Si dans l’industrie automobile la production sous licence ou la copie sont affaires courantes, on l’imagine moins dans l’industrie aéronautique militaire. Et pourtant ! Au début des années 70, l’Armée de l’Air israélienne (Hei’l Ha’Havir Ha’Israeli en hébreu ou IAF en anglais) était encore dotée d’aéronefs français, en particulier des Mirage III. Cependant, la Guerre des Six jours mit la France dans un certain embarras, se trouvant dans l’obligation morale et internationale d’appliquer un embargo sur les armes à partir de 1967. L’IAF se trouvant alors dans l’impossibilité de moderniser ou d’étoffer sa flotte, dut trouver des solutions détournées qui donneront naissance à deux avions : l’IAI Nesher puis l’IAI Kfir, étroitement dérivés des Mirage français.
Une prédilection française en Israël
Rappelons le contexte. Jusqu’à présent, l’IAF avait réussi à garder une supériorité aérienne grâce à des chasseurs d’origine française, quasiment tous en provenance de chez Marcel Dassault (excepté le Vautour de la SNCASO) : Mystère IIC, Mystère IV, Super-Mystère B2 mais surtout Mirage III. Ce dernier deviendra l’épine dorsale de l’IAF dans les années 60. Ainsi, à partir de 1962, 72 Mirage III CJ (version dédiée à Israël, dénuée de super-fusée mais au réservoir plus grand et dotée de canons de 30 mm pour l’attaque au sol), 5 Mirage III B de transformation opérationnelle et 2 Mirage III R (destinés à la reconnaissance) seront livrés à l’IAF, s’illustrant notamment lors de la guerre des 6 jours en 1967.
L’embargo contrarie l’Etat Hébreu
Parlons en, justement, de cette guerre des 6 jours : face aux menaces arabes (ou supposées telles), Israël attaque simultanément l’Egypte, la Syrie et la Jordanie le 5 juin 1967. Trois jours auparavant, soupçonnant l’imminence du conflit, le Général de Gaulle et son gouvernement décidaient un embargo préventif sur les armes (renforcé encore en 1969 par celles découlant de l’opération israélienne Gift au Liban). Or l’IAF avait d’autres projets avec la France. Satisfaite de ses Mirage III essentiellement dédiés à l’interception (malgré l’ajout des canons de 30 mm pour un semblant d’attaque au sol), elle avait mandaté la Société des Avions Marcel Dassault (SAMD) pour développer une version simplifiée destinée à l’attaque au sol. Il s’agissait en fait de faire évoluer le Mirage III CJ grâce à l’adoption d’un nouveau radar dédié à la nouvelle mission, un réservoir toujours plus volumineux et des points d’emport supplémentaires pour en faire une sorte de camion à bombe : électronique et radar simplifié, rusticité, long rayon d’action et grande capacité d’emport, tels étaient les enjeux du nouvel avion que Dassault appellera Mirage 5 (et non pas V).
Du Mirage 5 au Nesher
L’État Hébreu avait commandé 50 exemplaires de ce nouveau Mirage, mais aucun n’avait encore été livré lors de la mise en place de l’embargo en juin 1967 (les avions seront finalement livrés à l’Armée de l’Air française sous le nom de Mirage 5F et Israël remboursé de ses investissements en 1972 selon l’histoire officielle). L’IAF n’avait alors qu’un seul fournisseur (les USA remplaceront la France dans les années 70, livrant sans jamais faillir des F15 ou des F16 et désormais des F35I) et se trouvait fort dépourvue. Cependant, c’était aussi l’occasion de développer l’industrie aéronautique locale, et cette défaillance française pouvait s’avérer aussi une opportunité. De son côté, la France avait été un peu « obligée » par la situation mais, en sous-main, ne comptait pas totalement abandonner son allié israélien. Par un « heureux hasard », le Mossad (les services secrets israéliens) réussirent à se procurer la quasi-totalité des plans du Mirage 5 (un peu aidé par Dassault il faut le dire). De même, l’embargo était suffisamment alambiqué pour exclure l’exportation d’avions vers Israël, mais pas des pièces détachées. Malgré tout, IAI, l’entreprise chargée du développement et de l’assemblage du Nesher (Vautour en hébreu, tel était le nom de cette version « piratée ») dut apporter des modifications par rapport au Mirage promis à l’origine. Ainsi, la partie radar dut-elle être conçue localement, tandis que le siège éjectable provenait de chez Martin Baker. Pour ce qui concerne les moteurs, le Mossad se chargea de dégoter les plans de l’ATAR 9C (par l’intermédiaire d’une société suisse sous-traitante pour SNECMA et d’ingénieurs soudoyés).
