Elle avait tout pour elle malgré des ambitions modestes : une base technique reconnue, une ligne parfaite pour son époque signée par un grand nom du design, un marché friand de ce type de voitures (surtout outre-Atlantique). Pourtant, l’Italia 2000 ne sortira jamais du lot. La faute à un contrat à l’italienne (la parole donnée) et au lancement d’une TR4 sexy dessinée par le même homme pour 40 % moins cher. Résultat, l’Italia 2000 était une rareté à l’époque, et l’est encore plus aujourd’hui. Voici son histoire (toudoum).
Une TR3 habillée en italienne
Salvatore Ruffino est un homme d’affaires italien. Ses affaires, il les fait dans l’automobile en distribuant, via sa société CESAC à Naples, la marque anglaise Triumph (mais aussi Standard). Cette dernière produit depuis 1955 un petit roadster du nom de TR3 qui ravit la clientèle mais dont le style chagrine un peu tout italien qui se respecte. La base technique est bonne avec un 4 cylindres en ligne de 1 991 cc pour 91 chevaux (TR3) voire 100 chevaux (TR3A à partir de 1957). Son châssis est classique mais robuste et plaisant à mener, issu de la TR2. Ruffino est comme tout homme de cette époque tâtant de l’automobile : il a envie de son propre modèle et est persuadé qu’il suffirait de presque rien pour que la TR3 gagne en sex-appeal en troquant son statut de roadster pour celui, plus élégant, de coupé. En devenant une GT, la TR3 pourrait séduire au-delà de l’océan une clientèle américaine déjà convertie aux petites anglaises mais qui n’a pas forcément les moyens de s’offrir les italiennes de l’époque, Ferrari ou Maserati.
Michelotti au dessin, Vignale à la carrosserie
Salvatore Ruffino pense donc avoir trouvé la martingale en mariant des solutions techniques éprouvées avec un dessin italien forcément sublime. Pour réaliser cette œuvre forcément géniale, il va approcher dans un premier temps Zagato. Pourtant, les propositions du carrossier à la mode ne satisfont pas Ruffino qui finit par se tourner vers Giovanni Michelotti. Ce dernier remporte le morceau grâce à un premier dessin et à la complicité d’Alfredo Vignale qui apporte, lui, la compétence en carrosserie et s’engage à accompagner l’ambitieux homme d’affaires. Le projet est tout à fait cohérent, et Ruffino garde les pieds sur terre : il ambitionne de produire 1 000 exemplaire de son Italia, sous la marque Triumph. Il obtient du constructeur anglais la livraison des châssis et de la mécanique, ainsi que le droit d’utiliser le nom Triumph. Le réseau américain doit par ailleurs distribuer la voiture sur son marché cible. Tout semble bien ficelé. Pourtant, il manque un élément essentiel au bon déroulement de l’opération : un contrat en bonne et due forme ! Cela ne semble pas nécessaire tant les relations sont bonnes : erreur de débutant pourtant.
Une brillante GT
Le premier prototype est présenté au Salon de Turin 1958. La silhouette est intéressante, avec son avant effilé et ses optiques sous globes. Pourtant, l’ensemble paraît déséquilibré, avec un pavillon trop haut et une poupe trop basse. Michelotti se remet au travail pour livrer une deuxième vision de la GT italo-britannique. Ce deuxième prototype, produit début 1959, s’avère beaucoup plus proche de la version définitive. Si l’arrière est bien rehaussé, l’avant conserve son capot plongeant (mais récupère des phares ronds). Au Salon de Turin 1959, c’est une version finalisée qui fait son apparition sur le stand Michelotti, dotée d’une calandre plus imposante qui équilibre mieux l’ensemble et lui donne des airs de petite Ferrari. La production peut enfin commencer.
De grandes espérances
Les accords prévus avec Standard-Triumph sont respectés, et les châssis et moteurs expédiés en Italie. Les 13 premiers exemplaires sont assemblés directement dans les ateliers de Vignale à Turin. Par la suite, un atelier est loué directement par Ruffino pour la production, toujours supervisée par Vignale. Tout semble aller pour le mieux en cette année 1960. Certes, la Triumph Italia 2000 est chère par rapport à la TR3, mais sa ligne fait oublier bien des choses et l’objectif modéré de 1 000 exemplaires semble pouvoir être atteint. D’autant qu’on espère, chez Ruffino, que la promesse que chaque concessionnaire Triumph (720 au total) achète un modèle soit tenu !
Lâché par Leyland
Hélas, c’est là qu’est l’os, la firme anglaise est au plus mal financièrement et ne doit sa survie qu’à son rachat, en 1961, par Leyland Motor Corporation. Le nouveau propriétaire découvre dans la corbeille de la mariée le projet “Zest” qui n’est autre que la TR4, dessinée elle-aussi par Michelotti et dont le lancement est imminent. Il est désormais hors de question de soutenir l’Italia 2000 qui pourrait concurrencer la nouvelle venue. Or, sans contrat, pas d’engagement pour Leyland qui rompt tous les approvisionnements en châssis, moteurs et éléments mécaniques. Salvatore Ruffino dispose encore de quelques châssis qui lui permettent de prolonger la production du modèle, sous le nom de Ruffino Italia 2000, jusqu’en 1962, avant de jeter définitivement l’éponge. Ironie de l’histoire : lorsque Ruffino cesse d’importer Standard-Triumph peu de temps après, son contrat (cette fois-ci écrit et signé) oblige la marque anglaise à racheter son stock et les pièces détachées, dont 30 exemplaires d’Italia. Ces derniers seront expédiés dans les locaux de Triumph à Manhattan en 1964, avec l’espoir de les vendre au compte-goutte : certaines seront vendues jusqu’en 1966.
Au total, seuls 329 exemplaires (dont les 2 prototypes) ont été vendus entre 1960 et 1962, faisant de cette Triumph italienne une licorne et l’on ne connaît aujourd’hui que 125 survivantes. Autant dire qu’il faudra s’armer de patience pour s’offrir cette jolie GT.
Aller plus loin :
Je vous conseille la lecture de cet excellent site dédié à l’Italia 2000