Si la DMC-12 (qui ne recevra jamais cette appellation officiellement) est devenue une star de cinéma grâce à la trilogie Retour vers le Futur, son créateur a, lui aussi, tout du héros de cinéma. John Z. DeLorean, ingénieur de génie, étoile montante de l’industrie automobile, ami des stars et icône de la mode, est la vedette de sa propre vie, quitte, parfois, à se brûler les ailes. Arrivé au sommet de la GM, il quitte pourtant le géant de Détroit pour créer sa propre marque de voitures de sport. Rattrapé par les difficultés financières, accusé de malversations mais aussi de trafic de drogue, DeLorean ne retrouvera jamais son aura des années 70 et sans le cinéma, qui se souviendrait encore de la DeLorean Motor Corporation ?
Une famille en difficulté qui renforce son ambition
John Zachary DeLorean naît le 6 janvier 1925 à Détroit. Ses parents, d’origine roumaine, se nomment Zaharia Delureanu (né en Transylvanie) et Ecaterina Pribac (née dans le Banat). Émigrés aux États-Unis, ils deviennent alors Zacharie et Kathryn Delorean. Ainsi, malgré ce que laissera croire John tout au long de sa vie, point d’origine noble malgré ce que laisse penser la coquetterie du L majuscule au milieu de son nom (suggérant l’ablation d’un espace aristocratique). Son père est ouvrier au sein des usines Ford mais semble avoir du mal à s’acclimater à sa nouvelle vie américaine. Ainsi, son incapacité à parler correctement l’anglais lui barrera toute possibilité d’évolution. Il en ressentira sûrement une grande frustration, sombrant peu à peu dans l’alcool. Kathryn, elle, fera de son mieux pour compenser en travaillant chez General Electric, sans compter tous les extras qu’elles pouvaient faire pour améliorer l’ordinaire. Elle finira par quitter Zachary en 1942 qui finira par sombrer totalement dans la toxicomanie. John ne reverra quasiment plus jamais son père mais trouvera sans doute dans cet exemple la force et l’envie de réussir !
John Z. DeLorean est particulièrement attiré par l’électricité puis la mécanique : il commence donc des études d’ingénieur au Lawrence Institute of Technology mais il est mobilisé dans l’Armée à la fin de la guerre. On ne sait pas grand-chose de ces années militaires, mais il est libéré de ses obligations en 1946 et peut ainsi reprendre ses études. En parallèle, il travaille chez Chrysler en carrosserie. Enfin diplômé en 1948 et désireux de gagner rapidement sa vie, il se lance dans la vente d’assurances-vie avec un certain succès mais reprend ses études au Chrysler Institute of Technology dont il sort en 1952. Il rejoint alors tout naturellement le constructeur américain avec enthousiasme mais aussi, c’est peu de le dire, beaucoup d’ambition.
De Chrysler à Packard
Après un an passé chez Chrysler, John change de crèmerie : débauché par Packard avec un bien meilleur salaire, il voit l’occasion de faire ses preuves dans une entreprise plus petite et ce malgré les difficultés rencontrées par le constructeur. S’il est déjà un jeune loup, c’est un brillant ingénieur qui améliore de façon spectaculaire la boîte automatique Ultramatic qui prend alors le nom de Twin Ultramatic. Petit à petit, John Z. DeLorean se rend indispensable, jusqu’à obtenir le poste envié de directeur de la recherche et du développement. Un poste qu’il ne gardera pas longtemps puisqu’en 1956, il décide d’accepter l’offre de Pontiac, aussi intéressante du côté professionnel que du côté financier. Il aura quand même le temps de superviser les tests d’une étrange voiture venue d’Allemagne, la Type 542, candidate pour être le coeur de la gamme de Studebaker récemment fusionnée avec Packard.
La Porsche refusée par DeLorean (Type 542)
Dans les années 50, Porsche n’est pas encore le monstre de rentabilité que l’on connaît aujourd’hui. Si sa 356 se vend de mieux en mieux (notamment grâce au marché américain et à son dynamique importateur, Max Hoffman), la petite firme reste encore très dépendante de ses activités d’ingénierie pour le compte d’autres constructeurs. Par l’intermédiaire de Hoffman, Porsche entre en contact avec la firme américaine Studebaker alors en difficulté. Il s’agit de concevoir une berline 4 portes en limitant au maximum l’investissement. Porsche s’exécute et propose la Type 542, dotée non pas d’un flat six mais bien d’un V6. Un prototype est réalisé en Allemagne puis envoyé à South Bend. Studebaker, alors en pleine fusion avec Packard, a d’autres chats à fouetter. Une fois la fusion acquise, John Z. DeLorean va s’intéresser à nouveau au projet. L’homme va étudier et tester le prototype afin de se faire une idée. Il finira par refuser le projet, considérant la voiture trop compacte pour le marché américain, tandis que sa tenue de route et ses suspensions sont considérées comme trop européennes. DeLorean refuse le projet et la Type 542 restera aux oubliettes de l’histoire.
