Que le temps passe vite : la Peugeot 104 fête cette année ses 50 ans. Certes, la citadine du Lion n’a pas connu le même succès que sa contemporaine Renault 5 mais elle aura partagé sa plate-forme avec de nombreuses autres voitures (Citroën LN/LNA, Citroën Visa, Talbot Samba) et marqué son époque avec ses petites sportives ZS et sa gueule cubique particulièrement réussie en version Coupé 3 portes. Un anniversaire, ça compte, et Haxo s’est donc penché sur la Peugeot 104 avec plaisir et nostalgie.
Peugeot 104 (1972-1988) : 1 624 992 ex.
La coopération Peugeot / Renault
Dans les années 70, le choix d’une marque était un marqueur social et parfois politique, et pour certaines familles, plutôt bourgeoise, acheter un modèle issu de la Régie Nationale des Usines Renault aurait été bien trop connoté pour elles. Pour ces familles-là, les modèles Peugeot apportaient la respectabilité qui manquaient aux Renault trop populaires voire communistes à leurs yeux. La famille de l’auteur de ces lignes était de cette veine, de cette bourgeoisie de province préférant limiter ses choix à la gamme sochalienne plutôt que de se commettre avec un losange. Et pour bien mesurer le succès de la 104 à l’époque dans ces milieux-là, l’auteur vous rappellera qu’il a usé ses culottes courtes sur les banquettes arrière de la 104 SL de sa grand-mère, la 104 GL de sa tante, la 104 S de son oncle mais surtout dans la fameuse 104 ZS (première série) de ses propres parents, rouge, parce que ça va plus vite en rouge. Quatre 104 au même moment dans la même famille, c’était quelque chose. La décennie suivante, elles seront toutes remplacées par des 205, un choix logique en somme. Ironie de l’histoire, Peugeot et Renault collaboraient pourtant sur les moteurs via la Française de Mécanique produisant le fameux V6 PRV mais aussi les moteurs X de la 104 que l’on retrouvera aussi sur la Renault 14 (une voiture boudée par les amateurs du Losange, sans doute trop Peugeot pour eux, qui reprenait par ailleurs le train avant de la … 104 justement).
La « petite 104 » complète la gamme
C’est au Salon de Paris 1972 (en octobre) qu’est présentée la nouveauté Peugeot, qui vient combler le vide sous la vieillie 204 qui continue son chemin commercial et la plus récente (mais sur la même base) 304 qui joue les compactes « tradi » avec son coffre rallongé pour y coller toutes les valises des vacances (oui l’auteur de ces lignes a aussi usé ses fonds de culottes sur la banquette d’une 304, on était « Peugeot à mort » comme dirait Nathalie Morin en parlant de son mari Bernard). Depuis le milieu des années 60, Peugeot et Renault collaborent sur les achats, les nouveaux modèles, les moteurs : le rachat de Citroën viendra plus tard bousculer cette alliance mais il est cocasse d’imaginer deux entreprises si antagonistes s’allier contre toute attente. A cette époque, Peugeot n’imagine même pas racheter Citroën. En revanche, l’entreprise franc-comtoise a compris grâce à la 204 combien sortir de ses certitudes pouvait rapporter gros. A pas de velours (dirait Téléphone), tel un félin, Peugeot est descendu en gamme l’air de rien jusqu’à présenter en 1972 cette fameuse 104. Il ne fallait cependant pas demander de miracles : « chez Peugeot, on reste sérieux Monsieur ». Dans la logique de la collaboration avec Renault, la Renault 5 joue les avant-gardistes avec un dessin tout en rondeur quand la 104, lancée en berline 4 portes, reste beaucoup plus carrée, sérieuse diront-même certains. Son dessin est pourtant dû au bureau de design italien Pininfarina, mais on peut facilement imaginer les contraintes imposées. Peugeot ne croit pas au hayon, et laisse volontiers cet avantage à son allié du moment Renault : la marque préfère miser sur une 4 portes (la R5 n’y viendra qu’en juillet 1979) et laisser l’innovation instaurée chez Renault depuis la R4 et déclinée depuis sur la R16.
