Au milieu des années 60, la SNCF se lance dans la recherche du confort et de la vitesse sur l’ensemble de ses lignes tout en limitant ses investissements d’infrastructure. Pour éviter de coûteuses électrifications, les ingénieurs vont donc se tourner vers une nouvelle génération de train équipés de Turbines, profitant du développement de ce type de motorisation en aéronautique (en particulier les hélicoptères). Pour étudier ce nouveau type d’autorails, la SNCF lance donc le projet « Turbotrain à Grande Vitesse » (TGV) qui donnera naissance au turbotrain expérimental TGS (Turbine à Gaz Spéciale).
Une volonté de vitesse et de confort
Si le TGS diffère sensiblement du TGV lancée en 1981, elle en préfigure quelques éléments. Tout d’abord, sa couleur orange, typique des années 70 mais très novatrice à la fin des années 60. Son design est tout aussi soigné bien que moins marqué : dérivée d’un Elément Automoteur Diesel (EAD), la TGS tente du mieux possible d’en améliorer l’aérodynamique par ses formes plus profilés, plus arrondies, et ses phares carénés. Enfin, elle sera la base d’une première piste de travail pour le futur TGV 001 doté lui-aussi de turbines. En tout cas, elle démontre la volonté de la SNCF d’aller de l’avant, avec de nouvelles solutions pour améliorer les performances tout en offrant un confort inédit pour les passagers.
De la turbine aéronautique à son utilisation ferroviaire
C’est le 24 mars 1967 qu’est présentée le TGV (c’est à l’époque le nom qu’il porte). Il s’agit en réalité d’un autorail EAD (X4365) dont, on l’a vu, l’aérodynamique est retravaillée. La motrice conserve son moteur Poyaud, un 6 cylindres en ligne Diesel servant essentiellement au démarrage, mais s’équipe aussi d’une turbine Turboméca Turmo (Turbomoteur) III C3, placée dans la remorque, qui lui assure puissance et vitesse une fois l’autorail lancé. Cette turbine provient directement de l’hélicoptère lourd de la Marine Nationale mis en service en 1966 : le Sud-Aviation SA.321 Super Frelon.
Sud Aviation SA.321 Super Frelon
Le Super Frelon est le seul hélicoptère lourd jamais construit en France et équipant la Marine Nationale de 1966, année de sa mise en service, jusqu’en 2010, date à laquelle il est remplacé par des NH90 NFH (version marine). Au sein de la Flottile 32F, il fut de toutes les missions et exportés dans de nombreux pays, notamment en Chine qui développera sa propre version, le Changue Z8. Au total, 99 exemplaires seront produits. Il était équipé de 3 turbines Turboméca Turmo III C7 dont sont dérivés la turbine du TGV-TGS.
Records du monde de vitesse
Les essais commencent en avril 1967 sur la ligne du Capitole, entre Orléans, Vierzon et Châteauroux dont la situation de plaine se prête bien à la grande vitesse. En effet, le TGV ne porte pas son nom pour rien : il s’agit de développer sensiblement la vitesse des trains sur des lignes non-électrifiées. Dès le mois de juin 1967, le train expérimental atteint la vitesse de 236 km/h (record du monde en traction autonome). Les essais vont alors se poursuivre tant en Sologne que sur différentes lignes : Paris-Mulhouse, Paris-Angoulême, Paris-Cherbourg, Lyon-Nantes et quelques autres encore. Le 19 octobre 1972, un nouveau record du monde tombe en Sologne avec 252 km/h atteints grâce à une nouvelle transmission Minerva. Le mois suivant, le TGV stoppe ses essais et abandonne son nom pour celui de Turbine à Gaz Spéciale, laissant l’acronyme précédent à un nouveau train expérimental, le TGV 001 premier de la lignée qui lui aussi utilise des turbin Turboméca (des Turmo III G).
Une descendance commerciale
Si les essais pour la très grande vitesse sont désormais concentrés sur le TGV 001, le TGS n’en a pas moins une descendance. C’est durant les essais du turbotrain sur la ligne Paris-Cherbourg que la SNCF se rend compte de la parfaite adaptation de ce type de train pour cette ligne. Dès 1969, consciente de l’intérêt de la formule Diesel + Turbine, la SNCF signe la commande pour 10 rames dites « ETG » (Elément Turbine à Gaz) dérivées du TGS, puis 4 supplémentaires en 1970. Les ETG rentrent en service le 10 mars 1970, mais cela, c’est une autre histoire.
Une seconde vie de prestige
Si le TGS a bien une descendance avec l’ETG, il ne rentre pas tout à fait au dépôt en 1972 à la fin de sa période d’essai. Le Turbotrain a démontré sa fiabilité durant ses 5 années d’étude, avec près de 280 000 km parcourus. La SNCF décide donc de lui attribuer une nouvelle mission, de prestige cette fois. Le TGS va devenir un train « événementiel » dédiés à des voyages spéciaux sur commande (groupes, associations). L’autorail est repeint sur le modèle des ETG en service. L’aménagement intérieur est totalement revu. Ainsi, il n’est plus disponible qu’en version 1ère classe, dispose d’un espace restauration, d’une salle de réunion, d’une sonorisation et de la climatisation. Basé à Saint-Pierre des Corps, il est cependant limité à 160 km/h. L’idée semblait bonne mais le TGS rencontra malheureusement qu’un succès limité. Il sera retiré du service en 1984 puis démantelé en 1990.
Consommation gargantuesque
Le TGS est intéressant à plusieurs titres. Il démontre la performance des Turbines et la pertinence de leur utilisation sur rail, lançant une série de Turbotrain (ETG, RTG) performants sur des lignes jusqu’alors mal desservies. Il lance aussi la tendance des lignes aérodynamiques et modernes que l’on connaît aujourd’hui et sera la matrice du TGV 001. Cependant, la crise pétrolière de 1973 marquera un vrai coup d’arrêt dans le développement des Turbotrain. Tout performant qu’il soit, le TGS (et ses successeurs ETG et RTG) possédait un défaut : une consommation gargantuesque qui obligera le passage à l’électricité pour les TGV et l’abandon de la Turbine après la fin de service des dernières RTG.
Images : Archives de la SNCF