La révélation Pontiac
Voilà donc notre John enfin chez un grand de Détroit. Entre 1956 et 1961, au sein de l’équipe de Pete Estes et sous la direction du DG, Semon Knudsen (qu’il considèrera comme son mentor), il va se concentrer sur son cœur de métier : l’ingénierie. Il participe ainsi à l’élaboration de dizaines d’innovations brevetées jusqu’à devenir ingénieur en chef pour Pontiac. Il n’a alors que 35 ans ! Passionné par les voitures sportives (notamment européennes), il va donner un coup de fouet à la marque jusqu’alors relativement “bourgeoise” en lançant une nouvelle mode : celle des muscle cars avec la désormais célèbre Pontiac GTO.
Pontiac GTO : le coup de génie
John Z. DeLorean n’est pas un homme patient. Il se désespère de voir la priorité toujours donnée à Chevrolet, la marque phare du groupe GM qui représente entre 50 et 75 % des ventes chaque année. Il aime les sportives et sent qu’il existe un marché aux USA en ce début des années 60. La Corvette coûte relativement cher et la Mustang de chez Ford n’est pas encore sur le marché. Profitant du développement de la Tempest, une voiture dite “compacte” aux USA (tout est relatif), il décide avec l’aide de Bill Collins et de Russ Gee de réfléchir à une déclinaison sportive, un coupé amélioré et doté d’un V8 “Full Size” d’ordinaire réservé à de plus grosse voitures. Pour ne pas éveiller les soupçons au 14ème étage (celui des décideurs de la GM à Détroit), ils glissent ce moteur au rang des options aux côtés de plus petits blocs. Une fois le programme validé, c’est la version GTO (une référence à peine cachée à Ferrari) qui est mise en avant, misant sur un look sportif et à la mode, un prix modéré, et une grosse puissance : un 389 ci (6,4 litres) de 325 chevaux). Le succès sera immédiat, avec des ventes cinq à dix fois supérieures aux prévisions annuelles (selon les années). La Pontiac GTO est en fait la première “muscle car”, et se démarque de la Mustang (“Pony car”) ou de la Corvette (qui se veut “Sportscar”). Le marketing automobile était en marche, et la GTO devint une icône de la pop culture cette époque comme le prouve la chanson de Ronnie & The Daytonas, Little GTO.
La GTO met en lumière les talents de John DeLorean. Certes, la voitures est réussie, mais il n’y a pas que cela : DeLorean a tout réussi avec ce modèle. L’intuition était bonne, le produit réussi et surtout, le marketing excellent. Les ventes sont au-delà des espérances, et la GTO tire toute la gamme Pontiac vers le haut. Jusqu’alors discrète, elle devient la troisième marque américaine derrière Ford et Chevrolet. Ce succès éclatant vaut à DeLorean de devenir en 1965 le plus jeune directeur de division du groupe GM : il vient alors d’avoir 40 ans, et c’est une sacrée performance au sein d’un groupe aussi rigide et conservateur que General Motors.
Au 14ème étage du siège, DeLorean découvre les lourdeurs administratives d’un géant de l’automobile, les rivalités entre directeurs et les peaux de bananes. Il lui faudra se battre pour faire accepter sa campagne publicitaire “Tigre” pour la GTO (voir ci-dessous), mais connaîtra l’échec avec la Pontiac Banshee à moteur central (XP 833) qui restera au stade de concept-car. GM s’en inspirera pour développer la Chevrolet Corvette C3 et l’Opel GT en Europe. DeLorean devra se contenter de la très réussie Firebird.
Malgré ses déboires, John tient parfaitement son rôle de division. Malgré un style vestimentaire de plus en plus détonnant dans l’univers feutré des cadres de la GM, il s’impose de plus en plus comme l’étoile montante du groupe. C’est à cette époque qu’il commence à soigner son image d’homme d’affaires rebelle et à rencontrer de nombreuses personnalités grâce à ses opérations promotionnelles pour Pontiac et à la place qu’il accorde aux relations publiques. Il se permet de plus en plus de liberté mais bénéficie de l’extrême rentabilité de Pontiac alors que les autres divisions voient leurs revenus diminuer. L’homme a le vent en poupe et le conseil d’administration le reconnaît à demi-mot en le nommant, le 15 février 1969, à la tête de la prestigieuse division Chevrolet : charge à lui de redonner un coup de fouet à la vénérable marque.
