La libération est l’occasion pour la filiale française du groupe Ford de prendre réellement son indépendance. Grâce à son usine de Poissy achevée juste avant-guerre et reconstruite rapidement après les bombardements, Ford SAF peut relancer la machine avec un modèle relativement récent, la V8, nom de code F-472. En attendant la future Vedette, la V8 remplira son rôle : faire patienter une clientèle de toute façon encore rare.
Production (1946-1948) : 7 293 exemplaires
Lieux : Poissy (78), Asnières (92, Chausson, carrosseries)
La fin de Matford
Pour bien comprendre l’histoire de la F-472, il faut remonter dans les années 30. Maurice Dollfus, président de Ford France (ou Ford SAF), initie en 1934 un rapprochement avec le constructeur français Mathis pour produire conjointement des berlines et des utilitaires sous le nom de Matford dans ses usines strasbourgeoises. Mais rapidement, l’association bat de l’aile : Ford, qui dispose de 60 % des parts, impose à Mathis l’arrêt de sa gamme et tente de récupérer l’intégralité du capital. Émile Mathis intente un procès à Ford qu’il finit par gagner, obtenant des dommages et intérêt mais Matford est dissoute en 1940 tandis que Ford SAF s’est engagée en 1938 dans la construction d’une usine moderne et bien située sur les berges de la Seine, à Poissy. Malheureusement, le site n’est pas terminé lorsque la guerre éclate tandis que les usines Mathis à Strasbourg sont occupées rapidement. Poissy suit le 14 juin.
Poissy produit enfin
Il faut attendre la Libération pour que Ford SAF puisse réellement mettre en route son plan de production pour la France. Maurice Dollfus a obtenu de dépendre directement des USA, et non de Ford UK à Dagenham. Pour relancer la machine, Ford a dans ses cartons une voiture moderne, à l’américaine, mais adaptée à l’Europe : la Vedette. Cependant, la berline n’est pas encore prête et il faut occuper le terrain. Dès 1945, Citroën a relancé ses Traction 11 et 15. Pour occuper le terrain, Ford n’hésite pas une seconde à présenter la F-472 à moteur V8, évolution de la Matford 13 CV F-92A lancée en 1939. Dès 1945, Ford a pu survivre en important des camions d’origine canadienne grâce à la loi Prêt-Bail mais l’heure est à la reprise. En 1946, elle expose au Salon de Paris sa F-472 au prix de 220 000 francs, habilement placée entre la 11 et la 15 de chez Citroën.
La V8 reprend du service
La “nouvelle” Ford ne l’est donc pas tant que cela : elle ne diffère que par quelques détails de la Matford 13 CV (et de la Ford 2.2 litres de Ford Köhln) : pare-chocs plus épais, nouveau motif chromé et flèche de direction. Pour le reste, rien de révolutionnaire : le V8 à soupapes latérales de 2 225 cc développe 60 chevaux et s’apprécie pour sa souplesse et son silence. La voiture a reçu une barre stabilisatrice améliorant sa tenue de route, critiquée avant-guerre, tandis que le freinage devient hydraulique. Les carrosseries sont produites chez Chausson, à Asnières et envoyées par la Seine en péniche, vers Poissy et la chaîne d’assemblage finale. La V8 F-472 n’est pas une voiture géniale, mais en cet immédiat après-guerre, elle n’est pas là pour séduire en masse.
Tenir la baraque
De toute façon, la puissance fiscale de 13 CV et la consommation gargantuesque de la berline ne permettent pas d’envisager une large diffusion. Seuls 3 023 exemplaires sont produits en 1947. Antem réalise un dérivé cabriolet qui reste très confidentiel (15 exemplaires) tandis qu’un châssis-cabine permet la production, chez des carrossiers extérieurs, d’utilitaires (ambulance, fourgonnette tôlée, pick-up, boulangère). Sur cette base, un break dit “de chasse” est même intégré au catalogue Ford France, en partie carrossé en bois (moins cher et plus disponible que l’acier en cette période de reconstruction) par Mignot et Billebault. D’autres modèles seront aussi proposés : environ 300 exemplaires de la F-472 recevront une boîte de vitesses à commande électromagnétique Cotal. Enfin, Ford SAF produira une poignée de F-998A : cette berline reprend la ligne de la F-472 mais reçoit un V8 de 3 923 cc (22 CV) et 95 chevaux, permettant d’atteindre les 140 km/h. Avec une telle puissance fiscale (et un tel appétit), ce modèle ne trouvera jamais sa clientèle.
