Lorsque Peugeot, poussé par l’État, prend possession de Citroën à partir de 1974, le constat est simple : faire le ménage parmi les projets coûteux, élaguer la gamme des produits en fin de carrière ou sans avenir et relancer la machine sans trop s’exposer financièrement tout en affinant des projets de long terme. Cependant, cette politique prudente et intelligente n’exclut pas de faire des coups. Avec un produit déjà amorti depuis 1972 et facilement adaptable, Peugeot va offrir à Citroën une petite citadine opportuniste : la LN, qui deviendra en évoluant la LNA. En mélangeant habilement une caisse de 104 à peine modifiée, une finition typée low cost et des bicylindres typiquement Citroën, la LN va tirer son épingle du jeu et faire tenir Citroën dans l’entrée de gamme aux de la sempiternelle 2CV jusqu’à l’arrivée de la vraie nouveauté, l’AX.
Production (1976-1986) : 345 964 exemplaires
Dont : 129 611 LN (1976-1978) et 216 083 LNA (1978-1986)
Lieux : Mulhouse (68), Aulnay-sous-bois (93), Forest (Belgique) et Madrid (Espagne
Nettoyer les écuries
Au lancement de la LN en 1976, Peugeot signe enfin le rachat complet de Citroën. Les dirigeants de la vénérable firme franc-comtoise l’avait joué fine avec une transition en douceur, une lente montée au capital et des facilités accordées par Michelin bien content de se débarrasser du boulet qu’était devenue Citroën au fil des ans et de la politiques dispendieuse de Pierre Bercot. Si la prise de contrôle n’est officiellement effective que cette année-là, voilà deux ans que les équipes s’activent pour remettre à flot le paquebot de Javel. L’usine parisienne n’y survit pas d’ailleurs, fermant ses portes pour privilégier la récente et moderne installation d’Aulnay-sous-Bois qui produit la toute nouvelle CX. La fin du berceau de la marque signe celle de son vaisseau amiral, la DS, qui quitte le catalogue en 1975. La SM est elle aussi débarquée, à tel point que les derniers exemplaires seront assemblés chez Ligier, dans l’Allier, entre fin 1974 et début 1975. Enfin, la participation dans Maserati est refourguée à l’État italien qui passera la patate chaude à Alejandro de Tomaso.
Une citadine sans investissement
Dans la même veine, l’hémorragie financière du moteur à piston rotatif est stoppée : la participation dans la Comotor est cédée, et la GS Birotor quitte le catalogue sans avoir réussi à séduire 1 000 clients. Les projets en cours sont remaniés : le projet Y destiné à lancer une petite Citroën est transformé en VD, la future Visa sur base 104 4 portes. Georges Taylor, président de Citroën et originaire de Roumanie, revend le projet en Valachie pour limiter la casse, donnant naissance en 1979 à l’Oltcit Club (mais obligeant Citroën à commercialiser l’Axel en 1984). S’il semble prématuré de dézinguer la 2CV, il est opportun d’apporter un peu de sang neuf en entrée de gamme. Il n’est pas question cependant de plomber la marque qui sort rapidement du marasme et recommence à gagner de l’argent grâce à la CX. Il faut donc un projet rapidement commercialisable, peu gourmand en capitaux et pertinent sur le marché : ce sera la LN.
Clone de 104 dopé (?) au bicylindre
Contrairement à la Visa, un peu plus ambitieuse que sa donneuse 104 et dotée d’un physique très Citroën (qu’il faudra rapidement remanier pourtant), la LN est ce qu’on appelle aujourd’hui un clone : un coach 104 à peine remanié et doté de quelques attributs chevronnés, notamment ses moteurs. L’idée est simple : séduire une clientèle citroëniste que l’obsolescence de la 2CV rebute. La cible est plus citadine et plus féminine et la LN vient en parfait complément du duo Deuche et Dyane plus rural. Seule distinction immédiatement visible (ou audible) : les feux avant de Dyane justement, et le bruit du bicylindre de la 2CV6. Avec 602 cc et 32 chevaux, la LN ne cherche pas la performance et se positionne sous la 104 Z en termes de tarifs.
De la LN à la LNA
Malgré un positionnement intéressant (et des investissements réduits à la portion congrue), la Citroën LN peine à trouver son marché : après 5 275 exemplaires produits fin 1976 et non représentatifs, elle trouve seulement 65 118 clients en 1977, loin des objectifs et obligeant la direction à revoir sa copie en lançant la LNA en 1978. Il ne s’agit pas d’une révolution, mais plutôt de donner un peu plus de style à la petite Citroën qui peine à séduire face à sa cousine 104 et sa sœur Visa à peine lancée. L’accastillage est remis au goût du jour, et la LNA reçoit une version plus performante du bicylindre, un 652 cc de 36 chevaux. Malgré ces évolutions, l’année 1978 reste identique à 1977 avec 67 168 unités vendues. En revanche, l’année 1979 s’avère une catastrophe avec 38 659 LNA produites. C’est la Bérézina mais le groupe PSA a d’autres chats à fouetter avec le rachat de Chrysler Europe (été 1978), le passage de Simca à Talbot (été 1979) et la crise pétrolière (fin 1979). La LNA devra se débrouiller.
