Si le storytelling permet aux marques de mettre en avant leurs succès, la rumeur populaire se nourrit des échecs. Seule l’Histoire permet de rétablir quelques vérités. Ainsi en est-il de la résurrection de Talbot dans les années 1980, marquée par un échec et la disparition finale de la marque. Depuis, Peugeot est fréquemment mise en accusation par certains amateurs d’automobiles, coupable d’avoir délibérément sacrifié sa filiale, héritière de SIMCA. Outre que l’on peut s’étonner qu’un constructeur investisse à fonds perdus dans une marque dont il souhaite se débarrasser, le développement de la gamme suggère une toute autre histoire. Celle d’une marque à l’identité plus exclusive et novatrice que sa société mère. A l’instar d’Audi et Volkswagen, sans toutefois connaître le même succès.
Une gamme à renouveler
Quand Peugeot rachète la filiale européenne de Chrysler à l’été 1978, SIMCA demeure un constructeur automobile prolifique, presque trop… La doyenne, la Simca 1100, côtoie la toute nouvelle Horizon. Les Simca-Chrysler 160,180 – devenues 1609,1610 – et 2 litres qui n’ont jamais vraiment rencontré leur public entrent en concurrence avec la gamme 1307/1308/1309. Auréolée du titre de voiture de l’année en 1976, la 1307 et sa gamme connaissent une carrière commerciale plus qu’honorable.
Il faut alors se rendre à l’évidence, un clou chassant l’autre, il semble inévitable que la 1100 et les 160/180 s’effacent à court terme au profit du duo Horizon et 1307/1308/1309. Seules survivront les versions utilitaires VF de la 1100. Profitant opportunément des investissements précédents mais sans doute aussi animée par un véritable projet, Peugeot va rapidement pouvoir créer une gamme complète et homogène autour de ces deux modèles.
Talbot avant Talbot
L’histoire de Talbot est plutôt compliquée. Son histoire commence en Angleterre en 1903 avec la création de Clément-Talbot, une firme dédiée à la fabrication sous licence des automobiles Clément-Bayard. En 1919, l’entreprise est rachetée par la filiale anglaise de Darracq (autre constructeur français) en même temps que Sunbeam. En 1920, les voitures fabriquée en France prennent le nom de Talbot-Darracq puis tout simplement Talbot en 1922 tandis qu’en Angleterre, c’est la marque Sunbeam qui prend le dessus. En 1934, la branche française en difficulté est rachetée par Anthony Lago et devient Talbot-Lago. En 1936, c’est au tour de la branche anglaise (Sunbeam-Talbot-Darracq) d’être rachetée par le groupe Rootes.
Alors que Rootes abandonne l’usage de la marque en 1954 pour ne conserver que Sunbeam au catalogue, Anthony Lago lui tente de relancer la marque après-guerre malgré le manque de moyen avec les Talbot-Lago Grand-Sport et Record. Oubliée du Plan Pons, Talbot-Lago doit batailler pour exister et seuls 150 à 250 exemplaires sortent chaque année des usines de Suresnes. Lago cherche à élargir la gamme avec la Baby d’entrée de gamme permettant d’atteindre les 433 unités en 1950 (toutes avec des moteurs maison). Cependant, les difficultés financières plombent la firme qui peine à vendre 80 modèles dès 1951. Les voitures, bien que redessinées et modernisées, restent des modèles « d’avant-guerre » désuets et les ventes plongent (34 en 1952, 17 en 1953).
Lago réoriente alors la firme vers les coupés sportifs avec la Grand Sport (210 chevaux) dont le prix prohibitif limite la clientèle (18 ventes en 1954). La marque propose alors une Grand Sport 2.5 litres de 120 chevaux bien moins chère, sans succès (15 ventes en 1955, 9 en 1956). En 1957, elle récupère un V8 BMW de 125 chevaux sans plus séduire (7 ventes) et Lago se voit obliger de vendre la marque à Simca qui s’intéresse surtout à l’usine de Suresnes pour développer sa marque de poids-lourds Unic. Un exemplaire de la Grand Sport doté d’un V8 de Chambord verra le jour, mais la marque disparaît dès 1959. Ironie du sort, Simca et Rootes, détenteurs des droits de la marque Talbot en France et en Angleterre passent dans le même giron américain, Chrysler, durant les années 60. C’est ainsi que PSA récupèrera les droits sur Talbot en rachetant Chrysler Europe en 1979.
