Lorsque la Supercinq (ou Super 5) GT turbo est présentée, cela fait un an que la Peugeot 205 GTI fait tourner la tête d’une clientèle avide de sport et de distinction. Mais Renault, dans la logique du remplacement des R5 Alpine, a pris une option différente : plus sauvage et moins bourgeoise. Si les deux voitures sont bel et bien concurrentes, leurs personnalités diffèrent, tout comme leurs technologies. A l’injection proposée par Peugeot, Renault répond par son emblématique Turbo. Au charme discret de la GTI, la Régie répond par une bestiole bodybuildée. A l’arrivée, la Renault Supercinq GT Turbo reste derrière la lionne, mais elle n’aura pas démérité, gardant encore aujourd’hui de nombreux adeptes.
Production (1985-1991) : environ 160 000 ex (y compris la version GTE)
Dont : 32 969 phase 1, et 1 160 Coupe
Lieu : Dieppe (76, Alpine)
Une héritière à la Renault 5 Alpine
Pour remplacer l’iconique R5, Renault lance le programme X40 en 1978. Il s’agit bien d’une nouvelle voiture mais elle doit rester dans la lignée de sa devancière et devenir une Renault 5, mais en mieux. Naturellement, le projet intègre une version sportive destinée à prendre la relève des Renault 5 Alpine : nom de code C405. Alors que Peugeot mise sur l’injection, le losange conserve la logique d’une petite bombe à moteur turbocompressé. On est loin de la sophistication qui fait le succès de la petite lionne depuis son lancement en mars 1984. Le cléon-fonte, placé transversalement cette fois, suffit amplement selon les stratèges de Renault. Avec son turbo Garrett T2, la GT Turbo s’offre 115 chevaux (10 de plus qu’une 205, et et seulement 10 de moins que les GTI gonflées par un kit PTS). Plus puissante que l’A5 Turbo, elle est aussi plus progressive et plus souple : en résumé, moins on/off.
Survêtement et bodybuilding
Le travail de design effectué par Gandini pour la Supercinq se prête particulièrement bien à une déclinaison sportive, et il suffit de peu pour transformer la paisible citadine en voiture de course. Cependant, chez Renault, on décide de montrer les muscles plus clairement que la 205 GTI qui paraît frêle à côté de la GT Turbo. Avec son kit carrosserie spécifique, elle paraît plus musclée, presque bodybuildée, et ses décorations adhésives la rendent bien visible quand la GTI préfère la discrétion. C’est toute la différence entre un jogging et un polo lacoste et cela raconte beaucoup des positionnements respectifs de Renault et Peugeot en cette période-là. A la discrétion bourgeoise répond une certaine exubérance plus prolétaire. Enfin, sur le papier, car dans les faits, une GT Turbo coûte à peu près le même prix qu’une GTI 115 chevaux (82 000 francs contre 83 000 en 1986). Choisir l’une ou l’autre n’est donc pas une question de budget mais plutôt une question philosophique.
Renault Supercinq GT Turbo Coupe
Si la GT Turbo de route a été commercialisée en février 1985, sa version compétition lui est antérieure : à partir d’octobre 1984, les participants de la Coupe Renault-Elf Turbo peuvent prendre livraison de leur nouvelle monture en remplacement des R5 Alpine Turbo jusqu’alors montures officielles. Le version Coupe conserve la même mécanique que celle de la version route, mais elle reçoit quelques modifications pour la course : échappement latéral Devil, décharge de suralimentation modifiée, jantes spécifiques en tôle, écopes de refroidissement des freins à la place des antibrouillards, ainsi qu’un équipement intérieur dédié à la compétition. Les écuries pouvaient, de leur côté, effectuer leurs propres modifications. La voiture et la formule rencontreront un grand succès, avec 1 1 60 exemplaires.
