Fruit d’une utilisation intelligente de l’existant, le Rancho est, d’une certaine manière, l’anticipation de ce qui deviendra plus tard les SUV. Dérivé d’un utilitaire en fin de carrière, utilisant un patchwork d’organes mécaniques Simca et usant d’artifices malins pour se grimer en baroudeuse, la Rancho marquera son époque malgré une diffusion relativement confidentielle. Joliment dessinée, amusante à regarder et intéressante à manier (y compris en tout-terrain malgré l’absence de transmission intégrale), elle séduira une clientèle originale désireuse de se démarquer.
Production (1977-1983) : 56 357 exemplaires
Lieu : Poissy (78) et Cerizay (79) pour la base Pick-up, Romorantin (41) pour l’assemblage final
Elargir la gamme
Après la signature le 19 décembre 1969 d’un accord avec Chrysler-Simca et le lancement de l’étonnante Bagheera en 1973, Matra avait changé de dimension et prit une stature industrielle. Cependant, le constructeur de Romorantin ne comptait pas se reposer sur ses lauriers et lançait le projet P12 en 1975. Il s’agissait alors d’élargir la gamme Matra en s’appuyant sur son allié Simca sans pour autant le concurrencer. C’est ainsi que Philippe Guédon (à la technique) et Antoine Volanis (au dessin) s’orientèrent vers la création d’un véhicule mêlant loisir et utilitaire à l’image de certains véhicules américains ou japonais. Cependant, la faiblesse du budget disponible pour développer le nouveau modèle obligea les deux hommes à se surpasser : à défaut d’argent, on a des idées à Romorantin.
D’un laborieux pick-up VF2 au branché Rancho
Il faut en effet un sacré talent et beaucoup d’ingéniosité pour imaginer, sur la base d’une pas très sexy Simca 1100 VF2 Pick-Up de près de dix ans d’âge, une sorte de tout-terrain branché et séduisant. C’est pourtant ce que Matra a réussi avec le Rancho, dévoilé au salon de Genève en mars 1977. Malgré son look baroudeur, il ne s’agit pas d’un 4×4 mais d’une authentique traction : c’est là tout le génie de Guédon et Volanis, arrivant à faire passer leur nouveau modèle pour ce qu’il n’est pas. En réalité, il a fallu piocher chez Simca et se contenter du minimum. On l’a vu, la base est un VF2 pick-up fourni par Simca en provenance de Poissy ou de son sous-traitant Heuliez situé à Cerizay. Le moteur est un 4 cylindres de 1 442 cc de 80 chevaux DIN issu de la 1308 GT. La boîte de vitesses à 4 rapports provient quant à elle de la 1307. Le système de freinage est celui de la 1100 Ti tandis que les sièges et le tableau de bord viennent de la 1100.
Un baroudeur plus qu’un franchisseur
La carrosserie n’est pas retouchée mais l’ajout de nombreux plastiques (pare-chocs, ailes, tours de roues) et de feux additionnels change radicalement l’image de la voiture. La garde au sol est relevée et de grosses roues viennent parachever l’opération. Mais ce n’est pas tout : la benne est réaménagée de façon étonnante par l’ajout d’un module en matériaux composite et d’une banquette arrière rabattable. Ainsi gréé, le Rancho ressemble à un Land Rover à la française, la transmission intégrale en moins. Cependant, la garde au sol réhaussée et les rapports de pont modifiés lui donnent quelques aptitudes en tout-chemin sans être un vrai franchisseur. André Costa, dans l’Auto-Journal du 15 mai 1977 lui reconnaît des qualités (volume habitable, esthétique, suspensions, équipement complet, qualités routières satisfaisantes) mais regrette une direction trop ferme, une mauvaise adhérence sur les fortes pentes et des rapports de pont trop long. Enfin, il juge l’accès aux places arrière compliqué. Il constate aussi que la position transversale du moteur l’empêchera sans doute de recevoir à l’avenir une transmission intégrale. Il avait en cela raison car jamais le Rancho n’y aura droit.
Le Rancho trouve lentement son marché
Les débuts de la Rancho sont pourtant décevants : seuls 4 194 exemplaires trouvent preneurs en 1977. Si la voiture est réussie, elle peine à convaincre par un positionnement jusqu’alors inconnu en France tandis que le réseau Simca semble déconcerté lui-aussi. Il faut attendre 1978 pour voir la mayonnaise prendre, enfin avec 11 391 véhicules produits. Le Rancho profite aussi d’une internationalisation puisqu’il est distribué désormais en Italie (sous le nom de Ranch), en Grande Bretagne (avec conduite à droite), en Allemagne, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Suède, Norvège, Danemark, Finlande ou en Espagne. Le succès se confirme en 1979 où 13 707 unités sortent de Romorantin. Cette année-là voit l’apparition d’une version X mieux équipée, et d’une version Grand Raid dédiée à l’aventure et dotée d’un moteur à Bas Taux de compression (BTC) de 78 chevaux, d’un différentiel à glissement limité et d’un treuil. Enfin, Matra présente aussi la Rancho AS, une stricte deux places dépourvue de banquette arrière et prévue pour les professionnels et à taux de TVA réduit. A partir de l’été, la Rancho troque la marque Matra-Simca pour une nouvelle appellation, Matra-Talbot, suite au rachat de Chrysler Europe par PSA et à la création de la marque Talbot.