Le projet M121 donne donc naissance à la 104 en octobre 1972. L’alliance Renault/Peugeot prévoit au sein d’une même co-entreprise (la Française de Mécanique, toujours) la production de moteurs V6 pour les deux marques (auxquelles viendra se rajouter Volvo pour donner naissance au PRV), d’un moteur 2 litres initié par Renault et de petits moteurs (les X) menés par Peugeot. C’est la 104 qui doit étrenner ces petits moteurs qu’on retrouvera seulement sur la Renault 14 mais jamais sur la R5 qui restera fidèle au Cléon-Fonte. À son lancement, la 104 dispose donc d’un moteur moderne en aluminium, de 954 cc, positionné transversalement, et développant 50 chevaux SAE (soit 46 ch DIN). C’est largement suffisant pour l’époque (et le format de la voiture) : rappelez-vous qu’au même moment, une 2CV6, haut de gamme de la « petite » Citroën, propose seulement 29 chevaux (ne parlons même pas de la 2CV4 et de ses 24 chevaux tout mouillé).
La 104 dérive vers le sport
La 104 est donc la première incursion de Peugeot sur le marché naissant des citadines. La voiture surclasse la 2CV, est plus compacte que la Renault 4, et devance de peu sa concurrente directe, la Renault 5. Malheureusement, son style est sans doute trop consensuel à une époque pop où la rondeur et la couleur deviennent essentielles (Peugeot rectifiera le tir avec une 205 totalement dans l’air du temps dix années plus tard). Le succès de la 5 en sera la preuve flagrante : par prudence, Peugeot se privera d’un avantage pourtant évident : la voiture était moderne techniquement (ce qui n’était plus le cas des 2CV et R4 squattant l’entrée de gamme), en avance sur Renault d’un an, et venait compléter habilement une gamme de plus en plus fournie chez Peugeot : 204 (toujours présente, notamment en break), 304 (en version berline, break, coupé et cabriolet), et 504 (berline, break, coupé et cabriolet). La série X04 avait de la gueule à l’époque. Excès de prudence, certes, mais rapidement rectifié puisque Peugeot lançait un an plus tard, en 1973, sa version coupé dotée, elle, d’un hayon bien pratique (l’auteur se souvient bien de son vélo balancé à l’arrière de la 104 ZS familiale une fois la trop longue balade partie en nœud de boudin).
Peugeot « Pininfarina » Peugette
En 1976, Pininfarina, à qui l’on doit le dessin de la 104 mais aussi de nombreux modèles Peugeot depuis les années 50, se fend d’un prototype sympathique et minimaliste rappelant la Panhard Junior : la Peugette. Reprenant à son compte le 1.1 de 66 chevaux de la ZS, et concevant sur la même base une barquette pratique et légère dont l’avant et l’arrière sont très proches (et interchangeables), Pininfarina espère secrètement une fabrication en petite série… Peine perdue, la Peugette resterra dans les cartons.
Une R5 plus attrayante, une 104 trop « tendre » ?
