Pour pallier la défection de René Bonnet parti du côté du losange, Panhard décide de miser sur Charles Deutsch et s’engager au Mans 1962. La victoire du coupé CD dans sa catégorie incite alors la firme à en décliner une version civile intégrée à la gamme jusque-là composée de l’unique PL17. Mais la bonne idée, sur le papier, se transforme vite en cauchemar industriel, commercial et surtout financier. La Panhard CD ne sera commercialisée que deux ans, avant de jeter l’éponge.
Production (1962-1964) : 169 exemplaires (dont 1 proto et 4 compétition Le Mans, et 6 invendus détruits)
Lieux : Brie-Comte-Robert (77, Chappe et Gessalin, prototypes et carrosserie), Suresnes (75, Velam, assemblage), Paris (75, Panhard, mécanique).
René Bonnet quitte Panhard pour Renault
René Bonnet et Charles Deutsch ont longtemps été associés au sein de la marque DB, produisant dans les années 50 des voitures de course mais aussi des coachs sportifs sur la base de mécaniques Panhard. Mais le début des années 60 voit l’association se disloquer, entre un Deutsch de plus en plus absent (il travaille pour l’OTP, Omnium Technique des Transport par Pipe Line, mais aussi pour le Moteur Moderne) et un Bonnet prenant petit à petit le contrôle de DB avec l’appui discret de Marcel Chassagny, le patron de Matra. René Bonnet est par ailleurs convaincu qu’il faut changer de motoriste, Panhard n’ayant plus les moyens de développer son bicylindre, tandis que Charles Deutsch préfère la fidélité à Panhard qui les a tant aidés. Le 15 janvier 1962, c’est par la presse que Jean Panhard apprend le passage de René Bonnet avec armes et bagages chez Renault pour motoriser son cabriolet Le Mans, son futur coupé Djet et ses voitures de course pour les 24 heures du Mans.
Relever le gant et s’engager au Mans
Chez Panhard, on tombe des nues. Personne n’a vu le coup venir, pas même Etienne de Valance, chargé des relations publiques. Charles Deutsch est convoqué avenue d’Ivry par Jean Panhard afin de réfléchir à une contre-offensive. L’affaire est décidée : Deutsch doit créer une voiture en un temps record pour contrer Bonnet au Mans. Jean Panhard convainc son père Paul qui se charge, non sans mal, d’obtenir l’accord de Pierre Bercot, PDG de Citroën, principal actionnaire de Panhard. S’engage alors une course contre la montre : les inscriptions au Mans se terminent le 28 février. Charles Deutsch réunit alors une petite équipe composée de Jean-Claude Haenel (dessin), Bernard Boyer (technique), Lucien Romani (aérodynamicien) et son ami Jean Bertin, polytechnicien comme lui et que l’on connaîtra plus tard en tant que créateur de l’Aérotrain. L’équipe s’appuie enfin sur l’expérience et les capacités de la petite firme Chappe et Gessalin, désormais installée à Brie-Comte-Robert.
Chappe et Gessalin
Au début des années 50, la carrosserie Chappe et Gessalin s’est spécialisée dans les carrosseries en fibre de verre et la réalisation de voitures de course. Elle collabore rapidement avec DB pour la production de son coach puis de l’HBR5. A partir de 1955, la petite entreprise encore basée à Saint Maur, produit pour Alpine l’A106, puis l’A108 Coach dans ses nouveaux ateliers de Brie-Comte-Robert. Elle continuera à produire pour la firme de Dieppe l’A108 2+2 puis l’A110 GT4. D’autres petits constructeurs font appel à Chappe et Gessalin : Arista, UMAP, mais aussi René Bonnet pour sa Djet. Avec la perte des contrats CD, puis René Bonnet et enfin Alpine, Chappe et Gessalin sautent le pas et lancent la marque CG en 1965.
