Succédant à la Dauphine en 1962, la Renault 8 perpétue une tradition initiée par la 4CV en 1948, celle du tout à l’arrière. Plus facile et moins chère à fabriquer qu’une traction, elle requiert cependant plus de doigté tant la tenue de route peut s’avérer piégeuse. Ce défaut initial fut paradoxalement un avantage, tant la R8 devenait plaisante pour qui savait la cravacher. Dans cette optique, Renault n’hésite pas à lancer des versions sportives et abordables, Gordini puis S, afin de séduire une clientèle jeune, sportive et pour tout dire un peu casse-cou. Cette réputation flatteuse à l’époque devint même légende lors de son remplacement par une R12 plus facile à conduire. Le temps faisant son œuvre, les défauts s’effacent pour ne garder qu’une vision fantasmée de la 8 qui, en son temps, fut simplement une honnête bagnole.
Production (1962-1976) : 1 410 454 ex
Lieux : Flins (France, 1 103 577 ex, dont CKD), Valladolid (FASA 1965-1976 : 266 231 ex), Pitesti (Roumanie, Dacia 1968-1972 : 37 546 ex), Plovdiv (Bulgarie, Bulgarrenault 1967-1970 : 3 100 ex) mais aussi Algérie, Australie, Afrique du Sud, Canada, Maroc, Vénézuela, Mexique et Portugal en CKD.
Ci ce n’est rond, c’est donc carré
La Renault 8 est lancée en juin 1962 à une époque où les nouveaux modèles complétaient la gamme plus qu’ils ne remplaçaient. Version plus moderne et plus cossue de la Dauphine, la R8 mettra du temps à se débarrasser de sa devancière qui ne quittera le marché qu’en 1967. Lors de sa présentation, elle supplante surtout le haut de gamme Dauphine, appelé Ondine, tandis qu’avec le lancement de la Gordini en 1964, elle met au rancart la sportive et rare 1093. Dessinée par Gaston Juchet et Philippe Charbonneaux, la Renault 8 abandonne les rondeurs de la Dauphine pour un dessin très carré, presque simpliste, mais que tout enfin de l’époque saura croquer avec précision, quel que soit son âge. Si aujourd’hui on peut se moquer d’un tel physique, rappelons-nous qu’il était à la mode à l’époque : en France, la Simca 1000 avait étrenné un tel dessin l’année précédente, tout comme la NSU Prinz en Allemagne (entre autres).
Le Cléon-Fonte pour en cadeau de naissance
La vraie nouveauté de la Renault 8, c’est son moteur Sierra à cinq paliers (plus connu sous le nom de Cléon-Fonte) imaginé par l’ingénieur René Vuaillat et qui équipe au même moment la Floride S. Cette mécanique sera le cœur de nombreuses Renault jusque dans les années 90, faisant preuve d’une robustesse indéniable et d’une capacité d’adaptation incroyable. Ce 4 cylindres se dévoile sur la R8 avec 956 cc et 44 chevaux DIN (R1130) et le choix entre une boîte à 3 vitesses toutes synchronisées, ou à 4 vitesses dont la première est non synchronisée. Cela peut paraître juste, mais c’était un réel progrès par rapport à la Dauphine et le poids contenu à 770 kg permettait des vitesses tout à fait correctes pour l’époque et chacun pouvait louer son freinage à disque à l’avant comme à l’arrière. Ce modèle R1130 sera longtemps l’entrée de la gamme R8, avant qu’il ne disparaisse du catalogue le 31 août 1967 (476 560 exemplaires hors FASA).
L’évolution tranquille
Il faut attendre le 1er septembre 1963 pour voir apparaître une nouvelle version de la R8, dénommée Major. Elle se veut plus luxueuse que la R8 de base, mais aussi plus performante : elle reçoit une évolution du Sierra, poussée à 1 108 cc, développant 46 chevaux DIN et accolée à une boîte à 4 vitesses synchronisées (R1132). Elle perd son nom de major au lancement de la Renault 10 en 1965 et remplace totalement la R1130 en 1967 (563 702 exemplaires jusqu’en 1973) en récupérant l’appellation (!). Sans devenir sportive, la R1132 gagne en couple, en confort de conduite, en performances pures et en confort. Si les deux modèles sont amusants à conduire à la limite (qui une fois franchie, ne pardonne pas), ils restent à vocation routière et familiale. La fin de la petite série de Dauphine 1093 offre la possibilité à Renault de concevoir une sportive plus moderne mais aussi plus abordable tout en mettant en avant celui qu’on appelle le sorcier, Amédée Gordini, et qui collabore avec Renault depuis 1957.