Promotion chez Chevrolet
A la tête de Chevrolet, DeLorean va cultiver encore plus son image. Riche grâce à son salaire mirobolant, influent, iconoclaste (en apparence du moins), cool, il va séduire le tout Hollywood. Si son style décontracté, son sens de l’humour et son charisme lui permettent de charmer la Jet-set, il bénéficie aussi de la puissance marketing de Chevrolet dans un milieu où l’apparence est reine. A cette époque, il sympathise avec le patron de la MGM, James T. Aubrey, le financier Kirk Kerkorian mais aussi (et surtout) avec la star Sammy Davis Jr et le célèbre présentateur de télévision, Johnny Carson. Ces deux derniers deviendront des soutiens très actifs lors des aventures entrepreneuriales de John. Mais n’anticipons pas !
Concernant Chevrolet, les affaires ne vont pas bien lorsque John Z. DeLorean en prend les commandes. Malgré le succès de la Corvette, la marque souffre depuis 1965 du scandale Corvair initié par l’avocat Ralph Nader avec son livre Unsafe at any speed. Le modèle est définitivement arrêté en 1969 mais les multiples procédures judiciaires ont éreinté la trésorerie de l’entreprise et sa réputation. DeLorean est chargé de réorganiser la maison Chevrolet et de redorer son blason. Afin de remettre la marque en ordre de bataille, de nombreux projets sont retardés. Sur les chaînes de production, les contrôles qualités sont renforcés tandis que DeLorean rationalise les procédures et réduit les coûts de production. Les facelifts de la Corvette et de la Nova sont simplifiés (et leurs sorties décalées), et la Camaro sort en 1970 dans un climat bien plus serein. John va aussi superviser le lancement crucial de la Vega. Sur ce modèle, il va particulièrement surveiller la qualité, quitte à rajouter personnel et inspecteurs sur les lignes d’assemblage : après 6,7 millions de rappel lors des 5 années précédentes, la marque n’a plus droit à l’erreur. Elle sort en 1970 et rencontre immédiatement le succès (ironie de l’histoire, elle connaîtra pourtant des soucis de fiabilité). En 1971, Chevrolet explose tous les scores et caracole en tête des marques américaines.
Grandeur et chute au firmament GM
Son succès à la tête de Chevrolet ne laisse pas indifférent la direction de GM malgré son style de plus en plus hors-norme, ses cheveux de plus en plus longs, ses favoris fournis et ses chemises largement ouvertes. En 1972, il est nommé Vice Président du groupe en charge de l’ensemble de la production automobile (et poids-lourds). Il a 47 ans seulement et représente l’avenir de l’automobile aux États-Unis et la présidence de GM n’est plus très loin. Au firmament, l’étoile montante va tomber de son piedestal à peine une année plus tard. Le 2 avril 1973, John DeLorean annonce sa démission en précisant vouloir se concentrer sur des projets sociaux. La version seventies de l’actuel “je veux donner un sens à ma vie”. Pourtant, personne n’est dupe. Que s’est-il passé durant cette année à la vice-présidence ? Nul ne le sait mais il est fort probable que la direction de GM, très “costumes anthracites et cravates noires”, apprécie de moins en moins le style de DeLorean, tandis qu’il devient de plus en plus jet-setter ! John s’est-il cru arrivé trop tôt ? Son départ ne ressemble pas à un licenciement comme certaines rumeurs le disent, mais plutôt à un départ négocié entre deux parties qui avaient de plus en plus de mal à se comprendre. John Z. DeLorean part ainsi en conservant une large part de son salaire.
John ne manque pas de ressources. Dès 1973, il participe (et investit) au projet de son frère, Grand Prix of America (lire ci-dessous). Il prend par ailleurs la présidence de la National Alliance of Businessmen, une association dédiée à l’aide à l’emploi des personnes défavorisées. Il n’y restera qu’un an. Au début de l’année 1974, il rencontre le journaliste Patrick Wright qui lui propose d’écrire un livre sur son expérience industrielle au sein de GM. Leurs entretiens transformés en un récit à la première personne révèlent un DeLorean très critique vis-à-vis de GM, notamment sur sa gestion de l’épisode Corvair. Finalement, John préfèrera éviter les foudres de son ancien employeur et se retira du projet. Wright publiera cependant le livre en 1979 qui connut alors un énorme succès.