Performances et sensations
Pour développer la petite sportive, Renault a fait appel au Berex (Bureau d’études exploratoires) à Dieppe. Au-delà du Cléon 1 397 cc déjà cité, la GT Turbo récupère le train avant de la Renault 11 Turbo (pseudo McPherson, barre antiroulis) tandis que son train arrière est inédit avec deux barres de torsion et deux barres antidévers. Les freins sont à disque à l’avant comme à l’arrière et le poids reste contenu à 820 kg (850 pour la GTI 115). En revanche, sa monte pneumatique un peu légère nuit à sa motricité mais globalement, la voiture est agréable à conduire bien que sous-vireuse. Elle atteint 200 km/h soit un peu plus que sa rivale sochalienne. Et encore la compare-t-on ici à la version 115 chevaux de la Peugeot car lorsque la GT Turbo est présentée en février 1985, seule la version 105 chevaux figure au catalogue de la 205. Toute la force de Peugeot sera de faire évoluer sa voiture année après années (kit PTS 125 chevaux, puis version officielle 115 chevaux en mars 1986 et enfin version 1.9 130 chevaux en septembre de la même année).
Un facelift pour patienter
De son côté, la GT Turbo va rester sur ses fondamentaux jusqu’en juin 1987. A cette date, elle reçoit un facelift, comme toute les Supercinq et son moteur évolue enfin pour atteindre 120 chevaux sans que les performances ne fassent un bond exceptionnel. D’une certaine manière, la bataille a été gagnée par la 205 et Renault, acceptant cette défaite, va se concentrer sur sa revanche prochaine : la Clio et sa version sportive 16s (puis son évolution Williams, mais c’est une autre histoire). La phase 2 de la GT Turbo apporte tout de même une nouveauté : une seule et unique série spéciale appelée Alain Oreille (chez nous, mais pas partout, voir encadré). Dans un autre genre, la famille GT Turbo voit apparaître en 1988 une nouvelle version à vocation sportive : la Renault Supercinq GTE (voir encadré).
Renault Supercinq GT Turbo Alain Oreille / Raider
En décembre 1990, Renault décide de lancer une série spéciale en hommage à son pilote Alain Oreille, vainqueur du championnat du monde des Rallyes dans sa catégorie, le groupe N, au volant d’une GT Turbo. Une jolie manière de récompenser les efforts sportifs, mais aussi de soutenir les ventes d’un modèle en fin de carrière. Cette série spéciale n’apporte aucun changement mécanique mais propose une signature plus discrète : une teinte de couleur Bleu Sport appliquée jusqu’aux jantes elles-même, l’abandon des stickers trop voyant, et un intérieur lui aussi tout en sobriété dans la tendance du bleu et du noir. Hors de France, cette série spéciale s’appelle Raider, sauf en Allemagne, Suisse et certains pays scandinaves où elle porte le nom de Le Mans. Cette dernière n’est qu’une GTE (voir encadré plus bas) de 95 chevaux grimée en Alain Oreille. Toutes les voitures seront produites en décembre 1990, à 2 000 exemplaires.
Une histoire de chiffres
Parlons chiffres désormais. Si l’on connaît précisément le nombre d’exemplaires produits pour la phase 1 (39 969 auxquels il faut ajouter les 1 160 GT Turbo Coupe), Renault reste plus évasif sur la production globale, évoquant 160 000 exemplaires environ, tous fabriqués à Dieppe, chez Alpine, aux côtés des V6 GT et V6 Turbo. Pour une production allant de mi-1987 à début 1991, cela voudrait dire une explosion des ventes en fin de carrière. Il me semble probable que ce chiffre englobe non seulement les GTE (production inconnue) mais aussi les GTX et Baccara (environ 24 000 exemplaires) utilisant elles aussi le F3N de 1 721 cc, expliquant ainsi ce chiffre subitement augmenté. Dans l’attente d’une confirmation de Renault, on ne peut cependant que faire des hypothèses, sans certitude.
