La Renault 5 Turbo est un ovni dans la gamme Renault des années 80 mais aussi sur le marché français et européen. Voir une paisible citadine à traction et moteur avant transformée en monstre de la route, avec son moteur en position centrale arrière et sa propulsion, n’était pas courant. Que ce projet ait pu être validé chez Renault prouve combien être original était inscrit dans les gènes des gens de Billancourt. Haxo s’est penché sur l’histoire de cette étonnante et désirable sportive.
Production (1980-1986) : 4 957 ex (voir détail en fin d’article)
C’est au début de l’année 1976 qu’a germé dans la tête de Jean Terramorsi (alors chargé du produit chez Renault et des petites séries à l’usine Alpine de Dieppe) et de son adjoint Henri Lherm, l’idée d’une petite bombinette sportive dérivée de la populaire Renault 5 et capable de faire revenir la Régie Nationale avec succès dans le Championnat du Monde des Rallyes. Cette voiture doit porter l’image des véhicules Renault tout en étant commercialisée en petite série. Contre toute attente, l’idée est acceptée par le DG de l’époque, Bernard Hanon, et le projet numéro 822 est confié à la filiale Renault Sport nouvellement créée, dirigée par Gérard Larrousse. L’ingénieur Michel Têtu en est le responsable technique tandis que le design est confié au Centre de Style dirigé par Robert Opron récemment débauché de chez Citroën et qui vient de travailler sur un premier projet, celui de la future Renault Fuego. Le premier dessin esquissant les lignes de la future Renault 5 bodybuildée est présenté en mai 1976. Il est signé Marc Deschamps. La mue de la petite R5 est encore timide mais l’idée générale est là : c’est suffisant en tout cas pour que la direction générale de Renault accorde les crédits pour la construction d’un prototype et pour peaufiner le style. Malheureusement, l’initiateur du projet, Jean Terramorsi, ne verra jamais la R5 Turbo en action : il s’éteint le 27 août 1976.
Durant l’année 1977, le Centre de Style s’applique à travailler les lignes du projet 822. Les rondeurs sont atténuées, les lignes plus tendues et les stylistes tentent de donner une vraie personnalité à la future voiture par un choix de couleurs très seventies (rouge, orangé). Le projet évolue dans la bonne direction, et l’on confie au carrossier italien Bertone le soin de réaliser une première maquette sur la base des travaux de l’équipe française et de Marc Deschamps). Marcello Gandini, alors en poste chez Bertone, ne pourra résister à ajouter sa patte au projet 822 : il apporte ainsi quelques corrections et modifications sur la carrosserie, mais s’intéresse surtout à l’intérieur à qui il donne une personnalité très marquée. Ironie du sort : Gandini quittera Bertone en 1979 pour y être remplacé par Marc Deschamps. La maquette est en tout cas livrée à Renault en janvier 1978. Cependant, il faut tout de même proposer autre chose qu’une simple maquette. Renault Sport planche de son côté sur la partie mécanique, et ne chôme pas. En mars 1978, un prototype roulant, de couleur noir, est finalisé à l’usine Alpine de Dieppe et commence ses essais dans la campagne normande avec à son volant Alain Serpaggi, ou parfois même Guy Fréquelin. Pendant ce temps là, on peaufine le style. La maquette fournie par Bertone est retravaillée. On effectue des tests à la soufflerie du CNAM (Arts & Métiers) à Saint-Cyr l’École qui dicteront, ensuite, de nouvelles formes pour la petite R5 Turbo.
