Après avoir racheté les filiales européennes de Chrysler, le groupe PSA décide d’unifier les différentes entités et modèles sous une bannière commune, Talbot, en juillet 1979. A cette occasion, les 1307/1308/1309 changent aussi d’appellation pour devenir 1510 et bénéficier d’un ravalement de façade. Un an plus tard, PSA double la mise en déclinant une version tricorps dénommée Solara. Avec ce duo, Talbot doit patienter sur le segment de berlines familiales le temps que la nouvelle gamme s’organise. Hélas, malgré l’excellente base C6, 1510 comme Solara verront leurs ventes chuter rapidement : le manque d’image, les grèves de 1982, la désorganisation du réseau et le manque de moyens auront eu raison de ces deux voitures comme de la marque au T cerclé.
Production :
Talbot 1510 (1979-1982) : 75 753 exemplaires
Talbot Solara (1980-1986) : 184 976 exemplaires
Lieux : Poissy (78, Talbot 1510 / Solara), Ryton (GB, Talbot Alpine / Solara), Villaverde (Espagne, Talbot 150 / Solara), Uusikaupunki (Finlande, Valmet), Porirua (Nouvelle-Zélande, Todd Motors)
Le rachat de Chrysler Europe et la création de Talbot
Lorsque PSA rachète Chrysler Europe à l’été 1978, les équipes découvrent une organisation relativement décentralisée regroupant Chrysler UK (ex Rootes) et son usine de Ryton en Angleterre, Chrysler Espana (ex Barreiros) et son usine de Villaverde en Espagne, et Chrysler France (ex-Simca) et son usine de Poissy. En Angleterre, les véhicules sont vendus sous la marque Chrysler mais aussi Dodge pour les utilitaires VF1 et VF2, en France sous la marque Simca, et un mix des deux en Espagne. PSA va donc tenter d’unifier ce foutoir sous une seule et même marque. Il se trouve que le nom Talbot appartient à Rootes pour l’Angleterre, tandis qu’en France, c’est Simca qui en est le propriétaire depuis le rachat de Talbot-Lago en 1958. Un nom prestigieux synonyme de sport et de luxe qui apparaît adapté à la nouvelle stratégie adoptée pour le nouvel ensemble : un positionnement chic et dynamique, embryon de ce que l’on appelle aujourd’hui le premium.
Un habile lifting pour la nouvelle 1510
Au milieu de la gamme Chrysler / Simca, on trouve la C6, dénommée Chrysler 150 en Espagne, Chrysler Alpine en Angleterre et Simca 1307/1308/1309 en France. Il s’agit d’une berline 5 portes relativement récente (1975) dont la carrière commerciale se porte plutôt bien (894 687 exemplaires entre 1975 et 1979). N’a-t-elle pas été élue voiture de l’année en 1976 ? PSA décide donc de reconduire cette berline en lui offrant une cure de jouvence bienvenue, notamment pour favoriser l’aérodynamique et la consommation. Ce lifting est particulièrement visible sur la face avant, où le sens de la calandre s’inverse et les feux se modernisent : il s’agit de faire face à une concurrence de plus en plus forte sur le segment où la Peugeot 305 (1977) et la Renault 18 (1978) viennent de débarquer. Dans un souci d’unification, elle ne reçoit plus qu’un seul nom, ou plutôt qu’un seul chiffre : 1510. Étonnante stratégie de la part de PSA qui s’apprête pourtant à nommer les nouveaux modèles en gestation avec un nom en A (Solara, nous y viendrons, Tagora, Samba).
Une gamme huppée mais une offre moteur réduite
La 1510 reprend les finitions (très flatteuses, avec pour certaines le régulateur de vitesse, l’ordinateur de bord ou la fermeture centralisée) et les moteurs de ses devancières. On trouve en entrée de gamme une LS doté d’un 4 cylindres Poissy au son si caractéristique de 1 294 cc et 68 chevaux. La GL et la GLS (un peu plus cossue) suivent avec le 1 442 cc de 85 chevaux. Ces trois modèles disposent d’une boîte de vitesses manuelle à 4 rapports. Enfin, le haut de gamme s’appelle SX et récupère un 1 592 cc de 88 chevaux (puis 90 en 1982) couplé à une BVA à trois rapports d’origine Chrysler (une BVM à 5 vitesses sera disponible en option au millésime 1982). La gamme est donc simple, concise mais explicite, et les motorisations adaptées à ce segment. Il manque évidemment une version plus musclée (qui ne viendra jamais, contrairement à ses concurrentes 305 GTX ou Renault 18 Turbo) mais tout cela reste très cohérent et l’équipement est à la hauteur quel que soit le niveau de finition. En Espagne, elle s’appelle Talbot 150, tandis qu’en Angleterre, elle prend le nom de Talbot Alpine (oui PSA est désormais propriétaire pour la Grande Bretagne du nom Alpine, via Sunbeam).