Grand Prix of America : la brouille des deux frères DeLorean
L’épisode GPA (ou Grand Prix of America) est sans doute l’un des moins connus de la carrière de John Z. DeLorean. Tout commence avec son petit frère, Jack, qui travaille au début des années 70 pour Malcolm Bricklin, alors importateur Subaru aux USA. Ce dernier a l’idée d’organiser des courses dédiées aux petites Sub 360. L’opération tournera court et Bricklin se tournera vers un autre projet, la création de la Bricklin SV-1. Cette aventure promotionnelle donne des idées à Jack qui crée alors, en 1973, la société GPA (Grand Prix of America). Le concept ? Proposer à l’américain moyen de s’offrir des tours de circuits à bord de répliques de McLaren M14 en miniature, de véritables karts produit par OMC et disposant d’un moteur Wankel fabriqué par Sachs, d’une puissance déjà conséquente de 26,5 chevaux (permettant théoriquement d’atteindre les 65 mph (soit presque 105 km/h). Douze exemplaires seront produits pour l’exploitation, et l’activité démarre réellement en 1973 après un test fin 1972. Pour financer son projet, Jack fait appel à son frère qui quitte tout juste GM et dispose encore de solides revenus ! Les deux hommes vont alors tenter de développer l’affaire sur le petit circuit de Troy, dans l’État de New York, mais aussi celui de Pomona près de Los Angeles. Malheureusement, l’aventure tournera court et le GPA fera faillite en 1975 laissant les deux frères définitivement brouillés.
Le projet DSV puis DMC
Un homme de la trempe de John Z. DeLorean ne pouvait rester éloigné de l’automobile trop longtemps. Dès janvier 1974, il crée la John Z. DeLorean Corporation. Il prend contact avec son vieux copain Bill Collins, qu’il avait connu chez Pontiac et qui s’apprêtait à quitter GM avec l’idée de travailler sur une sportscar à moteur central et portes papillon. Passionné par l’automobile italienne, John Z. Delorean pense d’abord à une silhouette proche de la Maserati Bora mais Collins, qui a pu voir les réalisations de Giorgetto Giugiaro à Turin (la Hyundai Pony Coupé et la Maserati Coupé 2+2 notamment). L’homme avait aussi travaillé en 1970 sur la Volkswagen-Porsche Tapiro dont les portes papillon conviennent parfaitement aux idées de John.
Dans un premier temps, la société d’assurance Allstate Insurance contacte John Z. DeLorean et lui propose 50 000 dollars pour réfléchir au concept d’une voiture sécuritaire. Il s’agit alors d’une sorte de consulting. John va donc pondre 7 pages d’une brochure (dont une de couverture vide), s’inspirant grandement du concept BMW Turbo présenté à Paris en 1972 sans le nommer (voir lien Cuberside Classics en fin d’article) et expliquant son concept aussi vaguement qu’un Power Point stratégique aujourd’hui, et ce sans jamais citer Allstate Insurance. On y retrouve dans le concept allemand la marotte de John, les portes papillon, ainsi que la recherche de la meilleure sécurité.
Sur cette base, la petite équipe va donc s’atteler à conceptualiser la DSV (pour DeLorean Safety Vehicle) ! DeLorean et Collins étudient en profondeur pour fournir à Giugiaro toutes les spécifications nécessaires à la réalisation d’un prototype. A l’origine, DeLorean imagine pouvoir récupérer un Wankel Trirotor que la Comotor, filiale de Citroën, tente de développer pour la CX. Mais la quasi faillite de Citroën et la revente de cette dernière à Peugeot cassent les rêves de l’américain qui doit trouver une autre solution : ce sera le PRV français (lire ci-dessous). En janvier 1975, toutes les données nécessaires au styliste italien sont remises, et l’artiste livre la maquette en bois en juin de la même année. Le style est très Giugiaresque, et très proche de ce qui deviendra la DMC-12 quelques mois plus tard.
Abandon du Wankel et choix du PRV dédié à Volvo
Afin de présenter une voiture vraiment futuriste, John Z. DeLorean va opter, en premier lieu, pour le moteur révolutionnaire de l’époque : le moteur à piston rotatif de type Wankel, notamment sa version européenne développée par la Comotor, filiale commune de Citroën et de NSU. Malheureusement, le rachat de NSU par Volkswagen pour faire renaître Audi et les difficultés financières (sans parler des échecs commerciaux) de Citroën changeront la donne : il n’y aura donc pas de rotor sous le capot de la DeLorean. On pense alors au 4 cylindres de la Citroën CX, puisque le Trirotor initial n’était plus disponible, auquel on pourrait rajouter un turbo mais la marque française refuse. Les marques américaines refusant de fournir un moteur (que ce soit GM, Chrysler ou Ford), DeLorean va donc se tourner vers une autre entreprise française, la Française de Mécanique, qui fabrique le tout récent PRV (Peugeot Renault Volvo). C’est la version Volvo qui est choisie, dotée d’une injection mécanique K-Jetronic développant 130 chevaux pour une cylindrée de 2,8 litres, et déjà adaptée à la législation américaine.