Talbot Wind : le Rancho fait des émules chez Heuliez
Chez Heuliez, qui fournit les Simca 1100 VF2 Pick-Up qu’elle produit en sous-traitance à Matra, l’aventure Rancho donne des idées. Tandis que la marque de Romorantin propose une baroudeuse, pourquoi celle de Cerizay n’irait-elle pas, sur le même principe, sur le marché des voitures de plage type Méhari ou Moke ? Heuliez va donc prendre la même base (un Pick-up VF2) et la travailler de façon simple et bon marché pour lui donner un look plus séduisant et adapté à une utilisation typée loisir. Dans un premier temps, le carrossier envisage de produire la Wind (c’est son nom) en petite série avant de renoncer. L’idée vient alors de vendre des kits de transformation, mais là encore sans aller plus loin, faute de clients potentiels. La Wind restera donc un prototype unique qui sera vendu en 2012 lors de la vente de la collection Heuliez.
Le soufflé retombe
En 1980, la situation se dégrade pour le Rancho : passé l’effet de mode, le soufflé retombe et les ventes baissent à 8 376 exemplaires. Pourtant, la gamme a là encore évolué : lancement d’une série spéciale baptisée Loisir (voir encadré) et d’une version découvrable intéressante mais qui ne séduira pas (595 exemplaires produits entre 1980 et 1981, normale ou AS). En 1981, la chute continue avec 7 449 Rancho produits et une série spéciale X Midnight. Pour 1982, la gamme est simplifiée : ne subsistent plus que le Rancho de base, le X et l’AS. La marque Talbot est en danger au sein de PSA et la fusion des réseaux de distribution n’avantage pas la Rancho que les commerciaux peinent à vendre. La production tombe à 6 331 exemplaires.
Des séries spéciales pour le Rancho
Afin de soutenir les ventes et d’animer la gamme, Matra va proposer des séries spéciales de la Rancho. Un premier test avait été lancé en octobre 1978 avec une version Courrèges qui se voulait le pendant de la Bagheera du même nom, traitée par le couturier. Peint en blanc et doté de protections latérales marrons, le Rancho Courrèges était traité luxueusement et disposait d’un thermos, d’une canne à pêche et d’une épuisette : il restera un exemplaire unique. Ce n’est que mai 1980 qu’apparaît la première vraie série spéciale sous le nom de Rancho Loisir. Lui aussi peint en blanc, il reçoit un set d’adhésifs permettant d’afficher sa passion pour la planche à voile, le tennis ou le ski. L’intérieur est spécifique (garnissage et sièges bleus). Il trouvera 376 clients amateurs de sport.
Au même moment, la filiale allemande de Talbot lance la série Davos à la décoration extérieure spécifique grâce à des adhésifs. Le nombre d’exemplaires de cette série est inconnu. En octobre 1981, c’est au tour du Midnight de faire son apparition au catalogue pour une série limitée à 100 exemplaires. Il s’agit d’une version particulièrement bien dotée : chaîne stéréo avec 4 hauts parleurs et un ampli, sièges, tableau de bord en skaï gris clair et contre-portes en velours de même couleur, peinture extérieure noire, liseré rouge sur la carrosserie et marque de même couleur, monogramme X rouge, etc.
Au revoir Rancho, bienvenue Espace
L’année 1983 sera la dernière pour le Rancho : PSA s’est désengagé de Matra (dont il détenait 45 % depuis le rachat de Chrysler Europe) et tire un trait sur la marque Talbot qui ne sera plus soutenue jusqu’à sa disparition en 1986. De toute façon, Matra s’est lancé depuis la fin des années 70 dans un projet fou de monospace, refusé par PSA par manque de moyen mais qui trouve un écho favorable chez Renault. Pour sa dernière année de production, le Rancho trouve 5 009 clients avant de tirer sa révérence et laisser la place sur les chaînes de Romorantin au Renault Espace, prévu pour 1984.
La nostalgie de La Boum
40 ans après la fin de sa production, la Rancho est aujourd’hui une icône du début des années 80 : son positionnement devient enfin clair pour la majorité des gens devenus accros aux SUV tandis que son style a particulièrement bien vieilli. Enfin, elle respire la nostalgie pour toute une génération trop jeune pour la conduire à l’époque, mais dont le film La Boum avec Sophie Marceau, Claude Brasseur, Brigitte Fossey et Denise Grey, a bercé l’imaginaire.