Le soleil se lève
Voiture de l’année 1979, l’Horizon est maintenue sur les chaînes et obtient dans un premier temps de bons chiffres de ventes. La série 1307/1308/1309 est restylée en juillet 1979 pour devenir 1510. La face avant change d’inclinaison, peut-être autant par soucis d’aérodynamique que pour la rapprocher de celle de l’Horizon. Passée la valse des sigles qui voit en 1980 ces deux modèles parfois arborer Simca, Chrysler et Talbot de concert, Peugeot peut enfin remettre un peu d’ordre dans sa nouvelle marque.
Talbot Sunbeam et Avenger, des incongrues dans la gamme
Si en France la gamme Talbot est unifiée autour des modèles Simca, il reste en Angleterre deux incongruités issues du groupe Rootes. La Sunbeam et l’Avenger, des modèles spécifiques, récupèrent donc le blason Talbot. L’Avenger, à l’origine une Hillman, est une berline moyenne traditionnelle concurrente de la Peugeot 305, tandis que la Sunbeam est une voiture compacte concurrente de… la Talbot Horizon et assez proche en style (mais qui reste, elle, une propulsion et ne propose que 3 portes). Conservant une certaine clientèle en Grande Bretagne, ces deux modèles sont conservés au catalogue jusqu’en 1981. Mieux, la Talbot-Sunbeam-Lotus remporte le titre de champion du monde des rallyes constructeur en 1981 tandis que l’équipage Fréquelin-Todt est sacré vice-champion du monde des pilotes.
En avril 1980, Talbot lance sa première « nouveauté », la Solara. Le modèle ne se contente pas d’adjoindre une malle à la 1510. Rebondissant sur la dénomination Horizon (le lien horizon-soleil-solaire-solara ne vous aura pas échappé), il préfigure la naissance d’une nouvelle gamme qui voit s’effacer les noms à quatre chiffres de l’ère SIMCA.
Le plus puissant PRV
En 1981, la Tagora, vaisseau amiral de la nouvelle flotte Talbot, arrive dans les concessions. Basée sur un projet élaboré par Chrysler Europe, cette voiture haut-de-gamme bénéficie cependant de l’attention de Peugeot. La base retenue pour son châssis est celle de la 505 tout juste lancée en 1979. A son 2,2 litres essence qui fera justement le bonheur de la 505, s’ajoute rapidement le V6 PRV ainsi que le légendaire XD Indenor dans sa version turbo-diesel.
C’est avec la Tagora que commence à se distinguer clairement le rôle dévolu à la marque Talbot au sein de PSA . On lui accorde le privilège de disposer de la motorisation la plus puissante du groupe. Le V6 de la version SX surpassant avec ses 165 chevaux celui de la 604 et même de la R30 concurrente avec qui elle partage la même motorisation. Dans les années 1980 – et peut-être encore aujourd’hui – ce choix a un sens. « Size does matter » aurait-on pu persifler dans les bureaux britanniques de Talbot… La marque qui dispose du modèle le plus puissant est destinée à être d’un standing supérieur. Ce que confirme un riche équipement qui se veut alors à la pointe de la modernité.
La Samba : une pré-205 ?
Toujours en 1981, la gamme Talbot se complète par le bas avec la présentation de la Samba. Les économies d’échelles président à sa conception puisqu’elle reprend la base de la Peugeot 104 mais avec un style plus dynamique. Un effort a été consenti pour ne pas renouveler le simple clonage de la sochalienne comme cela avait été le cas avec la Citroën LN/LNA. Là encore, PSA va mettre en avant sa nouvelle marque avec une déclinaison inédite dans le groupe. Avant la 205, c’est bien la Samba qui sera la première citadine à être dérivée en version cabriolet par le constructeur avec l’aide de Pininfarina. La forme générale, accentuée par la présence de l’arceau de sécurité, n’est pas sans rappeler celle de la Golf décapsulée par Karmann. C’est d’ailleurs à l’époque, parmi les constructeurs français, la seule concurrente de cette dernière.
Guys wanna have fun
Pour couronner son caractère exclusif, Talbot va tirer profit de la collaboration avec Matra initiée par SIMCA. Le Rancho, S.U.V. avant l’heure, est ainsi reconduit dans le catalogue avec plusieurs séries spéciales. A l’aube des années 80, avant le triomphe des GTI, les coupés sportifs sont encore prescripteurs d’image. PSA maintient donc la production de la Bagheera et va même jusqu’à accepter sa remplaçante, la Murena.