Du côté d’Allstate Insurance, et malgré la première entourloupe, on est très satisfait au point de financer à hauteur de 500 000 dollars la réalisation de 3 prototypes fonctionnels ! C’est à ce moment-là, en octobre 1975, que la DeLorean Motor Company (DMC) est fondée officiellement, grâce à cet apport bienvenu ! Si le style est quasiment figé, reste encore les questions techniques. Influencé par l’automobile européenne, et désireux de concevoir un véhicule sportif, certes, mais relativement abordable, John Z. DeLorean lorgne vers la Porsche 914 puis jette son dévolu sur la Fiat X 1/9 pour servir de mulet.
Le mulet était une Fiat X1/9
Dès le départ, John Z. DeLorean ne pense qu’à une chose : réaliser une sportive à moteur central, pour un meilleur équilibre. Chez GM déjà, il avait milité et encouragé ses ingénieurs pour proposer une version de ce type de la Chevrolet C3 en devenir. Sans succès. Pour sa propre voiture, il était hors de question d’imaginer autre chose que cela. Pour tester les solutions et peaufiner les détails techniques de la future voiture, DeLorean va donc acheter puis modifier une Fiat X1/9 qui servira de mule à la future DMC-12.
Lancement et production
La DSV est présentée comme un prototype roulant en 1976. Le style a peu évolué par rapport à la maquette en bois de 1975. Globalement, les écueils ont été évités mais les problèmes de moteur obligent DeLorean à réfléchir à un nouveau châssis pouvant accueillir le lourd PRV en lieu et place du léger Trirotor Comotor prévu. Entre-temps, un V6 Cologne aura été envisagé mais la Française de Mécanique emporte la décision. Pour réaliser ce châssis, John va faire appel à un maître en la matière : Colin Chapman, le boss et fondateur de Lotus. A cette époque, la petite firme anglaise peine à imposer l’Esprit tout juste lancée sur le marché américain. Avide de cash, Chapman ne résiste pas à la proposition de John Z. DeLorean contre la modique somme de 23 millions de dollars (sans compter des rétro-commissions indécentes qui vaudront à DeLorean, Chapman et Fred Bushell, le DG de Lotus, de nombreux ennuis, voir encadré plus bas). Il récupère le châssis poutre de l’Esprit et retravaille l’arrière pour pouvoir accueillir le PRV plus volumineux et lourd que le 4 cylindres de l’anglaise.
Décidément, cette voiture devient de plus en plus internationale : initiative américaine, dessin italien, moteur français, châssis anglais et bientôt une usine irlandaise (du nord, autant le préciser). Cependant, les problèmes ne sont pas tous réglés. Pour payer la facture de Lotus mais aussi lancer la production, il faut des moyens, beaucoup plus de moyens que les 500 000 dollars de Allstate Insurance et l’apport personnel de John lui-même. L’homme va donc d’abord faire jouer ses relations et attirer ses amis dans le capital. Sammy Davis Jr, Johnny Carson et le chanteur Roy Clarke investissent tous les trois dans l’affaire. DeLorean réussit à convaincre la Bank of America de lui consentir un prêt important. Il fait aussi la course aux revendeurs avec une idée géniale a priori, mais risquée à long terme : chaque dealer sélectionné se voit proposer la possibilité d’investir dans la société DMC. DeLorean fait aussi la chasse à toutes les subventions possibles, auréolé de son passé glorieux au sein de la GM.
Pour l’usine, il s’agit de choisir le plus offrant. L’Eire est un temps sur les rangs, puis Porto Rico, mais c’est l’Irlande du Nord qui remporte la timbale. En effet, le gouvernement britannique cherche à apaiser cette région sensible et en guerre perpétuelle. Persuadé que le développement économique est l’un des moyens de faire revenir la paix, il propose à DMC la modique somme de 120 millions de dollars de subvention. La construction de l’usine à Dunmurry, en banlieue de Belfast, commence en octobre 1978. A cette époque, le moral est au beau fixe mais le projet prendra beaucoup de retard. Prévue pour être opérationnelle en 1979, l’usine ne commence à fonctionner qu’en janvier 1981 à cause de problèmes de conception mais aussi à cause de soucis de personnel. L’industrie automobile n’existait pas en Irlande du Nord et DMC doit former tous les ouvriers qu’elle s’est engagée à embaucher dans la région. A ce moment-là, on imagine encore produire 12 000 véhicules par an.
