Le temps passe et les souvenirs s’estompent. On finirait presque par oublier les victoires de Renault dans le Tour de France avec Bernard Hinault ou Laurent Fignon, et que la Régie Nationale en fabriquait les montures par l’intermédiaire de sa filiale Micmo-Gitane. Une stratégie de diversification lancée au début des années 70 qui finira dans la douleur en 1985 face à l’océan de dette du constructeur nationalisé, sommé de remettre de l’ordre dans ses affaires.
L’heure de la diversification
Les années 70 sont une période paradoxale : l’heure est encore à la croissance mais des signes avant-coureurs laissent craindre une récession. La crise pétrolière de 1973 en est la première alarme depuis deux décennies. Pierre Dreyfus et son état major (notamment Bernard Vernier-Paillez) se rendent compte que la consommation automobile risque de changer tandis qu’ils observent l’explosion de marchés plus modestes : les cyclomoteurs et les vélos. D’une manière générale, on cherche, chez Renault, à limiter les risques et à diversifier les activités. Déjà, en 1970, Renault s’était emparée du loueur Europcar puis du fabricants de petits moteurs Bernard en 1972. Cette même année, Renault Marine s’associait avec Guy Couach pour produire des moteurs marins sur le bassin d’Arcachon.
Vélosolex et Gitane dans le collimateur
C’est en 1974 que les grandes manœuvres vont commencer pour prendre pieds dans les marchés du deux roues. Son concurrent, Peugeot, est déjà bien installé sur le créneau des vélos mais aussi celui des cyclomoteurs. Sa 103 SP cartonne auprès des jeunes et permet de « fidéliser » une clientèle amenée à passer à la petite voiture. Renault n’a rien à proposer en dessous de sa petite R5 et décide de suivre à la trace son concurrent. Cette année-là, la régie va mener deux opérations : d’une part, Renault Moteurs Développement prend le contrôle (51 %) de la firme Vélosolex et d’autre part, elle s’offre une participation minoritaire de 30 % dans la société Micmo-Gitane qui rivalise alors avec Peugeot sur un marché des cycles en plein essor. Entre les deux constructeurs, la lutte est sur tous les fronts puisque Peugeot, dans le même temps, monte au capital de Citroën (et finira par en prendre le contrôle total en 1976).
Bloquée dans le cyclo mais à fond dans le vélo
L’opération Solex n’est qu’un début puisque au début de l’année 1975, Renault revend sa participation à Motobécane en échange de 17,35 % du nouvel ensemble. Cette fois-ci, c’en est trop pour Peugeot qui voit cette opération comme une déclaration de guerre. Le constructeur franc-comtois s’engage alors dans une bataille boursière, raflant 16,91 % du capital de Motobécane. Du côté des cyclomoteurs, Renault semble bel et bien bloquée mais la régie n’abdique pas du côté des vélos et s’offre en 1976 la totalité du capital de Micmo-Gitane et de son usine de Machecoul (de là à y voir une sorte de tenaille, il n’y a qu’un pas). C’est un véritable pied-de-nez d’autant qu’elle met aussi la main sur l’équipe cycliste Gitane-Campagnolo qui devient en 1978 Renault-Gitane-Campagnolo puis, en 1979 Renault-Gitane (en 1981, Elf viendra s’associer à l’équipe qui deviendra Renault-Elf-Gitane).
Gitane-Testi : petit succès dans les petites motos
Si l’opération Vélosolex/Motobécane se retrouvait au point mort (Renault finira par céder sa participation à Marcel Dassault en 1980), Renault n’en resta pas moins concurrent de Peugeot sur les cyclomoteurs et autres petites motos grâce à Gitane, justement. Depuis 1969, l’entreprise ligérienne s’était associé avec le constructeur italien Testi pour distribuer en France ses produits sous le nom de Gitane-Testi puis Gitane-Elf. Certains modèles 50 cc, comme la Carabo, furent même assemblés via des kits à l’usine de Machecoul. Les Champion, Enduro, Trial, et autres Grand Prix ou Daytona rencontreront un certain succès dans les années 70 avant de lâcher prise au début des années 80 avec l’arrivée de la concurrence japonaise.
A l’assaut du Tour de France
Malgré un marché du vélo qui commence déjà à s’effriter, Renault décide de mettre le paquet sur son équipe cycliste. Là encore l’objectif est on ne peut plus clair : déloger Peugeot très investi dans le cyclisme et le Tour de France avec son équipe, Peugeot-Esso-Michelin, et en occupant le rôle envié de sponsor officiel. A ce titre, Peugeot fournit l’ensemble des véhicules de l’organisation (des Peugeot 504 et 604) mais oblige chaque équipe à disposer d’une 504 d’assistance. On verra ainsi cette vénérable Peugeot siglée Renault, mais elle reste discrète face aux voitures d’assistance de l’équipe Renault-Gitane, des Renault 20 et 30 immanquables avec en noir, jaune et blanc. D’autant qu’avec les succès de l’équipe, on ne voit plus qu’elles (et seront ensuite relayées par des R14, puis dans les années 80 par des Fuego et des R25).
Victoires à la pelle et pertes abyssales
Entre 1978 et 1984, l’équipe Renault-Gitane (puis Renault-Elf-Gitane) va tout raffler grâce à son champion, Bernard Hinault, mais aussi Laurent Fignon. On verra même Greg LeMond débuter sous les couleurs Renault. Avec 4 victoires au Tour de France pour Hinault (78,79,81, et 82) et deux pour Fignon (83 et 84), Renault est un rouleau compresseur. Malgré les immenses moyens apportés par la Régie, Micmo-Gitane de son côté accumule les pertes, tout comme Renault d’ailleurs, englué entre-autres par son aventure américaine avec AMC-Jeep. L’année 1984 est catastrophique avec 12,5 milliards de pertes. De son côté, Micmo-Gitane a perdu 97 millions de francs depuis 1982, pour un chiffre d’affaire de 120 millions en 1984. La situation est intenable. Le PDG Bernard Hanon est remercié et remplacer par Georges Besse. En 1985, il décide de revendre les cycles Gitane au fabricant vendéen Yvars, signant la fin de l’aventure Renault dans le vélo. L’équipe du Tour est quant à elle dissoute, faute de repreneurs.
Image : Renault, Tour de France / ACO, DR