Du X pou LNA
La chute des ventes se poursuit en 1980 (30 971) mais stoppe enfin en 1981. PSA daigne en effet offrir à la LNA un quatre cylindre plus adapté à l’époque et aux aspirations de la clientèle. Elle récupère donc un moteur X (déjà vu sur la 104, la Renault 14 et la Visa, entre autres) de 1 124 cc et 50 chevaux (une version 952 cc sera disponible aussi en Italie en 1985, pour des raisons fiscales, et produite seulement à 300 exemplaires, une rareté). Cette nouvelle motorisation, ainsi qu’une série spéciale comme la Cannelle, suffit à stopper l’hémorragie sans permettre à la LNA de se refaire une santé : avec 35 219 ventes en 1981, elle se condamne à attendre l’AX comme le Messie. L’année suivante, les performances sont du même acabit sans évolution particulière (34 565 exemplaires), et 1983 confirme la stabilisation (35 940). Il semble acquis que la LNA n’ira plus jamais au-delà de ces chiffres malgré la disparition de la Dyane. En 1984, l’Axel vient compliquer l’offre tandis que la LNA n’en finit plus d’attendre la relève, qui n’arrivera qu’en 1986.
Des résultats satisfaisants
Au total, 345 694 LN ou LNA sortiront des chaînes de Mulhouse mais aussi de Madrid, en 10 ans de carrière : un score modeste, certes, mais rentable et permettant à PSA de remettre de l’ordre dans son calendrier des sorties. Le duo LN/LNA aura toujours souffert d’un manque de soutien, d’un manque d’arguments aussi, et de la concurrence de la 104, de la Visa en 1978, de la Samba en 1980, de la 205 en 1983, de l’Axel en 1984 et évidemment des 2CV et Dyane. Peu importe, puisqu’elle a fait le job assigné : prendre position sur le segment des citadines en attendant mieux tout en contribuant au cash flow de PSA dans une période troublée. Opération réussie donc, avec pragmatisme et sans volonté de séduction. L’industrie, c’est aussi savoir saisir des opportunités à défaut de révolutionner le produit !
Images : Citroën, DR
2 commentaires
Si les caisses étaient sans doute construites à Mulhouse, l’assemblage final ce faisait, sauf erreur de ma part, à Aulnay.
Rappelons que la LN fut fabriquée également à l’usine belge de Forest en 77/78 (36.073 exemplaires) et ce afin de pouvoir répondre à la demande et aux délais de livraison qui s’allongeaient…
Parmi les options, il y eu disponible le fameux embrayage centrifuge, hérité des 2CV/Dyane/Ami 8, qui disparaîtra avec la LNA et l’arrivée du « gros » 652.
A ses débuts, la LN eu un défenseur de taille en la personne de Gilles Guérithault, rédac’ chef de L’Autojournal, qui s’étonna dans nombres d’éditos ces années-là que Citroën ne misa pas davantage sur ce modèle « intelligent » comme il le disait.
Les récits de Paul, au prétexte de modèles de voitures, font sujet après sujet une histoire de l’industrie automobile contemporaine qui mériterait faire un tout. L’opus magnum de Paul. La nostalgie du matériel quotidien de la mobilité, parce qu’il habita le mode de vie amélioré du deuxième vingtième siècle, celui de la société de consommation et des loisirs, vient désormais célébrer ce qui doit disparaître, l’automobile thermique et peut-être une part de l’industrie du monde qui la vit naître. C’est l’ordre géopolitique dans sa dimension géoéconomique. « La bagnole, c’est foutu » dit Lino Massaro (Lino Ventura) à son fils Daniel (Xavier Gélin) dans L’Aventure c’est l’Aventure » de Claude Lelouch (1972). Et à lire la collection de sujets autour de PSA de la fin des 70’ et début des 80’, on se demande ce qui a laissé debout l’un des deux groupes automobiles français. La LN, sorte de Dyane devenue compacte, parait un produit suture en attendant l’objet adapté au marché et faisant basculer dans une autre dimension industrielle. Je me souviens de quelques petits détails qui faisaient de cette banalité automobile une curiosité. Le bruit, celui du bicylindre, forcément associable aux caisses suspendues avec leurs grands débattements, le volant monobranche, l’avant arrondi, le tissu pied-de-poule et surtout ces deux petits dossiers rabattables des sièges à l’arrière. Disparues Panhard & Levassor, Simca (peu importe les rapetassages de dénominations), Matra, on pourrait en faire autant des marques qui ont sombré dès avant le krach de 29 et des survivantes anéanties dans la rationalisation de l’après-guerre. Et au sujet de la LN, son affectation commerciale ne passerait pas aujourd’hui les fourches caudines de la convention, voiture de dame, enfin des années 70. Une petite auto, durant une petite décennie, suffisamment présente pour qu’on s’en souvienne. La matrice coupé 104 a été usée jusqu’à la corde, de la LN à la Samba. Une auto a deux fonctions premières, déplacer et faire vivre l’industrie qui la fait. La LN, si quotidienne, a assuré cette mission.