De 1979 à 1981, Talbot a ainsi mis sur le marché 4 nouveaux modèles : Samba, Solara, Tagora et Murena, un calendrier de sortie exceptionnel à l’époque et qui cadre mal avec l’image d’un groupe PSA faisant tout son possible pour tuer dans l’œuf sa nouvelle marque. Le catalogue de Talbot est alors complet, de la citadine à la berline haut de gamme en passant par les véhicules de loisirs. Il paraît même beaucoup plus excitant que ceux de Peugeot et Citroën.
Le choix de la compétition
Pour achever de se convaincre qu’une réelle volonté de soutenir et propulser la marque Talbot animait PSA, il suffit d’observer son implication dans les sports mécaniques. En 1981, la Talbot Sunbeam Lotus permet à la marque d’être championne du monde des rallyes catégorie constructeur tandis que le département Peugeot Talbot Sport est créé. Dès l’année suivante, une course monotype, le Trophée Samba est lancée. Elle inspirera la création des fameuses Samba Rallye du commerce et sans doute in fine les 205 éponymes. Que dire enfin de la participation de Talbot au championnat du monde de formule 1 qui voit le monogramme au T figurer en bonne place sur les Ligier JS17 et JS19 en 1981 et 1982.
Il ne fait guère de doute que PSA nourrissait de réelles ambitions pour la marque Talbot et visait la conquête de nouveaux clients grâce à son positionnement orienté vers le haut-de-gamme et la sportivité. Hélas, l’histoire est désormais connue, malgré tous ces investissements le succès ne sera pas au rendez-vous et PSA devra finalement se résoudre, pour sa propre survie, à laisser la marque péricliter. On ne peut faire abstraction des conditions économiques difficiles pour l’ensemble des constructeurs automobiles à la suite du second choc pétrolier de 1979. Peugeot, comme d’autres, annonce des plans de licenciement qui entraînent chez Talbot des grèves dont la marque pâtira.
Volkswagen et Audi, un essai réussi
Un parallèle instructif peut être dressé avec le choix de Volswagen, à la fin des années 1960, de ressusciter Audi des cendres d’Auto Union et DKW. Puis, après avoir absorbé NSU, de développer la marque autour du slogan et concept « Vorsprung durch Technik » (le Progrès par la Technologie). Ce choix de faire d’Audi une marque résolument plus élitiste et sportive que Volkswagen se matérialisera avec l’engagement en sport automobile de la Quattro. Permettant ainsi à la marque ressuscitée de se faire rapidement un nom grâce à ses victoires en rallye. Désormais la marque d’Ingolstadt s’émancipera sur le plan du style de celle de Wolfsburg. Les nouvelles 80 et 90 ne seront plus jumelles de la Passat. Les 100, 200 et V8, de leur côté, vont progressivement construire le statut de « marque premium » d’Audi.
Pour expliquer ce succès, on pourrait alors opposer à un présumé amateurisme français le génie d’un Ferdinand Piëch ou la rationalité allemande. Ce serait oublier un peu vite que 30 ans se sont écoulés entre le rachat d’Auto Union à Daimler-Benz par Volkswagen en 1964 et le triomphe de ses séries A. Sous la pression des comptables, Talbot n’a pas bénéficié d’un tel délai… Peugeot ne mérite pas les accusations de sabordage de sa filiale SIMCA-Chrysler, bien au contraire. La renaissance de la marque Talbot est une des tentatives avortées des marques françaises de reprendre pied dans le haut-de-gamme européen. De grandes ambitions, nourries par de réels investissements mais dans un contexte de crise sévère.
Aller plus loin :
Pour découvrir ce qu’aurait pu devenir Talbot dans d’autres conditions, lire : Et si Talbot avait survécu aux années 80
Découvrez aussi l’histoire de la Peugeot 309, vraie-fausse Talbot : Peugeot 309, la lionne de Poissy
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Un commentaire
À propos de la compacte Chrysler Sunbeam, cette auto a vu le jour grâce à une subvention de 55,000,000 de £ accordée par le gouvernement britannique, négociée à la demande de Chrysler Corporation afin de préserver les emplois de Chrysler U.K. dans une industrie automobile britannique ravagée, et face à la concurrence du groupe B.L.M.C. désormais nationalisé.