La Solara en renfort
Talbot aurait sans doute pu se contenter de la 1510, le groupe disposant en son sein d’une Citroën GSA tout juste restylée et de la récente 305 à trois volumes. Cependant, preuve de l’ambition de PSA à l’époque pour sa nouvelle division, on estime qu’un format tricorps plus statutaire conviendrait mieux à la nouvelle image voulue pour Talbot et dont la future Tagora, vaisseau amiral, est en gestation. C’est ainsi qu’un gros travail de modification de l’arrière de la 1510 va être effectué pour donner naissance à sa sœur, la Solara. Présentée en juillet 1980, elle préfigure la grande Tagora dévoilée en octobre au Salon de Paris et dont elle est le parfait complément. Avec sa malle arrière, elle offre visuellement une ligne plus statutaire que la 1510. D’ailleurs, elle se positionne un peu plus haut dans la gamme.
Les Talbot 1510 et Solara finlandaises
Pour compenser l’arrêt prochain de la production de la Saab 96 dans son usine d’Uusikaupunki, la société finlandaise Valmet signe en 1978 un contrat de production sous licence des produits Simca / Talbot avec PSA. La production de l’Horizon commence rapidement, suivie en 1979 des 1510 et Solara. Ces dernières sont assemblées grâce à des CKD produits à Poissy mais bénéficient d’une qualité de fabrication toute scandinaves. Pour les deux voitures, seuls deux moteurs sont proposés : 1 294 cc pour la GL et 1 442 cc pour la GLS (mais aussi diesel à partir de 1985). En avril 1983, Valmet sort une série limitée à 50 exemplaires : la Solara VIP. Véhicule haut de gamme, il dispose notamment du radio-téléphone et d’une présentation spécifique. Plus étonnant : son tableau de bord est exclusif et recouvert de cuir). La 1510 et la Solara représenteront à elles-deux 15 047 exemplaires, produits entre 1979 et 1985. Notons aussi une petite production de Talbot Alpine en Nouvelle-Zélande par Todd Motors grâce à des kits envoyés depuis Ryton.
Un rôle d’intérimaire
En effet, celle-ci propose le moteur 1 442 cc dès la finition LS mais dans une version dégonflée à 70 chevaux. La GL s’offre, elle, les 85 chevaux des 1510 GL et GLS. La GLS monte en gamme par rapport à la 1510 avec le 1 592 cc de 88 chevaux (90 à partir de 1982) disponible en option avec la boîte 5 vitesses. Enfin, la SX utilise le même moteur mais propose au choix une transmission automatique 3 vitesses ou manuelle 5 vitesses, le tout avec une finition un peu plus cossue encore. Avec ses deux modèles 1510 et Solara, Talbot pense donc être armée pour affronter les années 80 en attendant le renouvellement sur ce créneau. En effet, PSA travaille à revisiter ses modèles sur ce segment en commençant par Citroën dont le projet XB donnera naissance en 1982 à la BX. Logiquement, les déclinaisons Peugeot et Talbot devraient suivre. Malheureusement, seule la Peugeot 405 verra le jour.
Une violent crise qui touche Talbot de plein fouet
En effet, si l’offre Talbot est cohérente avec la petite Samba lancée en 1981, l’Horizon (vieillissante, certes, mais appelée à être remplacée), les 1510 et Solara, la grande Tagora et les intéressantes Matra Rancho et Murena, la situation va pourtant vite se dégrader. D’abord, la crise pétrolière de la fin 1979 a conduit à une récession qui touche l’ensemble de l’industrie automobile en général, et Talbot en particulier. Jusqu’à la sortie de la Samba, elle ne disposait pas de petit modèle économique et son lancement en catastrophe sur une base Peugeot 104 n’en fait pas une voiture aussi moderne que la 205 de 1983 : elle sera donc un feu de paille. L’Horizon fait encore illusion mais commence à dater et peine à séduire sur le marché très concurrentiel des compactes. La Tagora, lancée au pire moment, subit de plein fouet sa gloutonnerie, son tarif et son manque d’image. Elle devient un accident industriel qui coûte fort cher à la marque. Enfin, les 1510 et Solara manquent d’image, et peinent à retrouver le souffle de l’époque Simca d’autant que, de façon incompréhensible, PSA se refuse à lui fournir des moteurs diesel qui pourraient lui donner un nouvel élan (la Solara en disposera enfin en 1986, en Espagne uniquement). Les ventes s’effondrent et PSA décide alors de supprimer, fin 1982, la 1510 pour ne conserver que la Solara jugée plus apte à affronter le marché. Enfin, les modèles Matra sont intéressants mais se situent sur des niches dont les volumes sont faibles.
