La série 600 est-elle maudite chez Peugeot ? Après les échecs successifs de la 604 et de la 605, Peugeot se devait de réussir (enfin) avec une grande berline, capable de rivaliser avec les meilleures concurrentes d’outre-Rhin. Plus longue et plus massive que la 605, elle doit affirmer la reconquête du haut de gamme par Peugeot, commencée avec la 406. Inaugurant la série des 07, elle sera malgré tout un échec alors que toutes les chances (pensait-on) avaient été mises de son côté en éliminant toute concurrence trop frontale chez Citroën.
Production (1998-2010) : 169 431 exemplaires
Dont : 25 283 V6 et 18 799 V6 HDI
Lieux : Sochaux (25, 1998-2009), Rennes (35, 2009-2010)
Paradoxal système
Tout le paradoxe de la 607 est là : en soi, la voiture est bonne, agréable à conduire, spacieuse et confortable ; elle dispose d’une palette intéressante de moteurs, coiffée par deux V6, l’un essence, l’autre diesel. Pourtant, en plus de dix années de production, elle ne trouvera que 169 431 clients. C’est moins que la 605 (254 505) dont le début de carrière avait pourtant été entaché par de nombreux problèmes électroniques notamment et lui ruinant ses espoirs de conquête. On avait aussi préparé le terrain en privant Citroën d’une héritière directe à la XM (elle devra se contenter de la C5, et ne finira par obtenir son haut de gamme qu’en 2005, avec la C6). Enfin, la relève de la Safrane chez Renault, appelée Vel Satis, jouait un registre dangereux en cassant les codes du segment, facilitant a priori la tâche de la 607. Pourtant, jamais la voiture ne réussira à sortir du lot, séduisant une clientèle traditionnelle attachée au Lion sans réussir à conquérir au-delà de ce cercle de fidèles. Cet échec amènera Peugeot à abandonner le terrain, préférant offrir un entre-deux nommé 508 en 2011. Si la 607 n’était pas une mauvaise voiture, elle nait dans une mauvaise période pour ce type de véhicule alors que les monospaces explosaient et que les SUV commençaient à émerger. Payant cash les erreurs du passé (604 puis 605), la 607 n’avait pas assez de légitimité pour résister à ces deux nouvelles déferlantes.
A la recherche de l’honneur perdu
Au milieu des années 90, le projet Z8 revêtait encore tous les habits d’un programme stratégique pour Peugeot. L’échec flagrant de la 605, qui devait pourtant clore en apothéose le renouveau de la marque, avait laissé des traces. Question de principe : il fallait montrer et prouver la capacité de Peugeot à proposer un haut de gamme abouti, fiable et désirable. Avec l’équivalent de 600 millions d’euros de budget, la Z8 allait pouvoir montrer de quoi elle était capable. Les premières études de style et maquettes, réalisées par le centre de style dirigé alors par Murat Günak, arrivé de chez Mercedes en 1994, sont présentées en mars 1995 au comité de direction. La multitude de maquettes, dessins et propositions à l’échelle 1 montre bien la perplexité, au début du programme, des designers. Dans quel sens faut-il aller ? Pousser le curseur 605 jusqu’au bout avec une voiture basse et élancée comme le laissera penser en 1997 le concept-car Nautilus (voir encadré) ? Ou bien renforcer le côté statutaire avec un profil respirant la solidité ? A l’arrivée, ce sera un peu des deux. En effet, le style de la 607 tel qu’il sera dévoilé en 1999 laisse perplexe et exprime la difficulté à choisir de l’équipe de Günak et Gérard Welter. La longueur de la voiture lui donne un profil élancé, la ceinture de caisse relativement haute la solidité, mais rien ne semble caractériser la voiture d’autant la forme de ses optiques avant l’amollit. A l’arrière, les feux relativement fins déjà, aperçus sur le concept car 306 HDI, sont en totale opposition. Pourtant, le résultat est plutôt élégant mais manque de cohérence et, pour tout dire, de charisme.
Peugeot Nautilus
En 1997, la 605 est encore commercialisée et si le programme Z8 a bien avancé, le grand public ne sait encore rien du futur qui s’annonce. Pininfarina, qui ne désespère pas de convaincre Peugeot de choisir ses services (ou de séduire de nouveaux clients), présente alors la Nautilus, une grande berline dérivée de la Peugeot 605 (elle est dotée de l’ES9 V6 de 194 chevaux). Contrairement à la 607 présentée deux ans plus tard, la Nautilus joue la carte de la berline basse et étirée dans un style très italien. Les optiques, dans la limite des possibilités de l’époque, se font plus petites (particulièrement à l’arrière) et donnent une personnalité très féminine à la voiture. Cette proposition n’aboutira pas, le design de la Z8 étant déjà gelé. Si le style n’était pas parfait, il avait le mérite de proposer une identité plus dynamique qui aurait pu séduire plus largement que celle de la 607. Mais avec des si…
Le choix du classicisme
S’il y a bien quelque chose qu’on ne pouvait pas reprocher à la 605, c’est son châssis. C’est cette base qui sera utilisée (et rentabilisée) sur la 607. L’empattement est d’ailleurs strictement identique alors que la nouvelle grande Peugeot mesure 13,7 cm de plus pour tutoyer les 5 mètres (4,902 pour être précis). L’essentiel se gagne donc sur les porte à faux avant et arrière, nuisant un peu à l’équilibre de la ligne. Peu importe à vrai dire, l’objectif est atteint en démarquant la 607 de son ancêtre 605 et en inaugurant la lignée 07 par un regard voulu nouveau et qui, pourtant, semble s’inspirer de la 206 apparue en 1998. Certains adorent, d’autres détestent mais on est loin de l’iconoclaste Vel Satis qui sortira deux ans plus tard : le classicisme règne encore chez Peugeot.
