à 21 300 nouveaux francs, contre 22 140 pour la DS. C’est en tout cas deux fois plus que la berline ID 19. Il ne s’en vendra que 112 exemplaires entre 1961 et 1965.
Évoluer sans cesse
Petit à petit, les ID vont évoluer aux côtés de la DS pour devenir de moins en moins low cost et de plus en plus performantes. Dès 1962, elles reçoivent le freinage hydraulique tandis qu’en mars 1963 l’ID Break reçoit la motorisation de la DS 19 (désormais à 83 chevaux SAE). A partir de ce moment-là, ces derniers vont coller aux évolutions moteur de la DS (sauf l’injection) tandis que la berline reste un cran en dessous. En 1965, elles récupèrent tout de même la version 75 chevaux SAE puis 81 chevaux en 1966. En 1967, de nombreux changements surviennent. D’abord, l’ID 19 reçoit le 4 cylindres à 5 paliers réalésé à 1 985 cc et développant 84 chevaux SAE (soit 78 chevaux DIN). Elle change aussi son fluide, passant du LHS (connu comme “liquide rouge”) au LHM (“liquide vert”) limitant les fuites des organes hydrauliques. Enfin, elle adopte en fin d’année le nouveau regard de de la série D, plus moderne (et dont les phares directionnels sont en option sur l’ID).
Des ventes toujours au top
Les évolutions moteurs continuent dès 1968 avec une ID 19 dont la puissance grimpe à 91 chevaux SAE. A ses côtés apparaît une ID 20 à la cylindrée identique mais à la puissance portée à 103 chevaux SAE. Les breaks utilisent le moteur de 1 985 cc de 103 chevaux mais aussi le 2 175 cc de 115 chevaux qui équipe la DS 21. Au salon de Paris 1969, la gamme évolue encore, se rapprochant de plus en plus de la DS en changeant de dénomination. L’ID n’existe désormais plus, place à la DSpécial en entrée de gamme (en lieu et place de l’ID 19), et DSuper juste en dessous de la DS (en remplacement de l’ID 20), tout en conservant les mêmes moteurs. Ces derniers n’évolueront qu’en 1971 avec 98 chevaux SAE pour la première (89 ch DIN) et 108 pour la seconde (99 ch DIN). Le nouveau duo se vend encore bien puisque la production 1972 dépasse les 50 000 exemplaires, et que 1973 voit s’établir le record de vente depuis 1957 avec 66 850 berlines et 6 807 breaks, contre 23 338 DS.
La fin approche après 20 ans
Il s’agit pourtant du chant du cygne car la nouvelle CX est dans les starting-blocks et qu’elle vise en particulier les DSuper et DSpécial. Cela n’empêche pas la DSuper 5 de faire ses premiers pas en 1972 avec une boîte 5 vitesses tandis que la DSpécial (4 vitesses) la rejoint sur le plan de la puissance (108 chevaux SAE). Les ventes s’effondrent en 1974 tandis que la nouvelle tombe : Peugeot rachète Citroën en grave difficulté. Les DS et DSpécial / DSuper en fin de carrière ne font pas partie des plans du nouveau propriétaire qui se satisfait de la seule CX, comptant sur son propre haut de gamme (la 604) pour remplacer les DS. Quelques centaines d’exemplaires seront produits au début de l’année 1975 (393 berlines et 75 breaks) avant de tirer définitivement sa révérence après 835 666 exemplaires.
Une brillante carrière
Toujours un cran en dessous de la DS, l’ID (puis les DSpécial / DSuper) aura certes toujours eu une ligne moins bourgeoise. Ses jantes en tôle jusqu’au bout auront bien représenté son côté roturier face à la noble DS. Pourtant, elle n’aura jamais cessé de monter en gamme et en performance tout en se vendant nettement mieux. Comme quoi des traits identiques suffisent à donner l’apparence du haut de gamme sans en avoir tout à fait les mêmes habits. De toute façon, aujourd’hui, peu sont ceux capables de distinguer une DS d’une ID à la simple vue du cornet de clignotant ou des phares aux cercles peints. Parfois, il suffit juste de paraître pour séduire.
Images : Citroën Héritage, Nuancier DS, DR