Petit à petit, le travail de style fait évoluer le projet 822 : la gracile Renault 5 s’est muée au fil du temps en une bête musclée, presque brutale : les roues s’agrandissent, les voies s’élargissent, les traits se tirent, les entrées d’air se gonflent, les appendices aérodynamiques (comme le petit becquet arrière) apparaissent. Ces modifications vont être scrupuleusement respectées par le carrossier des Deux-Sèvres Heuliez, à qui l’on a confié la réalisation d’une deuxième maquette, livrée en août 1978. Ce travail est décisif et quasi-définitif puisque cette maquette doit être présentée au public et doit donc coller au plus près de ce que sera la Renault 5 Turbo de série. En octobre 1978, au Salon de l’Automobile de Paris, le PDG de Renault, Bernard Vernier-Palliez présente en conférence de presse la nouvelle petite bombe du losange, la Renault 5 Turbo. Les journalistes comme le public sont impressionnés par cette 5 méconnaissable et dont les caractéristiques techniques, propulsion et moteur arrière, semblent alléchantes. Chez Renault Sport, Alpine et au Berex (Bureau d’Études et de Recherches Exploratoires), on s’active pour transformer ce rêve automobile encore en réalité technique et commerciale. C’est ainsi que durant le premier semestre de l’année 1979, on va carburer à Dieppe afin de finaliser puis produire des exemplaires de pré-série. L’un d’entre eux, de couleur bleu et jantes blanches à trou, est présenté au Salon de Francfort en septembre 1979. Les choses avancent, tellement même qu’on hésite pas à engager au Giro d’Italia (ouvert aux prototypes) une R5 Turbo jaune pilotée par Guy Fréquelin et copiloté par Jean-Marc Andrié. La version course ainsi présentée développe 250 chevaux et elle rend une copie prometteuse malgré son abandon prématuré.
En janvier 1980, le style est définitivement gelé et la Renault 5 Turbo adopte enfin ses jantes de série. Désormais, elle se prépare à la production définitive qui commence en juin 1980. Cette dernière prend l’allure d’un véritable ballet industriel puisque les coques de Renault 5 sont prélevées sur la chaînes de Flins pour être conduites chez Heuliez à Cerizay (79) et y recevoir de nombreuses modifications : rallongement, élargissement, pavillon, hayon et portes en aluminium etc. Une fois les modifications effectuées, les caisses repartent à Flins pour un passage en cataphorèse puis sont envoyées à Dieppe, chez Alpine, pour le montage final (capot en polyester, mécaniques, trains roulants, intérieur, peinture) sur la même chaîne que l’A310 V6. La production commence le 13 juin 1980 et les premières Renault 5 Turbo intègrent donc le millésime 1981.
Parlons techniques maintenant. La Renault 5 Turbo s’inspire de la R5 plus qu’elle n’en dérive, tant les modifications sont nombreuses. La première différence, outre l’esthétisme déjà évoqué, est fondamentale : son moteur ne se situe plus à l’avant mais bien en position centrale arrière. De fait, la voiture devient une propulsion (et rejoint l’Alpine A310 V6 jusqu’alors la seule de son espèce au sein d’une gamme Renault quasiment constituée de tractions). Le moteur lui-aussi est retravaillé par rapport à ce qui existait alors dans la banque d’organe Renault. Il s’agit du 4 cylindres de la Renault 5 Alpine, un Cléon-Fonte de 1 397 cc qui sort normalement 93 chevaux. Pour quasiment doubler cette puissance, la mécanique reçoit une injection Bosch K Jetronic, mais surtout un turbocompresseur Garret T3. Quelques modifications supplémentaires accompagnent la montée en puissance de ce vaillant bloc : culasse plus épaisse, soupapes bi-métalliques avec queues chromées, guide de soupape en laiton, joint de culasse spécial, traitement spécial des mannetons, des coussinets et des tourillons du vilebrequin, volant moteur renforcé, tubulures admissions-échappements spécifiques etc. Au final, ce moteur offre 160 chevaux à l’heureux conducteur qui bénéficie en outre d’une boîte de vitesses à 5 rapports en provenance de la Renault 20 TS. En ordre de marche, la Renault 5 Turbo ne pèse que 970 kg et revendique 200 km/h en vitesse de pointe.
Renault 5 PPG : retour vers le futur
Au début des années 80, PPG Industries (fabicant de peinture, de fibre, de chlore et de verre) était le principal sponsor du championnat américain d’Indy Car rebaptisé pour l’occasion PPG Indy Car Wolrd Series. Non content de soutenir financièrement cette catégorie automobile populaire aux États-Unis, PPG offrait à l’organisation le Pace Car officiel des courses pour chaque saison. Pour la saison 1982, PPG va faire réaliser une voiture unique, au style inimitable : l’AMC-Renault 5 Turbo PPG. Les modifications sont essentiellement esthétiques et permettent de mettre en avant la qualité des fibres proposées par PPG : il s’agit donc d’une toute nouvelle carrosserie en fibre de verre qui remplace celle de la R5 Turbo d’origine. Elle récupère aussi des portes papillons, ce qui lui donne une personnalité forte. Il faut d’ailleurs bien l’admettre, le dessin de ce Pace car est superbe de modernité pour ce mois de novembre 1981 où il est présenté. D’ailleurs, le récent prototype de Renault 5 électrique semble s’être inspiré de ce dessin aux lignes futuristes, imaginant avant l’heure la 5 Turbo des années 2020. La Renault 5 Turbo PPG a aujourd’hui été totalement restaurée et appartient à un collectionneur.
