Avec la 203, Peugeot avait intelligemment relancé la machine malgré l’occupation, la résistance, et le pillage par Porsche. Concentrant tous ses efforts sur un seul segment, le plus rentable, la firme sochalienne avait pris la bonne direction. Pourtant, au début des années 50, il fallait penser à l’après 203. Plutôt que d’inaugurer une nouvelle série en X04, Peugeot préféra la continuité avec une 403 qui montait en gamme (8 CV contre 7 CV, d’où ce changement de centaine) tout en restant dans la lignée de la 203 fondatrice : une berline de milieu de gamme. Grâce à une ligne plus italienne (Pinin Farina pas encore Pininfarina) mais toujours consensuelle, et s’appuyant sur des acquis techniques solides (fiabilité, coût de revient), la nouvelle 403 était l’antithèse de sa meilleure ennemie, la Citroën ID/DS.
Production (1955-1966) : 1 214 126 exemplaires (Sochaux, Argentine, Australie)
Dont : 34 928 Familiales, 112 601 Commerciales, 190 483 utilitaires (Fourgonnettes, camionnettes bâchées ou plateau et ambulances) et 2 060 cabriolets.
Une discrète montée en gamme
La 203 nous paraît bien banale et plutôt laborieuse, mais elle constituait un coup de génie à l’époque : en se concentrant sur un seul modèle, de milieu de gamme, rentable et fiable, Peugeot s’offrait les moyens d’une diversification future, lente mais pensée. Dès le début des années 50, l’état-major du lion envisage la succession (passation de pouvoir serait le terme le plus juste) avec une idée intelligente bien que très conservatrice : renouveler plutôt que remplacer. Ainsi, la 403 devait élargir vers le haut la clientèle, privilégiant une puissance de 8 CV fiscaux (la vignette arrivant en 1956, cette fiscalité avait son importance) et un dessin plus moderne, tout en laissant la place à une 203 devenue bon marché et ciblant une clientèle attachée aux 7 CV (une classification dépassée aujourd’hui, et remplacée par des segments de marché).
La force tranquille
L’excellente idée de la 403 pourrait se résumer en ce slogan anachronique très mitterrandien époque 1988 : la force tranquille. S’appuyant sur la base technique de la 203 châssis, trains roulants, et moteur (bien que réalésé en allongeant la course), la 403 offrait une ligne ponton intemporelle, une large malle arrière, une stature (12 cm de plus que sa devancière) et une respectabilité bien pensée. Bien que située dans une gamme inférieure à la Citroën DS (lancée la même année) ou même l’ID, elle en offrait pour son argent grâce à sa robustesse, sa fiabilité, sa polyvalence et son aspect relativement statutaire. Elle devint rapidement la voie de la raison, quand les amateurs de technologie se jetaient sur la DS, payant les frais d’un excès de nouveauté (heureusement compensé par l’ID 19). Alors que la 203 s’inspirait des lignes américaines de son époque, la 403 faisait appel à l’Italie et Battista Farina pour proposer un design certes consensuel, mais parfaitement dans l’air du temps et beaucoup plus européen. Dès lors, Peugeot ne cessera de mettre en concurrence ses propres designers et ceux du carrossier italien (du moins jusqu’à la fin du siècle).
Un positionnement parfaitement malin
On trouve avec la 403 ce qui sera pendant longtemps la marque de fabrique de Peugeot : trois volumes, élégance discrète, stabilité technique. La 505 sera l’aboutissement de cette lignée après la 404, la 504 et la 604. Présentée le 20 avril 1955 au Palais de Chaillot (le Trocadéro pour ceux qui ne visualisent pas), la voiture s’appuie sur du solide, la 203, dont elle conserve les caractéristiques : propulsion, essieu arrière rigide, roues indépendantes, freins hydrauliques à tambour notamment. Son moteur dérive lui aussi de son aînée : passant à 1 468 cc, il propose 58 chevaux DIN, un couple supérieur, et une boîte de vitesses manuelle à 4 rapports (le dernier, surmultiplié, permet d’abaisser la consommation à vitesse constante). Le modèle présenté en ce printemps est un modèle Luxe, à toit ouvrant, imprimant à tous la montée en gamme par rapport à la 203. A cette époque, on accompagnait le client dans la promotion sociale : la 403 était donc plus luxueuse (enfin, pour les critères de l’époque), plus puissante (mécaniquement et fiscalement) et plus jolie. Cependant, hors de question d’abandonner la 203 qui permettait alors à Peugeot de continuer à offrir une entrée de gamme à une clientèle toujours plus nombreuse. En outre, l’outil industriel mis en place pour la 403 ne permettait pas de répondre tout de suite à la demande (nombreuse, quoiqu’on en pense) pour cette nouvelle automobile.