Trop tard sans doute : les jeux étaient faits et, dans l’esprit de la clientèle, le hayon c’était Renault, pas Peugeot. Peu importe : Peugeot allait jouer le sport… mais trop timidement. En lançant la 104 ZS en septembre 1975, Peugeot offrait une nouvelle image à sa « petite » voiture : 66 chevaux DIN sortant d’un X cubant 1 124 cc, ça envoyait à l’époque. Oui mais voilà, Renault répliquait rapidement avec une 5 Alpine de 1 397 cc offrant 93 chevaux moins d’un an après. Au delà de ce « raté » sportif (qui ravit désormais les amateurs), Peugeot proposait tout de même des X un peu plus péchus pour sa 104 : en 1976, la 104 GL « 6 » offre elle-aussi le 1 124 cc dans une version moins sportive, avec 57 chevaux, tout comme la SL plus luxueuse (façon de parler). Les GL « normales » et ZL se contentent alors du 954 cc de 44,5 chevaux (la virgule est importante à ce niveau de puissance). La même année, Peugeot profite d’un rachat enfin totalement acté de Citroën (la montée au capital aura été progressive) pour lancer un ersatz de 104 doté de chevrons sous le nom de LN : châssis 104 et carrosserie proche, mais moteurs bicylindres d’origine Citroën. De quoi combler la gamme vers le bas. Si cette initiative est heureuse (et saluée par la presse de l’époque qui ira même jusqu’à reprocher à Citroën de ne pas mettre assez en avant la petite LN), elle représente une nouvelle concurrence (certes interne). Pire : sort alors la Renault 14 dotée d’un moteur du même moule, et du même train avant… La 104 se retrouve attaquée de toute part : sa sœur LN, sa demi-soeur R14 et sa concurrente la plus frontale R5. Pourtant la petite Peugeot continue son petit bonhomme de chemin, avec la discrétion protestante des vieilles familles industrielles de l’Est de le France.
Peugeot 104 « Kit Arvor »
Chez le fabriquant de sacs en plastique Arvor, on aime la bagnole. Voir la 104 distancée par la R5 mais aussi et surtout la Golt GTI qui vient de sortir en 1975 hérisse le poil du patron, Georges Lagian, qui conçoit alors un kit carrosserie et un kit moteur propulsant la petite Peugeot au delà des 100 chevaux. Avec 105 chevaux tirés du 1 360 cc grâce à Pipo Moteurs, la 104 peut enfin rivaliser avec la 5 mais surtout la Golf. Un prototype fabriqué, quelques kits vendus, l’aventure s’arrêtera là… Chez Peugeot on attendra la 205 pour montrer les muscles.
Restylage et sportivité
En 1977 (AM 1978), la petite 104 bénéficie d’un premier restylage : des phares avant plus imposants en sont la marque la plus visible. En version Coupé, elle gagne en agressivité accentuée par son châssis raccourci par rapport à la berline. En mars 1978, Peugeot semble vouloir jouer la carte de la sportivité et lance une série limitée (1 200 exemplaires) appelée Sundgau : une berline 4 portes dotée du moteur de la ZS de 66 chevaux. Difficile de choisir nom plus obscur pour une série spéciale, preuve des balbutiements de Peugeot en termes de marketing mais le succès sera suffisant pour lancer la 104 S en octobre de la même année, dotée du même moteur et intégrée à la gamme. Dans la même veine, une autre série limitée fait son apparition en 1978 : la ZS2 dont le 1 360 cc développe 93 chevaux (tiens tiens, comme la R5 Alpine) réservée à 1 000 passionnés de la marque. En juin 1978 sort une nouvelle sœur de la 104 : la Citroën Visa. La concurrence interne devient alors aussi dur que la concurrence externe puisque Citroën dispose désormais elle-aussi de deux versions de la 104 : la LN 3 portes est devenue LNA tandis que la Visa 4 portes récupère un moteur X de 57 chevaux pour sa version haut de gamme.
Montée en puissance
L’année-modèle 1980 (à partir de juillet 1979 donc) voit arriver des modifications de gamme (la GL6 devient la GR par exemple) mais surtout de moteurs en haut de la gamme : les 104 S et ZS reçoivent le moteur X jusque là réservé à la R14 : le 1 360 cc de 72 chevaux. C’est ainsi que l’oncle de l’auteur se débarrassa de sa ZS 66 chevaux auprès de ses parents pour acquérir une S de 72 chevaux bien plus pratiques avec ses 4 portes (lui qui n’avait pas d’enfants… « va savoir Charles »). Profitons de cette expérience personnelle pour expliquer la passion de l’auteur : jusque là, son propre père se contentait d’une 304 SL déjà bien pourvue (pour l’époque) avec un 1 288 cc de 74 chevaux et une boîte de vitesses au plancher mais la voiture n’était pas destinée à une conduite sportive. L’arrivée d’un 104 ZS dans le cheptel changeait la perception de l’enfant qui y posait son cul : la cylindrée était moindre, la puissance aussi, et pourtant le chant du moteur se faisait plus sentir. A l’oreille, on savait qu’il ne s’agissait pas du même genre d’auto. Rajoutez à cela une mère qui n’a jamais su faire autrement que passer ses vitesses à la zone rouge, et vous comprendrez pourquoi la 104 ZS reste un super souvenir (et rappelle parfois des frayeurs).