L’affaire Rockwell-Dassault
L’histoire officielle vient de vous être contée. Mais la réalité pourrait être plus trouble. IAI à l’époque n’était qu’un embryon d’entreprise aéronautique, formés d’ingénieurs américains détachés par Rockwell, concepteur des fameux P-51 Mustang, F-85 Sabre ou du futur (à l’époque) B-1 Lancer. La rumeur tenace aux Etats-Unis est intéressante : l’ensemble des pièces détachées auraient été fabriquées en France par l’Aérospatiale, Reims Aviation ou Dassault, tandis que les moteurs auraient été montés en Belgique chez SABCA (récente filiale de Dassault) puis récupérées par les USA qui les auraient transportées directement en Israël par une Noria d’avions cargos C-141 Starlifter. Là-bas, les ingénieurs de chez Rockwell, aidés par Dassault, auraient assuré le bon remontage. IAI n’aurait, a priori, rien inventé sur cet avion, tout comme le Mossad ne se serait pas couvert de gloire à récupérer (« pour partie ») les plans du Mirage 5 ou de l’ATAR 9C. D’une certaine manière, peu importe, tant que l’histoire (les histoires dans ce cas là) est belle.
Succès militaires et exportation
L’IAF réceptionne ses premiers Nesher à partir de septembre 1972, ces derniers faisant des ravages durant la Guerre du Kippour en 1973, remportant de nombreuses victoires alors même qu’il n’était pas conçu pour l’interception et le combat rapproché. 71 exemplaires seront livrés entre 1972 et 1975 (dont 11 Nesher T biplaces), et une quinzaine furent perdus lors de la Guerre du Kippour. Retirés du services à partir de 1979, les Nesher connurent une nouvelle vie en Argentine sous le nom de Dagger (39 exemplaires dont certains seront modernisés sous le nom de Finger). 11 d’entre eux furent abattus par les britanniques lors de la Guerre des Malouines en 1982, mais ils réussirent à endommager 6 navires anglais.
Un avion nommé Kfir
Et le Kfir alors ? Nous y venons. Avec l’expérience Nesher, IAI avait vu la possibilité de développer plus encore ses compétences aéronautiques. Certes, l’avion, copie quasi-conforme du Mirage 5, avait fait ses preuves, mais les nouveaux liens établis avec les américains permettaient d’aller encore plus loin. A partir de la base du Nesher, l’entreprise israélienne et l’IAF décidèrent de faire encore évoluer la machine grâce à un moteur plus puissant issu du Phantom F4 américain : le General Electric J79 dont ils possédaient la licence de fabrication. De leur côté, la France et Dassault n’abandonnait pas totalement Israël, fournissant une aide précieuse à la réalisation du nouvel avion dénommé Kfir (Lionceau en hébreu).
Une carrière nationale en demi-teinte
Les premiers essais ont lieu en 1970 avec un Mirage IIICJ disposant d’un réacteur J79 en lieu et place de l’ATAR 9, mais le premier prototype du Kfir ne volera qu’en 1972. Les tous premiers exemplaires sont livrés à partir de 1975 mais se révèlent de vrais cercueils volants. Le J79 s’avère beaucoup plus lourd que l’ATAR, et 1/3 plus puissant, entraînant un grave déséquilibre de l’avion. IAI dut donc revoir sa copie et modifier le Kfir (nez plus « lourd », plans canard) : les premiers exemplaires reçurent eux aussi cette modification. A l’origine, le nouvel avion devait (contrairement au Nesher) se contenter de l’interception. Cependant, l’arrivée de chasseurs modernes américains (en particularité les F15) rendirent le Kfir un peu accessoire dans l’IAF. Ils restèrent en service jusqu’en 1993 sans réel « impact » militaire. Environ 220 exemplaires seront produits mais beaucoup serviront ailleurs que dans leur pays natal.
Succès à l’export, consécration aux USA
Le Kfir connaîtra en effet un certain succès à l’export. Rustique, peu cher et relativement efficace, il séduira la Colombie, l’Equateur, le Sri Lanka et, plus étonnant, les Etats-Unis. En effet, les USA louèrent 25 exemplaires à Israël, désignés F21 outre-Atlantique, pour équiper les Agressors Squadrons de l’US Navy et de l’US Marines Corps (ils auraient tout aussi bien pu jouer le rôle des MiG-28 de Top Gun puisqu’ils furent en service entre 1985 et 1989 avant d’être rétrocédés). Dans les années 2000, la société ATAC en loua puis en acheta pour jouer le même rôle dans le cadre de contrats privés.
Si l’on sait que la lignée des Mirage III (III, 5, 50) fut prolifique, on oublie souvent leurs très proches cousins israéliens qui, eux aussi connurent leur petit succès mais surtout, leur baptême du feu. Preuve que les avions de la SAMD conçus à Saint-Cloud étaient bien nés, permettant ainsi de nombreuses modifications (moteurs, radars, utilisation) au point de devenir crédible pour entraîner l’élite américaine. Après les Messertchmitt BF-109 sauce tchécoslovaque (les Avia S199) du début, l’histoire a encore plus de saveur.
2 commentaires
Je me suis toujours demandé si il y avait un lien entre le IAI Kfir et l’Atlas Cheetah d’Afrique du Sud ? J’avais lu qu’il y avait eu à la fin des années 90 des transferts de technologies…
Il y a un lien, évidemment (cela fera l’objet d’un article à venir)…