Petit moteur mais aérodynamique soignée
Le coupé CD (pour Charles Deutsch) utilisera un châssis poutre très léger (40 kg) mais ultra rigide. La carrosserie du premier prototype est en acier, mais la voiture doit être équipée d’une coque en résine dont Chappe et Gessalin maîtrisent la production. Romani et Bertin vont effectuer un gros travaille d’aérodynamique afin d’obtenir le Cx le plus bas possible : ils obtiennent un excellent score (0,17) permettant à la voiture des performances incroyables malgré son petit bicylindre et sa faible puissance. Au Moteur Moderne, qui s’occupe de la mécanique, on a d’abord tiré 76 chevaux d’un 954 cc mais la décision est prise d’utiliser une plus petite cylindrée (le 851 cc réduit à 701 développant 61 chevaux DIN) permettant de jouer l’indice de performance et l’indice énergétique. Avec une telle puissance, on comprend l’importance de l’aérodynamique pour ce projet.
Prêts pour la course en un temps record
Les 7 et 8 avril 1962, le coupé CD, toujours équipé de sa carrosserie en acier, participe aux essais préliminaires de l’épreuve reine de l’endurance. En deux mois, Deutsch et son équipe ont fait des miracles mais le travail est loin d’être terminé. La voiture est cependant présentée à la presse le 16 mai : impossible pour les journalistes d’imaginer que le projet n’a été lancé que fin janvier tant la voiture semble aboutie. Malgré cela, elle manque de mise au point et Panhard joue la sécurité en engageant le coupé en acier et le premier exemplaire en résine (120 kg plus léger) aux 1 000 km du Nürburgring. Si le premier termine la course (24ème), le second abandonne sur fuite d’huile : cette première expérience permet à la petite équipe de corriger certains défauts, notamment sur les trains roulants (issus, à l’origine, d’une simple PL17). En tout, 4 exemplaires en résine sont réalisés pour le Mans. Trois sont engagées pour la course tandis que la quatrième reste en réserve, au cas où.
Victoire mancelle
La course a lieu les 23 et 24 juin. Les trois voitures prennent le départ avec une petite surprise : elles sont équipées de pneus spécialement réalisés pour elles par Michelin (le pneu XAS qui sera commercialisé plus tard, en 1965). Contre toute attente, la Panhard CD n°53 fait des miracles : elle termine 16ème au classement général, devançant toutes les René Bonnet, et gagne l’épreuve dans sa catégorie. La victoire de Panhard est totale face à son concurrent équipé chez Renault. C’est alors qu’une nouvelle réflexion s’ouvre avenue d’Ivry. Celle qui ne devait être qu’une voiture de course semble avoir toutes les qualités pour devenir une voiture de série. Produire la CD permettrait à la marque d’offrir une image plus haut de gamme et plus sportive à côté de la berline PL17 en fin de vie, évolution de la Dyna Z de 1954.
Une CD de série
La décision est prise le 11 juillet. Charles Deutsch fonde la Société d’Études et de Construction Automobile CD (SECA-CD) chargée de développer et concevoir la version civile. Panhard montre sa confiance en commandant 25 exemplaires de pré-série pour mars 1963, fabriqués par Chappe et Gessalin, et partage les risques financiers avec Deutsch. En octobre 1962, le premier coupé CD “civil” est présenté au Salon de Paris. De couleur blanche, il est équipé d’une carrosserie en aluminium et utilise le châssis de la n°54 accidentée au Mans. La ligne a été adaptée par Jean Claude Haenel pour répondre à des exigences différentes : l’espace à bord et l’accessibilité. Son pavillon est rehaussé, tout comme le pare-brise, et elle perd un peu en Cx (0,22). Elle récupère le moteur Tigre 848 cc de 60 chevaux SAE, le plus performant de la gamme PL17 et peut atteindre les 165 km/h. Pour le freinage, on utilise les fameux tambours ETA (Évacuation Thermique Accélérée). L’intérieur est traité avec goût, dans une ambiance GT. Malgré un physique particulier (Haenel n’a pas pu faire des miracles sur cette voiture dédiée à la compétition plus qu’à l’esthétisme), 17 clients signent une commande ferme sur le salon. Jean et Paul Panhard deviennent ambitieux, imaginant produire 1 000 coupés d’ici à la fin de l’année 1963, rien que ça !