Images : PSA, Car Design Archives, Matra, DR
6 commentaires
une petite coquille : on ne dit pas « Le soufflet retombe » mais « Le soufflé retombe ».
(https://www.quiveutdufromage.com/ar-souffle-au-fromage-pourquoi-retombe-t-il)
Sinon bien sûr un très bon article sur un véhicule précurseur.
Oups, bien vu… Corrigé
Merci !
Il parait qu’un Rancho, c’est une cabane, un abri de fortune. Alors, comme la partie vaut pour le tout, la caisse posée à l’arrière, c’est elle le Rancho. Au fait, Simca avait fait, entre 1960 et 1963, la Ranch du temps des Aronde P60, avec sa longue baie vitrée, sa livrée bicolore et son ouvrant arrière en deux parties, comme sur la Rancho, hayon et plateau ( ?). Simca était doué dans l’art d’accommoder les restes et c’est de ces autos là que l’on se souvient, avec le plaisir un brin pervers de la nostalgie. Une Rancho, c’est haut, botoxisé de Robri en plastique noir, avec une calandre en coupe-frites façon Cadillac Eldorado 1954, avec les double phares bien ronds. Simca savait jouer le superlatif en installant des longue portée dans la calandre, ce qui faisait des 1301/1501, 1100 des Special comme les huîtres. Sauf que la Rancho verte du fils Bourdeau, La Maison de la Presse dans ma petite patrie, avait les fouilleurs au pied du pare-brise, histoire de chasser le dahu les nuits sans lune. Le gars en question avait commencé avec une Triumph Spitfire III décapotable, puis continué avec une GT6 Mk3 tout aussi blanche. La Rancho s’imposa au moment des poussettes je suppose. J’ai conduit une Rancho orange comme sur la photo en tête d’article (2137 QM XX). Elle emplit le garage de son propriétaire, un mien ami d’alors, succédant à une Bagheera S verte (904 QD XX), modèle 1975-1979, et précédant une Renault 5 Alpine Turbo rouge (7143 QV XX). C’était grand, vaste, un côté Espace avant l’heure, mais il lui fallait sa ration de picotin de Super. On regardait passer les autres depuis les longues baies de la benne. L’avant de la 1100 de 1967 paraissait grand si haut perché sur les grosses roues. Je me souviens aussi du Rancho toilé d’un adjudant, normal en ville de garnison, on avait l’habitude des TP3 franchisseurs. C’est fou le nombre d’autos de transition à la césure des 70’ et 80’ surtout chez Simca la sursitaire. La Simca 1000 durait, force Rallye et c’était chouette, la 1100 durait force TI et Rancho et bien d’autres. La Rancho, c’est un peu la contemporaine du Guide du Routard (Depuis 1973), de La Hulotte (« Le journal le plus lu dans les terriers », depuis 1972), de Boult-aux-Bois. Une auto Beau Dommage, Charlebois, Harmonium, Michel Rivard. Au fait, le treuil servait-il vraiment ? On en trouve encore de très beaux sur eBay. Oui, mais en Joustra. Le Jouet Strasbourgeois avait bien réussi sa réduction du Rancho.
Le sketch en début d’article ne correspond pas à la Rancho originelle, mais à un « Rancho II » sur base R18. https://www.facebook.com/cardesignarchives/posts/694286060939733
Et Romorantin n’est pas dans le 45 (Loiret) mais dans le 41 (Loir et Cher)…
Dommage en effet que le Rancho n’eut jamais de transmission intégrale, PSA aurait pu mettre Dangel sur le coup… Mais investir pour Talbot…
Oups, merci Quentin pour ces précisions.
Le pire c’est que mon beau-frère vient de Romo : incroyable de faire cette erreur-là 😉
Pour la petite histoire, il y a eu une ou plusieurs armatures acier (celle sur laquelle repose le module arrière en composite) qui furent galvanisées comme c’est le cas pour la Murena.
Pour tester le principe sur le Rancho ou par accident, je ne me souviens plus exactement.
Ce qui est sûr, c’est qu’un Rancho fut monté avec une armature de ce type. En effet, j’ai l’une de mes connaissances qui, ayant quelques relations chez Matra, avait pu en récupéré une, ainsi qu’un intérieur neuf et un ensemble moteur 1.6l/BV5 de Murena. Il remonta le tout et roulait régulièrement avec quand je l’ai connu il y a une quinzaine d’années (déjà!).
Quant à la série limitée Midnight, je me rappelle qu’il y avait une boîte de nuit quelque peu interlope qui porter ce nom à Romorantin… Est-ce un hommage caché? Mystère… ;.)