Pour les besoins de l’homologation sportive en rallye, il faut vite produire les 400 premiers exemplaires de la série, avant même d’avoir les bons de commande : il en résulte un réel problème de stockage à l’usine Alpine de Dieppe, avenue de Bréauté. Pour le millésime 1982 (à partir de juillet 1981), la Renault 5 Turbo évolue légèrement, perdant ses portes et son hayon en aluminium pour de la vulgaire tôle. Mais la vraie révolution sera présentée au Salon de Paris 1982 et nommée R5 Turbo 2. Elle n’entrera en production que pour le millésime 1983 (sa production commence le 5 juillet 1982). Au menu : 30 kg supplémentaires sur la balance, mais surtout un intérieur totalement revu. Le mobilier signé Bertone semblait sans doute trop daté (et marqué années 70) pour les décideurs de Billancourt ou les acheteurs. Il en résulte un intérieur bien plus banal et, pour tout dire, terriblement triste. Cependant, en devenant Turbo 2, cette R5 sportive apporte tout de même une bonne nouvelle : un tarif en baisse de près de 15 000 francs.
Fin 1984, l’inscription de la Renault 5 Turbo 2 en Groupe B dans le Championnat du Monde des Rallyes oblige Renault à produire 200 exemplaires spécifiques à des fins d’homologation. Ces R5 Turbo Type R8221 (et non R8220) dispose donc du moteur d’origine des « Groupe B », un 1 432 cc développant environ 180 chevaux (certains parleront de 200 chevaux) mais vendu à la clientèle pour la même valeur que les R8220, soit 160 chevaux. Une fois les 200 exemplaires atteints, la production reviendra au 1 397 cc du départ. Produite jusqu’au 7 avril 1986, la Renault 5 Turbo 2, bien que moins pure que sa devancière, se vendra bien mieux : quasiment deux fois plus.
Renault 5 Turbo 3 par Légende Automobiles : la Turbo se met au Restomod
En juillet 2021, les petits français de Légende Automobiles ont annoncé leur projet de Restomod sur la base d’une Renault 5 Turbo, prenant pour l’occasion le n°3. Annoncée sans électronique, il s’agit pourtant bien d’une version moderne de la légende des années 80 dont l’extérieur est habilement et subtilement modernisé. L’intérieur, lui, est modifié plus en profondeur mais reste dans l’esprit Bertone de la R5 Turbo 1. Pas d’indication sur le moteur si ce n’est qu’il prend place, évidemment, en position centrale arrière. En attendant des nouvelles de Légende Automobiles, savourons ces quelques images alléchantes.
Insolite : la Renault 5 Turbo 6 roues de Christian de Léotard
Christian de Léotard, disciple de Pierre Tissier, transforma à la fin des années 70 et au début des années 80 des Renault 5 en véhicules à 6 roues. La Renault 5 Turbo n’échappa pas à la transformation et un exemplaire fut transformé, avec son moteur originel à l’arrière doublé d’un moteur de Renault 5 Alpine à l’avant, et dotée de deux boîtes de vitesses synchronisées. Le prototype (fonctionnel) restera unique et finira totalement détruit dans un incendie. Mais tout cela est une autre histoire.
Chiffres de production Renault Turbo 5
Numéro | Modèle | Début de production | Fin de production | Total |
R8220 | Renault 5 Turbo | 13/06/80 | 15/09/82 | 1690 ex. |
R8220 | Renault 5 Turbo 2 | 05/07/82 | 07/04/86 | 2967 ex. |
R8221 | Renault 5 Turbo 2 | 11/84 | 12/84 | 200 ex. |
Aller plus loin :
Un excellent historique de la Renault 5 Turbo sur l’excellent site d’André Leroux
L’Automobile Sportive est toujours une référence, dont l’article se lit avec plaisir.