L’Europe, auréolée d’une suprématie technologique, croyait conquérir la Chine, nouvel eldorado de l’automobile pour des constructeurs à l’orgueil boursouflé. Après 25 années à produire dans l’Empire du Milieu à coup de co-entreprises, le retour de bâton est violent : cette apparente soumission (en réalité une habile façon d’apprendre tout en restant aux commandes) cachait une autre réalité. La marche forcée vers l’électrique réduisant les écarts, les constructeurs chinois sont aujourd’hui tout puissants, bénéficiant de coûts de production bien plus bas, d’un marché intérieur gigantesque et d’une ambition débordante. Si la majeure partie d’entre eux privilégie la croissance interne, Geely préfère jouer sur deux tableaux : ses propres marques, évidemment, mais aussi des têtes de gondole européennes, et pas des moindres. Après Volvo, tombée dans son escarcelle en 2010, puis Lotus en 2017, c’est au tour d’Aston Martin de plier, laissant entrer le loup dans la bergerie.
Un indice chez vous : Volvo
La négociation en 2009 puis le rachat en 2010 de la marque Volvo aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : Geely n’était pas là pour rigoler. D’autant que, contre toute attente, Volvo présentait un SUV réussi, point de départ du renouvellement de sa gamme en 2014 : le XC90. Soutenant le management en place et sécurisant les investissements, Geely joue à merveille le rôle d’actionnaire bienveillant tout en aspirant le savoir-faire en prévision du futur. De l’ambition ? Geely ne manque pas, donnant les moyens à Volvo de racheter Polestar Performance en 2015 pour créer de toutes pièces une marque premium orientée vers l’électrique. Le rachat en 2013 de London Taxi International relève alors de l’anecdotique mais aurait dû attirer l’œil de l’observateur : 3 rachats en 5 ans tout de même, et ce n’était qu’un début.
Une nouvelle marque : Lynk&Co
En 2016, Geely profitait de la technologie développée avec Volvo pour créer une nouvelle marque, autant destinée à la Chine qu’au reste du monde : Lynk&Co. Plate-forme Volvo, production pour partie dans les usines néerlandaises du suédois (issues du rachat de DAF entre 1972 et 1975), design innovant, tout comme son système de distribution, la nouvelle marque (détenue à 70 % par Geely et à 30 % par Volvo) se crée son marché : à la clé, plus de 220 000 ventes en 2021.
Lotus dans la besace
Pendant que Geely affine son offre en Chine, sa conquête internationale se veut différente, vampirisant les marques et le savoir-faire avec brio (avec qui ?). En 2017, Geely fait coup double en s’offrant 49,9 % du malaisien Proton et en faisant main basse sur les 51 % que ce dernier détenait dans Lotus. Un coup de maître ! Geely allait pouvoir appliquer sa méthode à la petite marque anglaise : après l’Emira (dernière thermique de Lotus), l’Eviga (supercar électrique), place à l’Eletre, un SUV électrique dans l’air du temps, mais bien éloigné des concepts de Colin Chapman ! Enfin, pour boucler la boucle, l’ogre chinois s’offre une participation de 8,2 % dans Volvo AB (le producteur de poids-lourds). Personne pour s’en émouvoir en France, alors que le groupe Arquus, producteur de nombreux véhicules pour notre armée, fait partie de l’ensemble.
Courtisée par les plus grand
Un an plus tard, la razzia continue mais en Allemagne cette fois-ci. Geely s’invite alors au capital de Daimler AG, devenant le premier actionnaire avec 9,7 % : une façon d’étendre un peu plus son influence sur le vieux continent. Une influence qui s’agrandit encore en 2021 avec la signature d’un partenariat entre Renault et Geely pour la diffusion en Chine de ses voitures dotées d’un losange. Un aveu d’impuissance pour le constructeur français, et un satisfecit pour Geely désormais courtisée par les plus grands.
Au tour d’Aston Martin
Fin 2022, Geely partait à l’assaut d’Aston Martin, l’un des derniers constructeurs de supercar encore indépendants. Avec 7 % du capital, le groupe chinois n’était pas rassasié puisqu’il annonce aujourd’hui monter à 17 %, tout en promettant ne pas monter au-delà de 22 % : les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien les croire. Qui imagine réellement Geely en rester là ?
Relire Sun Tzu
Force est de constater que la stratégie du constructeur est en même temps intelligente et ambitieuse. On peut regretter de voir les bijoux de famille européens passer sous pavillon chinois les uns après les autres mais à qui la faute ? Tout d’abord à l’incurie des constructeurs européens eux-mêmes, sans doute trop sûrs d’eux, voire suffisants; et incapables de voir les signes annonciateurs du désastre. La faute aussi à Bruxelles et aux États de l’UE, pressés par l’urgence écologique appliquée uniquement en Europe, décidant unilatéralement le passage à l’électricité : une décision qui réduit les écarts technologiques à l’heure où les chinois savent désormais faire de jolies voitures. MG, Aiways, Great Wall Motors, BYD, Leap Motors, Seres proposent désormais sur le Vieux Continent des voitures capables de tailler des croupières aux acteurs historiques, tandis que Tesla de l’autre côté ne cesse de grappiller des parts de marché.
Déjà, en 2014, PSA n’avait dû son salut qu’à l’arrivée opportune de Dongfeng dans son capital (depuis dilué par la méga fusion Stellantis). Renault réfléchit à trouver un partenaire (chinois ?) pour la partie thermique de son activité automobile (un coup à perdre tout avantage, quelle que soit la motorisation). Combien de temps les vieilles marques resteront-elles ? Nul ne le sait, mais Geely est emblématique du revirement complet de situation entre les années 90 et aujourd’hui (lire aussi : Citroën en Chine). Aston Martin, pour l’instant, se glorifie de trouver des capitaux pour poursuivre sereinement son activité mais gageons que dans quelques années, la vénérable marque de Gaydon finira intégrée, aux côtés de Volvo, Lotus, Polestar ou Lynk&Co dans un ensemble très cohérent signé Geely. Ironie du sort : l’annonce arrive en plein teasing de la future DB12 !
On devrait plus souvent lire Sun Tzu !