A l’époque, la 403 ne rencontrait pas vraiment de concurrence. Chez Renault, la Frégate était plus chère, pas plus logeable et déjà un peu surannée. Chez Citroën, on lançait la DS puis l’ID mais ces modèles touchaient une clientèle soit plus fortunée, soit attirée par la nouveauté technique, bien loin de celle de Peugeot, plus provinciale et mesurée. Chez Panhard, la Dyna Z lancée en 1954 était plus petite, plus pointue surtout bien plus fragile. Restait Simca qui proposait une Aronde puis une Ariane dans les mêmes zones de marché, mais plus exotiques aux yeux d’une clientèle traditionnelle. En clair, Peugeot s’offrait un boulevard certes moins spectaculaire, moins flamboyant, mais bien plus rentable.
Une gamme qui s’étoffe
En octobre 1955, au Salon de Paris, Peugeot ne joue pas l’esbroufe comme Citroën. Prudemment, la marque révèle sa 403 berline “classique” sans toit ouvrant. La vedette du salon vient de Javel, mais la 403 a des atouts que la DS n’a pas : les premiers clients de la Citroën en feront les frais. Pendant que les chevrons patinent au lancement, Peugeot s’installe tranquillement sur son marché, sans faire d’étincelles mais avec pragmatisme. En août 1956, et malgré l’échec de la 203, la firme franc-comtoise présente un premier dérivé : le cabriolet (voir encadré). En septembre, la Familiale (version break à 7 voire 8 places) et la Commerciale (dédiée aux représentants de commerce, mais pas seulement, avec seulement 5 places). En fin d’année, les versions utilitaires débarquent en force (fourgonnette tôlée, camionnette bâchée et plateau cabine). Comme à son habitude, Peugeot ratisse large avec son nouveau modèle.
Peugeot 403 Cabriolet
Production (1956-1961) : 2 050 exemplaires
Fidèle à son habitude, Peugeot décline sa gamme en une version cabriolet à partir de 1956 (l’échec flagrant du coupé 203 aura empêché les dirigeants de faire la même erreur deux fois). Élégant mais sans vraiment se démarquer de la berline, que ce soit en termes de style ou de motorisation, il est fabriqué de façon quasi-artisanale et coûte littéralement un bras : 1 370 000 francs contre 825 000 francs pour la berline Grand Luxe, au sommet de la gamme. Rapidement, la Renault Floride plus pimpante et beaucoup moins chère prend le pas sur la grande Peugeot qui n’a pas grand chose pour elle (à l’époque). Elle sera retirée du marché en 1961 pour être remplacée par une 404 bien plus convaincante.
Les dérivés 403
Dès 1957, les carrossiers français tentent de séduire soit Peugeot, soit une petite clientèle avide de singularité, avec des dérivés coupés de la 403. Ainsi, Darl’mat proposera un coach à la motorisation préparée qui restera unique. Le carrossier de Sens Pichon-Parat présentera au salon 1957 sa propre vision sans séduire : l’exemplaire sera par la suite détruit. Chapron, de son côté, réalisera un coupé pour Madame Peugeot. Il produira deux exemplaires supplémentaires pour des clients fortunés, légèrement différents. Mis à part ces trois là, la 203 n’inspirera pas grand monde et restera strictement de série.
Un Diesel pour seule innovation
Au fur et à mesure, la 403 évolue par petites touches, perdant son lion sur le capot pour des questions de sécurité, ou gagnant des clignotants intégrés en lieu et place des flèches old school. N’allez pas croire cependant que Peugeot restait sur ses acquis. Anticipant sur les besoins et tenant compte de l’instabilité des prix du pétrole depuis la crise de Suez de 1956, la marque n’hésite pas à proposer un moteur diesel sur sa 403 en 1959. Ce type de moteur était jusqu’alors réservé aux véhicules utilitaires lourds, nécessitant du couple et consommant beaucoup plus qu’un véhicule de tourisme. En proposant son Indenor 4 cylindres de 1 816 cc (pour seulement 48 chevaux), Peugeot devenait le premier constructeur français à proposer un moteur fonctionnant au gasoil à la clientèle : une stratégie payante sur le long terme (et permettant, sur le court terme, de gagner de nombreux contrats de taxi).