Un lancement (presque) sans accroc
L’offre moteur est réduite, à son lancement et pour toute la durée de la phase 1, à trois blocs seulement. En essence, la gamme commence avec le 4 cylindres EW12 de 2 230 cc et 160 chevaux que vient de recevoir la 406. Elle se poursuit (et se termine) par le V6 ES9 de 2 946 cc revu et corrigé par Porsche pour atteindre les 210 chevaux. Si l’offre essence est assez cohérente, le seul diesel disponible alors, le 2.2 HDi de 136 chevaux paraît un peu juste pour une voiture de ce poids (1 550 kg). Les tarifs commencent à 186 000 francs (2.2e 16v) pour culminer à 266 500 francs (3.0e V6 Pack) : s’ils sont conséquents, ils restent cependant dans la même zone que ceux de la Safrane alors en fin de carrière. Si quelques centaines d’exemplaires de pré-série ont déjà été fabriqués (23 en 1998, 533 en 1999), la production commence réellement en 2000 avec une commercialisation à partir du 15 mai. Fort heureusement, les défauts constatés par la presse lors des essais desdites pré-séries ont été corrigés sans quoi la 607 aurait connu un démarrage aussi catastrophique. L’Auto-Journal annonçait à l’époque que “Peugeot imitait Mercedes, la référence en matière de berlines haut de gamme, au point de singer le comportement routier de la Classe A première mouture”. Un comble pour Peugeot qui, jusqu’alors, n’avait livré que des châssis exemplaires de ce point de vue là. Avec une plate-forme dérivée de celle de la 605, c’eut été un comble. Ces soucis rentrés dans l’ordre, la 607 commence fort honorablement sa carrière.
Peugeot 607 Paladine
En 2000, Peugeot présente une superbe 607 Paladine, version rallongée par Heuliez et dotée, pour sa partie arrière, d’un toit ouvrant rétractable à la manière de la 206 CC sortie la même année. C’est une habile manière de promouvoir à la fois sa grande berline tout juste commercialisée et son petit cabriolet à l’ingénieux toit en dur. Il s’agit bien d’une commande de Peugeot et non d’une initiative du carrossier picto-charentais. S’il reste statique Porte de Versailles, comme tout bon concept-car, il s’agit en réalité d’un véhicule parfaitement fonctionnel. Il connaîtra d’ailleurs son heure de gloire sept ans plus tard pour l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 : Peugeot réalisera un retentissant coup de pub en ressortant de ses réserves la fameuse Paladine pour la descente des Champs-Élysées du nouveau président de la République. Si certains avaient espéré une version limousine en petite série, à la manière des 604 HLZ produites elles-aussi par Heuliez, il n’en sera rien, la Paladine restant définitivement un modèle unique.
Un essoufflement rapide
A l’analyse de chiffres, on constate un démarrage plutôt bon (23 509 exemplaires en 2000, loin des 2 320 dernières Peugeot 605 livrées en 1999) mais cette dynamique ne va durer que trois ans : entre 2000 et 2002, Peugeot va livrer plus de 50 % des 607 jamais produites dans toute sa longue carrière. Dès 2003, la 607 rentre dans le rang avant de plonger définitivement à partir de 2006 (9 627 unités cette année-là). La seule apparition de la Citroën C6 concurrente en 2005 ne peut pas expliquer une telle baisse (elle sera un échec cuisant pour les chevrons). Il faut plutôt y voir le résultat de l’hyper segmentation de l’offre, l’absence d’une version break de plus en plus préjudiciable, l’installation durable des monospaces sur le marché (qu’ils soient compacts ou familiaux) et la généralisation, chez nos voisins allemands, de modèles SUV (Audi Q7, BMW X5, Mercedes Classe M ou Porsche Cayenne). Le temps aidant, la 607 ne bénéficie plus de l’effet nouveauté et reste limitée en matière d’offre moteur.