Renault Supercinq GTE
Dans certains pays comme l’Allemagne ou en Suisse, le vieux Cléon-Fonte dopé au Turbo ne répondait plus aux normes en vigueur qui devançaient la date de 1993 pour la catalysation et la dépollution. La GT Turbo se privait donc de certains marchés. A partir de 1988, Renault trouve la parade avec la GTE qui, extérieurement et intérieurement, récupère tous les codes de la GTT, à l’exception du moteur. Il s’agit là du 4 cylindres F3N (que l’on retrouve aussi sur la GTX et la Baccara) de 1 721 cc issu de la Renault 21, passé à l’injection (d’où le E de GTE : Einspritzung) et développant, sur ce modèle, 95 chevaux. Si le look laisse croire à une sportive, la réalité est moins évidente. Sachez qu’elle prend le nom de code C409 (et non C405)
Une voiture devenue mythique
Cependant, même avec 160 000 exemplaires, la GT Turbo (à la carrière plus courte il est vrai) ne réalise que la moitié des ventes de sa concurrente directe. Avec un style plus tapageur donnant l’impression d’une bestialité qu’elle n’a pas forcément, la GTT a sans doute fait un mauvais choix marketing qui a profité à la 205, plus en adéquation avec les attentes des clients. Cette hypothèse semble se vérifier dans les faits : son héritière, la Clio 16s, jouera la carte d’une certaine discrétion tout en exploitant un bloc moderne à double ACT, injection et 16 soupapes. Cependant, la GT Turbo conserve aujourd’hui ses adeptes, qui, à tort ou à raison, la trouvent supérieure à la concurrence, ou plus attachante que son héritière, ou tout simplement plus cohérente, plus jolie. Certains diront qu’elle est mythique, et c’est vrai tant elle a marqué le paysage automobile de son époque. Peu importe la raison, cette voiture aura séduit ceux qui ne se retrouvaient pas ailleurs, et elle aura tout de même fait mieux que sa devancière, la Renault 5 Alpine.
Photos : Renault Communication, Losange magazine (GTE), Car Brochure Addict, DR
6 commentaires
Des données de l’article, déjà lues dans d’autres sujets, laissent perplexe. Comment se fait-il qu’un univers aussi rationnel et organisé que l’industrie automobile, soit incapable de restituer les chiffres de production au véhicule près ? Je ne crois pas au « on nous cache tout, on nous dit rien », mais au risque de paraître naïf, voilà qui est singulier. En tout cas, j’ai le souvenir d’articles louangeurs dans l’Équipe quand parut la Supercinq Turbo. C’était aussi le temps de la curiosité R9 Turbo en regard de la R11 Turbo. Finalement, la succession revint peut-être à la Clio Williams. Les 80’ c’était la turbine, les 90’ furent celles de la soupape à gogo. 12 (R25 TXI), 16 (quelle auto n’eut pas sa seize soupapes, seizesse), 24 soupapes (605, XM) et jusqu’à 48, mais dans un autre monde comme chantait Téléphone (Testarossa 1984-1996).
Pour être franc, Renault est plus opaque sur les chiffres que Peugeot ou Citroën. Cela dit, les tableaux PSA ne font pas toujours la différence entre les modèles. D’ici peu, j’espère avoir élucider le mystère. Je te tiens au courant Jean-Jacques (l’article sera de toute façon modifié en conséquence). Amitiés. Paul
Sauf erreur de ma part, la 205 GTI kit PTS disposait de 125ch et non 115 comme la GT Turbo.
C’est tout à fait exact et déjà modifié. Merci pour le coup d’oeil Quentin !
C’est vrai que la GT turbo, indépendamment de ses qualités, fait un peu Groseille, face à la Peugeot GTI façon Duquesnoy.
J’aime particulièrement le message sur la pub UK « Renault build better cars »
Ça sent la méthode Coué et un urgent besoin de se justifier sur la qualité de ses produits (en même temps, les britanniques sont parfaitement habitués à l’époque, après tout ils ont bien acheté en leur temps des Morris Marina et des Austin Allegro…)
Y’a pas de mal. 😉