La Peugeot 403 aux USA
Jusqu’alors, Peugeot s’était concentré, avec la 203, sur le marché national et la demande sans cesse croissante, mais à la fin des années 50, le besoin en devise se fait sentir, tant pour le constructeur pour ses achats de matières premières que pour l’État qui pousse fortement les constructeurs à exporter. C’est ainsi qu’en avril 1958, Peugeot annonce au Salon de New York son intention de diffuser sa 403 aux Etats-Unis, le marché export le plus prometteur (et dont la devise, le dollar, fait la pluie et le beau-temps sur les marchés monétaires). Prudent, Peugeot s’associe à Renault et profite de son réseau de distribution, montée pour la Dauphine. Les relations cordiales entre les deux constructeurs permettent même de mieux se répartir les rôles : 4CV et Dauphine pour Renault, 403 pour Peugeot (laissant à quai la Frégate de toute façon trop vieille). De la même manière, le cabriolet au lion ne sera jamais diffusé aux USA (voir encadré plus bas) tandis que la Floride, devenue Caravelle, fera son apparition au catalogue un peu plus tard. Peugeot sera cependant bien plus prudent que Renault, n’envoyant aux Amériques que le juste nombre de modèles. S’appuyant sur ses qualités (robustesse, fiabilité), Peugeot proposera même des garanties supérieures à ce qu’il se pratiquait à l’époque, vendant ainsi en nombre suffisant ses 403 pour la satisfactions des quelques clients originaux qui achetaient à l’époque des Volvo Amazon ou des Volkswagen Cox. En 1959, près de 15 000 unités de la 203 furent vendues (contre 7 500 en 1958). Cependant, dès 1960, les ventes commencèrent à plonger, souffrant de la faible image des voitures françaises outre-Atlantique et des déboires de son partenaire Renault. Peugeot entreprit donc de réduire la voilure (rapatriant même en France des invendus) et de se constituer son propre réseau, particulièrement sur la côte Est, préparant son renouveau avec la 404 puis la 504 (et enfin la 505), mais cela, c’est une autre histoire.
De haut de gamme à bas de gamme
Le succès de la 403 est indéniable, et ce depuis son lancement. Pourtant, Peugeot a déjà anticipé et développé une nouvelle voiture, sur le même principe : la 404. Alors que la 203 s’éteint, la 403 prend sa place en bas de la gamme, laissant à la nouvelle lionne présentée en mai 1960 le statut de flagship. A cette occasion, la 403 reprend les attributs de la 203 en proposant une version 403-7 de 7 CV (avec le fameux 1 290 cc de 42 chevaux, qui passera par la suite à 54) à l’allure plus sobre (grille de calandre, pare-chocs simplifiés, équipements intérieurs indigents) et à la facture plus légère. En 1961, le cabriolet tire sa révérence après une carrière en demi-teinte tandis qu’en 1962, les versions familiales et commerciales cèdent leur place à des équivalents 404. Il en ira de même pour les utilitaires assez rapidement (seule la camionnette bâchée continuera sa carrière en Argentine, et ce jusqu’en 1973).
Le mystère Columbo
Si la 403 fut bien importée aux USA (voir encadré plus haut), ce ne fut pas le cas de la version cabriolet. Or, c’est cette dernière qui est restée dans la mémoire collective américaine grâce à Peter Falk et l’inspecteur Columbo. La seule chose dont on soit sûr, c’est que c’est l’acteur lui-même qui choisit la voiture du héros de la série. Selon les sources, l’histoire varie : voiture trouvée dans une casse, exposée chez un concessionnaire Peugeot de Californie, etc. Mais la plus belle légende veut que ce soit l’exemplaire de l’acteur français Roger Pierre qui tape dans l’œil de Peter Falk, une voiture échangée contre une Cadillac lors d’un voyage sur la côte Est. Lorsque la série débute en 1968 (mais plus encore quand la voiture apparaît pour la première fois en 1971), le modèle n’est plus construit. Il faudra donc faire preuve d’ingéniosité pour disposer de plusieurs véhicules : faute d’autres cabriolets disponibles aux USA et face aux difficultés d’en obtenir en Europe, des berlines encore présentes en nombres seront transformées pour les besoin de la production (environ 3 ou 4 exemplaires).
Millionnaire en fin de carrière
Finalement, la carrière de notre brave 403 s’arrête en 1966 après 1 214 126 exemplaires produits (presque deux fois plus que la 203). Certes, sa ligne n’était pas flamboyante et ses prestations s’avéraient honnêtes sans une once de sportivité, mais elle reflétait bien la philosophie de Peugeot à cette époque : en donner pour son argent (au consommateur) et rapporter de l’argent (au constructeur). En ce sens, la 403 a parfaitement rempli son job, contribuant à l’image d’un constructeur qui allait par la suite montrer son ambition, soit en élargissant sa gamme (204, 304, 104, 604), soit en rachetant ses concurrents (Citroën ou Simca) : il faut toujours se méfier d’un lion qui dort !
Aller plus loin :
Découvrez le superbe film dédié à la production de la Peugeot 403 En passant par la Franche-Comté :