DeLorean DMC-3700
En 1978, John Z. DeLorean cherche à diversifier ses activités (et à s’assurer un revenu personnel en cas de faillite de DMC). Grâce à un montage financier complexe et finalement illégal mis en place avec Colin Chapman, le fondateur de Lotus (voir plus bas), il récupère la somme de 8,5 millions de dollars et rachète Thiokol Snowcat, une entreprise située à Logan dans l’Utah et spécialisée dans la fabrication de chasse-neige. Il rebaptise aussitôt la firme DeLorean Manufacturing Company (DMC, comme l’autre DMC). Le produit phare de l’époque, le Thiokol 1200, sera nommé DMC-3700. Malgré la chute de DMC (la branche automobile) et sa faillite personnelle déclarée, John Z. Delorean, restera propriétaire de DMC (la branche industrielle). Il diversifiera l’entreprise vers les matériels aéroportuaires et renommera l’entreprise LMC (Logan Manufacturing Company). Il revendra finalement la firme en 1993 pour 13 millions de dollars.
DeLoran DMC-80
Le programme fédéral Transbus est lancé au USA en 1973 afin de développer des autobus modernes et abordables pour les grandes villes américaines en plein développement. Persuadé qu’une entreprise ne doit pas dépendre que d’un seul marché, John Z. DeLorean décide de participer au programme Transbus. Il n’a pourtant aucun produit à proposer, mais toujours de la ressource. En Allemagne, Fahrzeugwerkstätten Falkenried GmbH (plus connu sous le nom de FFG et filiale de la société de transport de Hambourg) a développé un projet de bus pour répondre au Standard de la VÖV (association des transports publics allemands). DeLorean achète en 1980 la licence de fabrication de ce bus qu’il renomme DMC-80. Un prototype est envoyé aux États-Unis pour recevoir sa certification tandis qu’une brochure est imprimée. La ville de New York semble intéressée et DeLorean envisage déjà une usine dans les environs. Malheureusement, le programme Transbus est reporté et DeLorean voit s’éloigner tout idée de financement public ou de subventions quelconque. DMC est aux abois et n’a pas les moyens d’aller plus loin. FFG récupère son prototype et le DMC-80 est définitivement oublié.
Après avoir produit les 3 prototypes (DSV-1 en 1976, DSV-2 en 1977 et DSV-3 en 1978, développé 28 véhicules pilotes et réglé les problèmes liés à l’usine, la production de la DMC DeLorean (son nom officiel, DMC-12 restant le nom du projet) peut enfin commencer. La voiture dans sa forme définitive dispose d’une carrosserie en acier inoxydable non peinte, pèse 1 233 kg (alors que John envisageait un poids contenu de 1 000 kg au départ), d’un PRV de type Volvo de 2 849 cc et 130 chevaux DIN et de deux boîtes de vitesse au choix : manuelle 5 rapports ou automatique 3 rapports. Elle peut atteindre 192 km/h et effectue le 0 à 100 en 9,5 secondes (manuelle) ou 10,5 secondes (automatique). Prévue pour être vendue 20 000 dollars, elle est finalement proposée à 25 000 dollars. La première année de production ne permet pas d’atteindre les objectifs, avec “seulement” 6 539 exemplaires produits. Ce chiffre n’est pourtant pas ridicule, mais il ne suffit pas à atteindre le point mort d’autant que la qualité n’est pas au rendez-vous (ni les performances d’ailleurs, décevantes). Le personnel peu qualifié ne permet pas d’obtenir un état irréprochable, en rapport avec le prix demandé.
DMC-12 American Express
John est certes un brillant ingénieur, mais il a compris dès son passage chez Pontiac l’importance du marketing. En outre, l’homme manque de fonds pour lancer son affaire, et n’est pas contre l’idée d’un partenariat rémunérateur au lancement de son nouveau coupé. Il va alors dealer avec American Express pour la réalisation de CENT exemplaires de la DMC-12 recouverts d’un placage d’or à 24 carats. Pour Amex, il s’agit de promouvoir sa nouvelle carte Gold. Pour DMC, c’est l’occasion de profiter d’une intense campagne de communication conduite par son partenaire bancaire. Du point de vue marketing, c’est aussi positionner la voiture du côté du luxe et de la réussite en ce début des années frics ! Malgré la campagne de communication, seuls deux exemplaires sortiront des chaînes. Il faut dire qu’à 85 000 dollars, une fortune à l’époque, il fallait être fou pour tenter l’aventure, qui n’était d’ailleurs pas vraiment de bon goût !
Difficultés financières
Fin 1981, le bilan n’est pas glorieux. Les ventes ne permettent pas d’atteindre le point mort, d’autant que les taux de change s’avèrent défavorables entre le Royaume Uni et les États-Unis et s’ajoutent au prix du transport vers le principal marché de DMC. L’entreprise est alors totalement réorganisée autour d’une société de holding et des filiales séparées entre production, distribution et recherche et développement. Une réduction d’effectifs est lancée à Belfast tandis que John DeLorean tente une émission d’actions de la holding pour 27 millions de dollars, opération annulée par la SEC (Security Exchange Commission). Le début 1982 s’annonce bien mal. L’homme se retourne vers le gouvernement britannique pour de nouvelles aides. Des aides promises à condition de trouver des investisseurs pour un montant équivalent. DeLorean prend alors son bâton de pèlerin pour trouver de nouveaux partenaires et assurer la pérennité de son entreprise. Cette recherche de capitaux fera tomber notre héros dans un terrible engrenage, d’autant que les ventes plongent (1 126 véhicules seront produits en 1982).
