Si le fast-food a pris ses marques en France dès les années 60, c’est dans les années 80 qu’il a véritablement explosé grâce à l’américain McDonald’s, au belge Quick, au français Free Time et à une myriade de petites marques parfois aussi rapidement créées que disparues. Parmi le trio de tête, c’est à Free Time que revient la palme du cool parmi les jeunes amateurs de junk food mais cette subtile distinction ne suffit pas pour survivre dans l’univers impitoyable du burger. Malgré Chatiliez, Salengro, l’humour noir et le Long Burger, la marque décalée finit par se faire manger puis digérer, laissant de nombreux amateurs nostalgiques, encore aujourd’hui. Retour sur l’histoire de Free Time, le challenger du burger.
Big Fernand fait le buzz avec Free Time
Retour en 2016. Cette année-là, l’ancien bar-tabac Le Brazza ferme ses portes, après des dizaines d’années d’exploitation boulevard du Montparnasse. Adieu juke-box individuels (si si !), flippers et clopes à 10 balles (des francs, pas des euros) qui auront fait la joie des collégiens et lycéens du collège Stanislas tout proche. Cependant, malgré la peine de voir un endroit cher du quartier, l’impensable se produit : l’ancien établissement voit ses vitrines couvertes d’un message annonçant la réouverture prochaine d’un Free Time, à deux pas de l’ancien fermé en 1992 et remplacé par un Quick. Sur les réseaux, les nostalgiques s’emballent, avant que la supercherie ne soit révélée : il ne s’agissait que d’un coup de pub pour les restaurants de burger Big Fernand, reprenant l’emplacement (juste à côté, le Brazza renaîtra sous la seule forme d’un tabac).
Une marque phare des années 80
L’engouement et l’espoir suscités par le marketing potache de Big Fernand montre à quel point Free Time avait marqué les esprits dans les années 80, particulièrement pour les parisiens (l’essentiel de ses points de vente). La marque avait su intelligemment jouer un entre deux : s’il s’agissait de restaurants au concept proche des McDonald’s et autres de Quick, avec des cheeseburgers et son Big Free Time (concurrent du Big Mac), ils proposaient aussi des blancs de poulet (façon KFC) et le fameux Long Burger dont le bun reprenait la forme d’une baguette et ré-interprétant le sandwich pour le bonheur des amateurs. Pour accompagner sa montée en puissance et doper sa notoriété, Free Time n’hésite pas à s’offrir des campagnes de publicités décalées, voire osées (“Plus c’est long, plus c’est bon”). Dans les restaurants parisiens agrémentés de nombreuses fleurs et plantes, la jeunesse dorée se presse et se retrouve avant d’aller acheter ses premiers CD (on disait Laser-Disc parfois) chez Clémentine, à la FNAC ou chez Crocodisc. La disparition de Free Time en 1992 laissera donc de nombreux orphelins obligés de se satisfaire des Quick qui les remplacent du jour au lendemain, des McDo toujours plus nombreux, et des 5 derniers restaurants Burger King (jusqu’en 1997 seulement).
Aux origines était Jacques Borel
Aussi étonnant que cela puisse paraître, on trouve les origines de Free Time dans les années 60. Le 31 mai, le très entreprenant Jacques Borel ouvre le premier fast-food de France, boulevard des Italiens. Il porte le nom de Wimpy, une franchise britannique qui porte le nom américain du cousin de Donald (Gontran en français), grand amateur de hamburgers. Durant les années 60 et jusqu’au milieu des années 70, le génial Borel va développer son affaire (jusqu’à 20 restaurants en 1975) avant de se fâcher avec les anglais et de quitter la franchise. Il conserve cependant au sein du groupe Jacques Borel International huit restaurants qui prennent alors le nom de What a Burger (une habile utilisation du nom d’un grand du burger aux USA, Whataburger, sans espaces).
McDonald’s en embuscade et Quick conquérant
Depuis 1972, un autre aventurier du burger, Raymond Dayan, décroche la franchise pour une bouchée de pain et ouvre le premier McDo à Créteil. Devant le succès de Dayan, McDonald’s découvre le potentiel du marché français et tente de racheter la franchise, sans succès. Un long procès s’ensuit, aboutissant à la défaite de Dayan qui transforme ses 14 restaurants en O’Kitch. Sans attendre le résultat, McDonald’s avait ouvert son premier McDo concurrent en 1979 à Strasbourg. En 1980, c’est le belge Quick, allié au distributeur français Casino, qui s’implante en France. La concurrence s’annonce rude.