Un terrain préparé pour la Vedette
En 1948, 4 270 exemplaires sortent de l’usine de Poissy. C’est mieux mais l’avenir n’est pas là : la nouvelle Ford Vedette 12 CV plus abordable arrive pour prendre la relève et la F-472 tire sa révérence. Voiture de transition, elle aura permis à Ford SAF de tenir (aux côtés des nombreux utilitaires produits pour les besoins de la reconstruction) et de garder une place sur le marché. Malgré ses handicaps, elle n’aura pas été si ridicule : en 1948, seules 2 731 Traction 15 à 6 cylindres trouvent preneurs soit moins que de Ford V8 ! Pas si mal si l’on y réfléchit.
Images : Ford, CAAPY, André Leroux, DR
Un commentaire
Singulière automobile faite d’archaïsme, les portières antagonistes, le pare-brise à deux baies pour n’évoquer que l’allure et cette caisse fluide aux ouvrants quasi autoclaves, modernité work in progress. La Bugatti Type 57- Galibier de 1939 avait déjà pris ce chemin. Cette calandre effilée, c’est évidemment la tintinesque Lincoln-Zephyr (1936), les Renault Vivastella ou Nervastella Grand Sport de 1938 et d’une certaine manière la Rosengart Supertraction (1939). Il est d’usage de vouer aux gémonies le plan de relance et de reconstruction industrielle automobile de 1946, dit Plan Pons, mais il semble bien que la reconfiguration du paysage automobile avait déjà commencé une décennie auparavant. Comme l’industrie automobile chinoise a investi au XXIème siècle l’industrie européenne (Geely, Dongfeng, etc) Fiat avec Simca, Ford avec l’exemple de ce sujet, s’installaient durablement sur le marché français. Le plus singulier fut que les deux aboutirent à Simca vingt ans plus tard, avant la venue des capitaux de Chrysler. En fin de compte, l’idée même de rationalisation habite l’industrie automobile avant même la tourmente de la crise des années 30 (commencée en 1929-1931). Du CGC (Consortium des Grands Constructeurs) de 1927, puis la GFA de 1941 (Générale française automobile) jusqu’au Plan Pons de 1946, l’histoire de l’industrie automobile française a produit des véhicules « cheval de Troie » comme les Fiat devenues Simca ou cette post Matford, devenue Ford SAF V8, véhicule suture pour rejoindre la fin de la Reconstruction. J’ai aperçu aujourd’hui une MG électrique orange vif, peut-être MG4. Rien à voir évidemment avec la MG de la chanson de Richard Antony (« Nouvelle Vague »), l’industrie automobile britannique n’est plus, passée à l’émergence (Jaguar et Land Rover chez Tata), à l’Allemagne (Mini et Rolls Royce chez BMW, Bentley chez VW), etc. Mais, c’est bien la preuve que d’autres industriels pénètrent le marché, c’est la loi du genre. On pleure peut-être ce qui ne fut jamais, ou si peu de temps, un temps de la seule industrie nationale, ou alors il y a un siècle. Mais ce pan là de l’histoire automobile est invisible. Personne ne sait s’y projeter. Tandis que la Ford V8, elle ne parait pas si inconnue, on l’a vue ici ou là, ne serait-ce que pour « faire époque ». Un peu comme la Vedette que l’on disait autrefois « fille du Plan Marshall ». Après tout les Ford allemandes portaient bien le nom d’une montagne hessoise, Taunus.