DeLorean DMC 24
Dans la logique de John Z. DeLorean, et au-delà des diversifications évoquées plus haut, la DMC-12 n’est que le début d’une aventure plus large. Enfin, c’est ce qui était prévu évidemment. Dès 1979, alors que la DMC-12 n’est pas encore rentrée en production, il demande au fidèle Giugiaro et aux équipes d’ItalDesign de se pencher sur une berline 4 portes dont le lancement pourrait se situer aux alentours de 1984, une fois le coupé bien installé. Comme pour ce dernier, les ambitions sont là, avec une prévision de 10 000 exemplaires par an, rien que cela. Il faut à cette berline (dénommée DMC-24 en interne) un style raccord avec la DMC-12, résolument moderne ! Giorgio Giugiaro, prudent, ne va pas aller chercher bien loin l’inspiration.
En 1980, il présente au Salon de Turin le concept Lancia Médusa, un exercice de style qui servira de base à la future DeLorean. Fin 1981, une maquette en bois à l’échelle 1 est finalisée et présentée à John Z. DeLorean. Malheureusement, la situation financière de DMC est catastrophique. La société n’a pas les moyens de payer le travail effectué, et Giugiaro repart avec sa maquette qui servira de base au concept Lamborghini Marco Polo présenté au salon de Bologne 1982. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !
De la disgrâce à la relaxe
John DeLorean, en ce milieu d’année 1982, est aux abois. Il lui faut trouver impérativement entre 20 et 30 millions de dollars pour espérer sauver son entreprise de la faillite. Chaque voiture produite coûte plus qu’elle ne rapporte, tandis que les éventuelles aides dépendent de nouveaux investisseurs qu’il n’arrive plus à capter. La situation dramatique va expliquer comment DeLorean va se retrouver piégé. Le 25 juin, il est contacté par un certain James Hoffman (sans rapport a priori avec le célèbre importateur automobile Max Hoffman) qui lui promet pouvoir trouver des capitaux rapidement. Rendez-vous est pris pour le 11 juillet et Hoffman expose le projet : 15 millions de capital immédiat en échange d’une rétro-commission de 10 % (1,5 millions tout de même). Tout au long de l’été, les conversations téléphoniques entre les deux hommes sont nombreuses mais DeLorean semble hésiter. En septembre, nouvelle rencontre et cette fois-ci Hoffman propose 30 millions de la part d’investisseurs colombiens contre 1,8 millions de commission. Cela commence à sentir vraiment mauvais et DeLorean contacte son avocat pour évoquer l’affaire. Ce dernier conseille à John de cesser tout contact avec Hoffman, mais de sombres menaces sur sa fille font hésiter l’homme d’affaires.
Une réunion est prévue le 19 octobre : DeLorean prend soin d’expliquer toute l’affaire, ses doutes et les menaces dont il fait l’objet dans une lettre confiée à son avocat. Une fois sur place, DeLorean est décidé à jouer le jeu, pour voir où cela allait mener d’une part, et pour éviter toute représaille sur sa fille d’autre part. Hoffman, accompagné d’un autre homme, montre alors une valise de cocaïne tandis qu’un troisième homme entre dans la pièce, insigne du FBI à la main. John DeLorean est arrêté et accusé de trafic de cocaïne. Hoffman, vrai trafiquant de drogue, s’était en fait servi de lui pour sauver sa peau auprès de la justice américaine en offrant une affaire retentissante au FBI. Cette affaire précipite la faillite de DMC qui poursuit quelque temps la fabrication de 918 véhicules en 1983 avant de fermer définitivement ses portes.
John DeLorean, lui, a droit à un procès en bonne et due forme à partir du 19 avril 1984. Le verdict sera rendu le 16 août, déclarant non coupable notre infortuné héros, l’estimant victime d’une manipulation gouvernementale manifeste. John échappait donc à la prison, mais de peu, notamment grâce aux erreurs manifestes du FBI dans cette affaire et au témoignage grotesque de Hoffman. Des affaires judiciaires le poursuivront encore de nombreuses années, notamment pour des soupçons d’arnaques envers ses investisseurs (il sera acquitté en 1985) et pour des factures impayées à ses avocats (10 millions de dollars tout de même). Il échappa tout de même à la justice anglaise grâce au refus d’extradition des USA (voir ci-dessous). Il continuera à assurer la direction de LMC (voir plus haut) jusqu’en 1993. Durant les années 90, il espéra relancer DMC sous le nom de DMC2 et produisit même une montre appelée DeLorean Time, jouant habilement avec l’aura du film Retour vers le Futur. Il meurt en 2005 à l’âge de 80 ans.