Préparer le terrain (pour la 205)
En 1981, Peugeot décide de dépoussiérer sa petite citadine. La 205 est dans les cartons (et heureusement tant la situation financière est catastrophique suite au rachat de Chrysler Europe). Pire : le groupe PSA s’apprête à lancer une nouvelle concurrente à la 104, prévue pour 1982 : la Samba. Il était temps de ravaler la façade. L’essentiel se joue sur les feux avant, réduits par rapport à l’évolution de 1977, et le feux arrière. Pour le reste, on trouve toujours le 954 cc en entrée de gamme (GL) puis le 1 124 à toutes les sauces (GR 50 chevaux ou Z, ZR et SR à 57) et enfin le haut de gamme de 1 360 cc ( S et ZS, les sportives de 72 chevaux), la ZS2 ayant quitté le catalogue en tant que série spéciale. Pour 1982, la gamme évolue peu mais la ZS reçoit une nouvelle option : 80 chevaux ébouriffés. La 205 se profile pourtant et l’on sait que la 104 n’aura plus qu’un rôle modeste à jouer, comme on sait le faire chez Peugeot : jouer sur la clientèle plus désargentée cherchant une voiture économique. En 1983 la gamme est encore complète, y compris les ZS. Même topo en 1984 même si les « petits » 954 ont disparu de la gamme. L’année 1985 sera en revanche le coup de grâce : les ZS ont disparu, remplacées par des 205 GTI plus puissantes (1.6 105 chevaux) et plus séduisantes. Ne restent plus que les entrées de gamme et leurs 50 chevaux tirés du 1 124 cc. L’espèce s’éteindra courant 1988, dans l’indifférence générale.
Une carrière très honorable
On pourrait croire la 104 anecdotique, courant sans arrêt derrière sa concurrente Renault 5 et pourtant, la réalité est autre : avec plus 1.6 millions d’exemplaires vendus, la petite Peugeot s’est plutôt bien défendue. Surtout, elle aura préparé le terrain pour le best-seller 205. Le succès de la 205 GTI aurait-il pu se passer des tentatives 104 ZS multiples (66, 72 ou 93 chevaux), sans même parler des erreurs (pas de hayon sur la 4 portes initialement) ? Enfin, si l’on ajoute tous les modèles issus de la 104 (Visa, LN/LNA et Samba) on arrive à un chiffre intéressant : 3 503 620.
Production des Peugeot 104 de 1972 à 1988
Production | |
1972 | 16 779 |
1973 | 101 957 |
1974 | 137 983 |
1975 | 114 534 |
1976 | 155 565 |
1977 | 190 438 |
1978 | 184 906 |
1979 | 143 512 |
1980 | 142 656 |
1981 | 150 096 |
1982 | 125 967 |
1983 | 50 388 |
1984 | 30 413 |
1985 | 26 019 |
1986 | 25 622 |
1987 | 22 214 |
1988 | 5 943 |
Total | 1 624 992 |
Production de la 104 et de ses dérivés :
Peugeot 104 (1972-1988) : 1 624 992 ex.
Citroën Visa (1978-1988) : 1 254 390 ex.
Citroën LN/LNA (1976-1986) : 353 383 ex.
Talbot Samba (1981-1986) : 269 855 ex.
Et leur cousine :
Renault 14 (1976-1983) : 999 093 ex.
Aller plus loin :
Un site pour tout savoir sur la Peugeot 104 : Peugeot 104 et Samba