Free Time, fruit de l’alliance Accor / Eurocom-Havas
En 1981, le groupe Jacques Borel International (Sofitel, Courtepaille, Restauroute, Ticket Restaurant) est racheté par le groupe Novotel, tandis que Jacques Borel est écarté. L’état major du nouveau groupe, renommé Accor en 1982, voit les What a Burger extrêmement bien placés à Paris comme l’occasion de se développer sur ce marché. Début 1983, Accor rachète les 7 restaurants Chicken Shop détenus par Eurocom (la branche publicitaire de Havas à l’époque, qui par fusion deviendra plus tard Euro-RSCG puis à nouveau Havas). Les bases de Free Time sont jetées. A la fin de l’année, Free Time (dont Accor et Eurocom sont actionnaires) s’associe intelligemment avec la Socopa (SOciété de COnditionnement de Produits Agricoles, spécialisée dans la transformation de viandes) pour assurer son approvisionnement et la qualité de ses produits.
Marketing et publicités décalés
Peu de fast-foods peuvent se prévaloir d’un si beau faire part, alliance d’un grand groupe de la restauration et de l’hôtellerie, d’une agence de publicité et d’un boucher industriel ? La filiale d’Eurocom, Ecom / Univas, prend alors en charge la communication de la nouvelle marque. Elle vient d’inventer le slogan “t’as le ticket chic, t’as le ticket choc” pour la RATP et entend bien booster la nouvelle marque de burgers en France grâce à des publicités décalées, humoristiques et parfois border-line. En 1985, elle fait appel au réalisateur Etienne Chatiliez (qui deviendra célèbre avec La vie est un long fleuve tranquille en 1988) pour imaginer une publicité diffusée dans les cinémas et vantant le Long Burger. Avec Daniel Prévost en voix off, et Christophe Salengro (qui deviendra président de Groland, entre autres) en acteur principal, la pub fait un carton et devient vite culte. En 1988, la chaîne compte 46 restaurants.
Dans le giron de Quick
Comment expliquer alors la disparition de Free Time malgré de gros actionnaires ? Numéro 2 du marché au milieu des années 80 derrière Quick, particulièrement bien implanté à Paris et dans quelques villes de provinces, Free Time n’a pas compris assez rapidement que les grandes manœuvres étaient lancées. Parti bon dernier, McDonald’s compte déjà 64 restaurants en 1988 et accélère en privilégiant la province. Essaimant les restaurants à la vitesse de l’éclair via des franchisés, la marque américaine a alors les moyens de passer à l’offensive dans la capitale où elle ne compte que quelques unités. Chez Accor, on sent bien qu’il faudra des investissements colossaux pour suivre le rythme alors même que sa politique se concentre sur l’hôtellerie (et en particulier sur le développement depuis 1985 de ses fameux Formule 1, sorte de fast-food de la nuitée). Accor préfère s’adosser à un partenaire plus puissant. France Quick, la société française détenant la franchise du belge Quick, a déjà racheté en 1985 les fameux O’Kitch de Raymond Dayan, et récupère les 46 restaurants de Free Time ainsi qu’un nouvel actionnaire, Accor, qui prend 31 % du nouvel ensemble. France Quick est alors numéro un, talonné par McDonald’s, mais décide de maintenir la marque Free Time qu’elle juge complémentaire. Petit à petit, Accor se désengage.
Sacrifié en 1992
En 1992, c’est au tour de Casino de quitter le navire. La fusion avec Rallye impose de se recentrer sur la distribution en ne gardant que les cafétérias : adieu Hippopotamus (vendu au Groupe Flo) et réduction de voilure chez Quick. France Quick fusionne avec la maison mère belge pour devenir Quick Restaurants, faisant passer Casino à 21,5 % du capital. Avec cette réorganisation et face à la montée en puissance toujours plus grande de McDo (de 103 restaurants en 1990 à 306 en 1995), les Free Time deviennent tous des Quick portant le nombre à 211 restaurants. C’en était fini des espoirs d’un fast-food à la française ! Pour les parisiens, la possibilité d’un burger décalé réside, à l’époque, dans les 5 restaurants Burger King de la capitale. Las, ils tomberont eux aussi dans l’escarcelle de Quick en 1997.
Un ex-équipier Free Time propriétaire de Burger King et Quick
Pour finir, une anecdote croustillante. Au début des années 80, un jeune auvergnat aux dents longues fait ses armes chez Free Time comme équipier et découvre les fast-foods : Olivier Bertrand. L’homme n’a pas le bac, mais la niaque : en 1994, il ouvre le Chesterfield Café, première pierre de ce qui deviendra plus tard le Groupe Bertrand. Brasserie Lipp (Saint Germain des Prés), La Gare (La Muette), Angélina (Rivoli) tombent dans son escarcelle comme de nombreux autres cafés ou restaurants. En 2013, Olivier Bertrand empoche la franchise Burger King pour la France et relance la marque. En 2015, c’est au tour de Quick de se faire avaler, faisant du petit équipier de Free Time le n°2 incontesté du secteur derrière McDonald’s.