Lotus dans la tourmente
La fin tragique de DeLorean ne touche pas que John lui-même. Habitué des entourloupes financières pour arriver à ses fins (et s’enrichir au passage), il entraînera avec lui deux figures de l’automobile anglaise et non des moindres : Colin Chapman himself et son bras droit, Fred Bushell. On l’a vu, John Z. DeLorean s’est tourné vers Lotus pour réaliser le châssis de la DMC-12 sur la base de celui de l’Esprit (même si l’arrière sera adapté pour recevoir le PRV en lieu et place du 4 cylindres de la Lotus). Pour cela, DMC va débourser en toute transparence la somme de 23 millions de dollars. Pourtant, les enquêteurs britanniques soupçonnent une utilisation frauduleuse d’une partie des subventions reçues par DMC lors de son installation en Irlande du Nord et constatent un virement de 17,65 millions de dollars vers une société enregistrée au Panama et domiciliée en Suisse : General Product Development (GPD). Remontant la piste, ils découvrent alors que cette société occulte aurait versé un peu moins de la moitié à Colin Chapman, 500 000 dollars à Bushell, et l’autre moitié à John Z. DeLorean lui-même. Selon le Belfast Telegraph, la société aurait été créée par Chapman. Ce dernier décède fin 1982 et ne sera donc pas poursuivi. Pourtant, l’enquête continue et accélère en 1989. Entretemps, John Z. DeLorean est retourné aux USA, qui refusent l’extradition. Reste le pauvre Fred Bushell, qui paiera les pots cassés malgré sa moindre implication (du moins financière). Fidèle à la mémoire de Colin Chapman, il refusera de charger qui que ce soit, payant au prix fort sa loyauté. Il écopera de 3 ans de prison en 1992.
Icône de la Pop culture : Retour vers le Futur
On l’a vu, la DeLorean DMC-12, malgré son look futuriste et ses portes papillon, n’était pas la meilleure sportive de la décennie. Malgré les bonnes fées ItalDesign et Lotus, et l’aura de son créateur, la DeLorean n’avait rien d’une sportscar même pour les américains. La faute certes à sa finition bâclée, mais aussi et surtout à son moteur. A cette époque, le PRV n’avait pas résolu ses problèmes de consommation et de performance, et la version Volvo de 130 chevaux restait bien poussive. Pourtant, la DeLorean est devenue une icône de la Pop Culture…. mais trop tard.
C’est justement le look futuriste qui séduira Robert Zemeckis et Steven Spielberg pour incarner la machine à voyager dans le temps de leur trilogie, Retour vers le Futur. En 1985, la firme a déjà fermé ses portes et le scandale a déjà éclaté. Pourtant, il faut l’avouer : la voiture a de la gueule et offre bien plus de possibilités scénaristiques que le Frigidaire initialement évoqué pour servir de time machine. Comme dit le Doc : “quitte à voyager dans le temps au volant d’une voiture, autant en choisir une qui ait de la gueule”. De toute façon, cette DMC-12 un peu particulière dotée d’un convecteur temporelle fonctionne certes encore avec son PRV anémique, mais aussi au plutonium pour traverser le temps. Finalement, les 130 chevaux du bourrin sont parfaitement adaptés au film, laissant tout le suspens nécessaire à l’atteinte des 88 mph (141 km/h) permettant le voyage dans le temps (sachant qu’elle demande officiellement 9,5 secondes pour atteindre les 100 km/h).
Le succès de la trilogie rendra la DMC-12 iconique, quand celle qui lui ressemble le plus, la Bricklin SV-1, n’est aujourd’hui connue que des spécialistes un peu fous. Les plus âgées rêvent de s’en acheter une, les plus jeunes de jouer avec sa version Playmobil, et n’importe quel passant saura la nommer en la voyant passer dans la rue. Malheureusement pour John Z. DeLorean, cette gloire est arrivée un peu tard.
Aller plus loin
Je vous conseille cet excellent article de Cuberside Classics : La BMW Turbo et la naissance de la DeLorean
Voici aussi la bande annonce de la série Netflix dédiée à John Z. DeLorean
Un commentaire
Merci Paul.
Un point que je vois rarement évoqué, et que j’ai récemment découvert : pour satisfaire à la réglementation US de l’époque sur le positionnement des phares, la DMC-12 s’est retrouvée avec un avant bien plus hait que prévu et un grand espace entre roues et ailes avant. Ce qui ruine bien son allure.