Une industrialisation difficile
Dans le viseur de la firme doyenne, on trouve évidemment la petite René Bonnet Djet mais aussi les Alpine A108 et A110, ou bien la Porsche 356 alors en fin de carrière. La production en série s’organise : les châssis sont fabriqués par la société SNERMA, filiale de Sud-Aviation, tandis que Chappe et Gessalin produisent la coque et assument le montage dans un premier temps. Les carrosseries doivent ensuite être produites en Italie, chez ALPA. Cependant, les premiers ennuis commencent. Les exemplaires de pré-série ne donnent pas satisfaction à Panhard qui s’est engagée dans la garantie des voitures. Dans le même temps, ALPA refuse de produire les coques devant l’imprécision des plans. Il faut tout revoir. L’assemblage est confié à la société VELAM à Suresnes (voir encadré) tandis que Chappe et Gessalin se contentent de produire les carrosseries en fibre.
VELAM
La société VELAM (Véhicules Légers à Moteurs) est créée début 1955 pour produire sous licence en France l’étonnante Iso Isetta. Louant à Suresnes une usine Talbot, elle en commence la production en juin 1955. Malgré des débuts encourageants, la petite firme subit de plein fouet le développement du marché de l’occasion et voit ses ventes s’effondrer. En 1957, elle cesse la production de l’Isetta après 7 115 exemplaires et se lance dans la sous-traitance. A partir de 1958, elle produit en effet pour le compte de Citroën des 2CV, en complément de celles produites à Levallois ou chez Panhard à Paris. Entre 1958 et 1968, 53 995 exemplaires sortiront des usines Velam de Suresnes.
Fiabilité douteuse
Tous ces problèmes retardent grandement le programme CD dont les livraisons ne débutent qu’à l’automne 1963. Là encore, tout n’est pas parfait et face au manque de pièces, VELAM doit parfois piocher dans ses vieux stocks d’Isetta. La qualité n’est pas le point fort de la Panhard CD, et Panhard le vérifiera malheureusement en garantie. De son côté, Deutsch a étudié une version Rallye plus performante, dotée de deux carburateurs double corps mais à la puissance inchangée. Entre octobre et décembre 1963, 74 exemplaires ont été vendus, dont 9 Rallye. On est loin des objectifs initiaux. L’année 1964 n’est pas meilleure. Outre les problèmes de fiabilité et un tarif conséquent, la Panhard CD affronte une nouvelle concurrente, la Panhard 24 CT dotée du même moteur, moins chère, plus jolie et plus pratique.
La fin de l’aventure
Aux 24 heures du Mans 1964, deux CD sont engagées pour tenter de refaire le même hold up qu’en 1962. La carrosserie aérodynamique testée en soufflerie donne aux CD un étrange profil. Le moteur, doté d’un compresseur, passe à 1 191 cc et 64 chevaux. Malgré les espoirs, les deux voitures sont contraintes à l’abandon. Cette situation en compétition illustre ce que la firme subit commercialement : le coupé CD ne se vend pas et coûte une fortune à Panhard en service après vente. Fin 1964, il faut faire le bilan, et il n’est pas bon : seuls 84 exemplaires ont trouvé preneur (dont 47 Rallye). Poussé par Pierre Bercot, Paul Panhard prend la seule décision qui s’impose, arrêter les frais. La CD est retirée du catalogue et six exemplaires non vendus seront finalement détruits. Charles Deutsch croit encore qu’un miracle est possible et travaille sur le prototype 2163 avec l’espoir de convaincre Panhard et Citroën mais c’est peine perdue. La SECA-CD fait faillite début 1965, signant la fin de l’aventure CD.
Trop de défauts pour survivre
Né d’une envie de revanche et auréolé d’une gloire inattendue au Mans, le coupé Panhard CD ne pouvait pas, avec si peu de temps et si peu de moyens, devenir une star du marché. Son dessin spécial, son coût, sa fiabilité et sa qualité de fabrication aléatoires, ainsi que la fragilité de sa marque ombrelle, Panhard, auront cantonné la voiture à la confidentialité tout en coûtant fort cher à Deutsch comme à la marque doyenne. Un échec, donc, annonciateur d’un avenir sombre avenue d’Ivry. Seule consolation : René Bonnet doit lui aussi avouer son échec en 1964, et céder son entreprise à Matra. Mais cela, c’est une autre histoire.
Photos : Panhard, DR, André Leroux