Peugeot 607 Pescarollo
Présentée en 2002 au Salon de Paris, la 607 Pescarolo fit frémir d’espoir les amateurs de berlines véloces. Rien que son nom, hommage au pilote Henri Pescarolo, laissait présager une vocation sportive, habilement confirmée par un kit carrosserie musclant les hanches et virilisant la poupe comme la proue. Avec ses deux sorties d’échappement et ses jantes de 19 pouces, la 607 prenait une autre tournure, pour le plus grand bonheur des visiteurs du salon, se mettant déjà à espérer une éventuelle commercialisation. Sous le capot, le V6 ES9 gavé par deux turbo et porté à 3,2 litres, issu de la Courage C60 engagée au Mans, promettait par ailleurs la bagatelle de 400 chevaux, rien que ça ! Malheureusement, la Pescarolo ne sera jamais produite en série et la 607 dut se contenter de ses 210 chevaux jusqu’à la fin de sa carrière.
Restylage léger et V6 Diesel
Pourtant, avec le restylage de 2004, Peugeot a tenté d’élargir son offre diesel, ciblant en particulier les gros rouleurs. Deux HDi 2 litres de 110 et 136 chevaux remplacent le 2.2 tandis qu’arrive un V6 HDi conçu avec Ford de 2 721 cc et 200 chevaux. En revanche, pas de nouveauté côté essence dont le V6 reste bloqué à 210 chevaux alors que le châssis en mériterait plus. Que ce soit en essence ou en diesel, les versions V6 frôlent les 50 000 euros désormais : c’est plus qu’une Mercedes E 280 à l’image flatteuse et dont le moteur offre 21 chevaux de plus. Il devient impératif d’être patriote pour s’offrir une 607. Dès lors, et ce malgré un équipement riche et un intérieur plutôt bien conçu (et qualitatif même si la référence allemande est encore loin), la grande Peugeot va vivre une lente descente aux enfers. En 2008, il ne s’en vend déjà plus que 4 565 exemplaires. La décision est prise de basculer la production, devenue quasiment artisanale, de Sochaux à Rennes en 2009. L’usine Citroën produira les derniers modèles (956 seulement) en 2010.
Dernière d’une lignée
Sans atteindre le stade de l’accident industriel comme ses rivales Vel Satis et C6, la Peugeot 607 est donc un échec avec 169 431 exemplaires. Consciente que le marché a désormais changé et qu’il est trop tard pour tenter de rivaliser avec les allemandes, Peugeot décide de revenir à des ambitions plus mesurées en remplaçant la 407 et la 607 par une seule et même voiture : la 508. Cette décision sera reconduite avec la 508 II qui existe encore aujourd’hui et qui peine, elle-aussi, sur un marché désormais largement dominé par les SUV à tous les niveaux de gamme. La 607 est donc la dernière représentant des grandes berlines sochaliennes, une lignée commencée fin 1975 avec la 604, et poursuivie par la 605. Malgré d’indéniables qualités, elle vogue désormais sur le marché de l’occasion où de bonnes affaires peuvent encore se faire.
Photos : Peugeot Communication, LIGNES/auto (avec l’aimable autorisation de Christophe Bonnaud), DR
Un commentaire
Y-a-t-il vraiment de la place pour tout le monde ? Certes, une 607 vue ce matin dans la circulation, voilà une auto pas si datée. Visuellement, le dessin tient bien le coup et cela reste du matériel de roulage de qualité. Mais, comme un clou automobile chasse l’autre, on ehpadise les modèles au roulement de tambour. Certes, son dessin, le sujet l’évoque nettement, relevant du compromis, parait désuni, l’habitacle coiffé en anse de panier, l’arrière énergique, à l’instar de l’image portée par les 504 de 1968. Mais, l’avant est chargé. La superbe Alfa Romeo 166, dans sa première version, celle d’il y a un quart de siècle, avait un avant « pas facile » au contraire de la ligne générale et de l’arrière. De la place pour tout le monde ? Où sont les grandes berlines Opel, celles d’avant les Omega ? Où sont les grandes berlines Ford, des 26 M aux Granada et Scorpio ? Où sont les grandes Fiat, de la 2300 à la 130 ? Les 132 puis Croma paraissent en dessous, à un demi-palier. Disparues les Rover 800. Alors, les R25, Safrane, Vel Satis, CX, XM, C6, 604/605/607, l’essai Tagora, les grosses Saab comme celle de Paul, les Lancia Thema/Thesis. Lexus a trouvé sa place, alors que la Honda Legend reste une rareté. Berlin a imposé la berline. Que reste-t-il ? Audi, Mercedes, BMW. Et VW a échoué avec sa mal nommée Phaéton, ne serait-ce que pour la référence mythologique fâcheuse. La mobilité change, la fonction sociale de l’auto change, les SUV ne sont probablement pas la seule cause de la disparition de ces dinosaures automobiles. Stellantis gagne toujours des sous, comme Renault, c’est l’essentiel, non ? Reste au Limousin a assurer la limousine, blanc kaolin, intérieur cuir étendu. Limoges, c’est la porcelaine et les Weston.