Alors que le jeune État d’Israël doit lutter pour sa survie dès les premiers jours de son indépendance, en mai 1948, son Armée de l’Air n’est qu’embryonnaire. Face à la menace, cette dernière commande l’un des rares avions rapidement disponibles et sans contrainte diplomatique : l’Avia S199 de confection tchécoslovaque. Ironie de l’histoire : cet avion est une version dérivée de l’emblématique Messerschmitt BF-109 G nazi.
Une force aérienne créée dans l’urgence
Dès avril 1948, alors que se profile la fin du mandat britannique et la proclamation de l’État d’Israël, les autorités sont sûres de deux choses : la guerre est proche et leur armée de l’air, la Sherout Ha Avir, n’est pas prête. L’embargo maintenu par les États-Unis sur les livraisons d’armes limite les possibilités et la branche aérienne doit se contenter d’une poignée d’avions, essentiellement de transport. Certes, elle a pu se procurer au début de l’année deux exemplaires du Mustang P-51, récupéré en contrebande des immenses stocks de la Seconde Guerre mondiale, mais cela ne suffira pas à combattre la menace annoncée des armée unifiées de la Ligue Arabe (Egypte, Syrie, Jordanie, Liban mais aussi Irak, Arabie Saoudite et Yémen du Nord). Il faut donc se tourner vers un fournisseur peu regardant qu’Israël trouvera en Europe.
L’Avia S199, un drôle de dérivé du Messerschmitt Bf-109 G
Durant la guerre, les puissantes industries tchécoslovaques, tombées dans le giron allemand, vont produire de nombreux armements pour le Reich, et en particulier des avions. Ainsi, Avia, filiale aéronautique du groupe Skoda, produit-elle 4 147 exemplaires du Messerschmitt Bf-109, le célèbre chasseur allemand et rival du Supermarine Spitfire. Une fois le conflit terminé, Avia tente alors de continuer la production tant pour équiper l’armée tchécoslovaque que pour l’export et faire rentrer des devises. Si les machines et les plans, ainsi qu’un certain nombre de pièces détachées, permettaient un redémarrage de la production, manquait tout de même une pièce maîtresse : le moteur. Le 12 cylindres en V inversé Daimler-Benz DB605 A1 équipant les Bf-109 G s’avérait rare en cet après-guerre. De toute façon sa dernière évolution équipant le G n’était pas réputé fiable. Les ingénieurs tchécoslovaques eurent donc recours à des moteurs Junkers Jumo 211F bien plus courant.
Des moteurs Jumo plus lourds et moins puissants
Bien que leur architecture soit proche du DB605 A1 (12 cylindres en V inversé), les Jumo 211F équipant jusqu’alors des bombardiers Heinkel 111 étaient bien plus lourd tout en offrant moins de puissance (175 chevaux de moins). Pour adapter ce moteur à l’Avia S199, il fallut modifier tout l’avant de l’avion. De même, une nouvelle hélice adaptée au couple du moteur fut installée. Si de loin, le S199 ressemblait au Bf-109, de près il s’apparentait à un véritable bricolage. En outre, les 211F ne disposait pas de synchroniseur permettant le tir au travers des hélices. Dans l’absolu, l’Avia S199 restait une belle bête, dérivée d’un avion qui avait fait ses preuves et gardait un certain prestige. Dans la réalité, il s’avérait bien moins efficace que les versions allemandes. Moins puissant et plus lourd, il rendait 100 km/h en vitesse de pointe (590 au lieu de 690), montait moins haut (9 000 mètres contre 11 000) mais surtout, s’avérait très délicat à piloter. Avec un moteur plus lourd de 20 kg, le centre de gravité de l’avion n’était plus le même, rendant le décollage comme l’atterrissage très risqué. Enfin, la mitrailleuse était difficilement réglé sur le pas de l’hélice, risquant l’accident au moindre tir.
Racket tchécoslovaque
Cependant, l’Avia S199 avait un avantage : il était disponible, et rapidement en plus. Produit depuis 1947, il était facile d’en libérer quelques exemplaires et de les transférer en Palestine. C’est ainsi que les chefs de la division aérienne du nouvel État israélien doivent se résoudre à accepter les conditions tchécoslovaques pourtant prohibitives : près de 200 000 dollars par avion, quand un Mustang d’occasion peut se négocier à moins de 5 000. Un véritable racket qui n’empêche pas Israël de s’offrir 25 de ces nouveaux joujoux pourtant surnommé « mulets » par les tchèques eux-mêmes. Un premier contrat pour 10 appareils est ainsi signé le 29 avril 1948, rapidement suivi par un deuxième de 15 appareils.
A la guerre comme à la guerre
Les avions sont d’abord démontés puis transportés par avion vers Israël où ils doivent être remontés. La division aérienne de l’armée devra se contenter de 24 appareils, l’un d’eux étant étant gravement abîmé lors du crash du Douglas C-54 Skymaster le transportant. Il servira de banque d’organe. Les pilotes doivent faire avec ces drôles d’oiseaux, eux qui, pour la plupart étrangers, étaient jusqu’alors plus habitués aux montures occidentales. Ils s’aperçoivent rapidement que ces faux Bf-109 sont de bien piètres chasseurs. Outre leurs défauts déjà cités, ils souffrent d’une qualité de fabrication médiocre, de cockpits peu adaptés et d’un système de freinage aléatoire. Affectés au Squadron 101, ils doivent malgré tout s’acquitter de leur tâche.
Quelques victoires pour le mulet
Dès le 29 mai 1948, 5 exemplaires du S199 s’attaquent à une colonne égyptienne. Certes, un avion est abattu mais l’ennemi part en déroute, surpris de voir les Israéliens disposer d’une aviation, fût-elle de bric et de broc. Quelques jours plus tard, un Avia descend deux C-47 Dakota égyptiens transformés en bombardier, et met en fuite l’escorte de Spitfire. Sans doute faut-il saluer le courage, l’audace et l’habileté du pilote, Moddi Allon, plus que les qualités du Mezec (mulet en tchèque) mais tout est bon à prendre dans ce début de guerre difficile. Les Avia S199 souffriront malgré tout durant cette première guerre au point de ne plus être qu’une poignée à la fin de la guerre. Une seule autre victoire aérienne lui est attribué, le 7 juin 1948, contre un Spitfire. Petit à petit, ils seront remplacés par Supermarin Spitfire justement, racheté soit en Tchécoslovaquie (encore), soit en Italie.
Voir des dérivés de Messerschmitt Bf-109 défendre le ciel d’Israël a du sembler bien ironique aux acteurs de cette première guerre israélo-arabe tant ces derniers avaient représenté la puissance de l’Allemagne nazie, mais à la guerre comme à la guerre et il semblait difficile de faire la fine bouche. Une fois l’armistice conclue, la Heyl Ha Avir se tournera vers la France pour lui acheter ses Mosquitos, puis des MD-450 Ouragan en attendant la livraison de Mystère IV.