Les séries spéciales Pullman et Exclusive
Pour dynamiser les ventes et valoriser leur image, les 1510 et Solara auront droit à des séries spéciales à tendance haut de gamme. La première à lancer le mouvement est la 1510 avec l’Exclusive, lancée en mars 1981 à 1 000 exemplaires. Reconnaissable à sa teinte métallisée beige gold, elle est motorisée par le 1 592 cc 88 chevaux accolé à une boîte manuelle 5 vitesses de série (au lieu de l’automatique jusqu’alors disponible sur ce modèle. Deux finitions sont proposées, GLS et SX. En octobre 1982, c’est au tour de la Solara de proposer une série spéciale orientée luxe : la Pullman, produite à 2 000 exemplaires. Son équipement est pléthorique mais s’applique étrangement sur la base de la LS dotée du petit moteur 1 442 cc de 70 chevaux. Enfin, en mai 1983, la Solara Executive (2 400 exemplaires) offre un équipement très haut de gamme sur la base là encore d’une LS de 70 chevaux. Que de choix étranges ! D’autres séries spéciales seront proposées en Angleterre ou en Espagne (la fameuse Escurial notamment) pour tenter de limiter la casse.
Des décisions lourdes de conséquences
Au-delà des modèles en eux-mêmes, Talbot va aussi subir sa propre incurie et celle de PSA. La décision de fusionner les réseaux de distribution Talbot et Peugeot va avoir une conséquence dramatique : la plupart des anciens concessionnaires Simca refusent de passer sous la bannière Peugeot-Talbot et passent à la concurrence, essentiellement étrangère et en particulier japonaise. Les agents et distributeurs Peugeot, attachés à leur marque et peu formés à défendre Talbot, seront de piètres vendeurs pour les 1510 et Solara, préférant vendre en priorité la Peugeot 305 restylée en 1982. Enfin, la situation dramatique de la marque et les incertitudes sur l’emploi conduiront les ouvriers de Poissy à des grèves à répétition en 1982 et 1983, contribuant à sceller l’avenir de la marque et à détériorer son image. Malgré les ambitions premières de PSA, il faut se rendre à l’évidence : le rachat de Chrysler Europe et le lancement de la nouvelle marque est un échec. Le nouveau président du groupe, Jacques Calvet, ne met pas longtemps à décider d’arrêter les frais. C’est ainsi que le projet C28, qui doit remplacer l’Horizon, est rapidement réorienté vers un nouvel objectif : la Peugeot 309.
La fin de Talbot et la petite mort de la Solara
La décision de stopper Talbot est prise assez tôt, sans doute au cours de l’année 1983, mais le suspens sera maintenu jusqu’en 1984 afin de ne pas envenimer la situation à Poissy. Entre temps, la Tagora a été arrêtée et remplacée à l’usine par la Peugeot 104 puis la 205. En effet, si la marque Talbot est déjà passée par pertes et profits, les installations modernes de Poissy ne sont pas condamnées et l’assurance de la production de la 309 rassure le personnel. Il lui faut pourtant se rendre à l’évidence : l’usine est désormais plus Peugeot que Talbot dont les derniers modèles se vendent de moins en moins jusqu’à l’arrêt définitif de la marque en 1986 (1987 pour l’Espagne et l’Angleterre, les usines de Villaverde et Ryton subissant le même sort que Poissy). La Solara n’est plus, de toute façon, qu’un modèle anecdotique au sein du groupe : elle ne trouve que 25 511 clients en 1983, et tombe à 7 136 en 1984. Condamnée en 1985, elle ne se vend qu’à 2 244 exemplaires et se retire du marché dans l’indifférence générale.
Une carrière finalement confidentielle
La 1510 et la Solara n’avaient pas la prétention de dominer le marché mais on attendait d’elles un peu plus de résistance le temps qu’un nouveau modèle soit lancé. Malheureusement, la chute brutale de leurs ventes accompagnant celle plus large de Talbot les rendra presque confidentielles : avec 75 753 exemplaires de la 1510 (dont environ 32 000 en Espagne) et 184 976 Solara (dont environ 52 000 en Espagne), elles n’auront pu faire que de la figuration, laissant les 305, Renault 18 puis Citroën BX rafler l’essentiel de la clientèle, sans même parler de la clientèle étrangère.
Aller plus loin :
Pour les passionnés des modèles Talbot de 1979 à 1987, nous vous recommandons cet excellent site : Talbot 80.
Images : PSA, Talbot 80, DR