Va y avoir du sport
La nouvelle Renault 8 Gordini (type R1134) est présentée en octobre 1964 et fait l’effet d’une véritable bombe. Retravaillé par Gordini, le Sierra 1 108 cc passe alors à 77,5 chevaux DIN (95 chevaux SAE) et offre des performances inconnues à ce niveau de gamme, pour qui sait piloter. Si la Dauphine avait déjà ses versions sportives (Gordini puis 1093), c’est la R8 Gordini qui va démocratiser le concept et poser les bases des voitures compactes dynamiques (et piégeuses). Utilisée à toutes les sauces, en compétitions officielles (Coupe Gordini notamment) ou sauvages, la Gord’ marquera durablement l’imaginaire collectif malgré des sorties parfois fatales. Cette première mouture ne sera produite qu’à 2 626 exemplaires jusqu’en juin 1966. A cette date, elle laisse la place à un nouveau modèle, appelé R8 Gordini 1300 (R1135). Le Sierra passe alors à 1 255 cc et dépasse la barre mythique des 100 chevaux SAE (103 pour être exact, soit 88 chevaux DIN). Elle récupère en outre une boîte à 5 vitesses, ravissant les amateurs de sportivité et de modernité. Cette 1135 sera la plus fabriquée des Gordini puisque 8 981 exemplaires sortiront des chaînes entre 1966 et 1970. La 8 cède alors sa place à la R12 Gordini, moderne et efficace mais jugée trop facile par les amateurs de sensations fortes qui n’oublieront jamais leurs 8 du diable.
A la conquête du monde
En 1965, FASA-Renault commence la production de la Renault 8 en Espagne, à Valladolid. Contrairement aux R8 françaises, les 8 espagnoles récupèrent des freins à tambour à l’arrière : étonnant retour en arrière pour cette voiture dont le freinage était justement le point fort. La 8 participera grandement à l’essor de Renault en Espagne, devenant voiture nationale au même titre que les Seat de la même époque. Si les ibères n’auront jamais la joie de goûter à la Gordini, ils trouveront en la R8 TS lancée en octobre 1968 un agréable succédané (voir encadré). A partir de 1965 et du lancement espagnol, l’expansion internationale commence pour la R8 : en Europe de l’Est, elle est produite en Bulgarie sous le nom de Bulgarrenault à partir de 1966 (voir encadré) ou en Roumanie sous la marque Dacia à partir de 1967 (voir encadré). Un peu partout, des unités de montage en CKD (kits complets venus de France) assemblent des R8 : Algérie, Maroc, Canada, Afrique du Sud, Australie, Mexique, Vénézuela (Mariera) ou bien même Portugal.
Bulgarrenault 8 (1967-1970 : 3 100 ex)
En 1963, la Bulgarie, désireuse d’une certaine indépendance industrielle, lance un appel d’offre pour la production d’une voiture sur le sol national. Renault, déjà en affaires avec la Roumanie, remporte le concours et propose de produire la R8 (bientôt rejointe par la R10). Le contrat est signé à l’été 1965 et la production, assurée par la société Metalhim à Plovdiv sous la marque Bulgarrenault, commence en 1967. En 1970, les relations avec Renault sont rompues, Metalhim ne respectant pas les consignes strictes d’exportation. Entre 2 400 et 3 100 Renault 8 seront produites en Bulgarie.
Dacia 1100 (1968-1972 : 37 546 ex)
En Roumanie, les négociations menées avec le régime mènent à un contrat d’une toute autre ampleur. Il s’agit de doter le pays d’une véritable industrie automobile et la société créée pour l’occasion, Dacia, affichent de grandes ambitions. Ainsi, le contrat signé avec Renault concerne la production d’une voiture plus moderne : la Renault 12 qui sera rebaptisée Dacia 1300. Or, au moment de l’accord, la 12 n’est même pas encore sortie en France (elle ne le sera qu’en septembre 1969). En août 1968, l’usine de Pitesti est achevée et la marque Dacia rode son outil industriel avec un véhicule temporaire : la Renault 8 renommée, elle, Dacia 1100. Ainsi pendant presque deux ans, les 1100 vont motoriser les Roumains impatients (mais aussi et surtout l’administration, la police, et la fameuse Securitate). En 1969, une série de 100 exemplaires d’une Dacia 1100 S similaire à la R8 S est produite, uniquement pour la police et la Securitate.
De la Gordini à la 8 S
En France, face au succès de la Renault 8 Gordini malgré un prix conséquent, on songe à rendre la 8 encore plus accessible et à surfer sur son image dynamique. Pour cela, la Régie va concocter une Renault 8 S (R1136) à destination d’une clientèle plus impécunieuse mais tout aussi passionnée. Produite à partir de septembre, elle est bien plus abordable mais propose des performances moindres que la 1300 Gordini. Il faut ainsi se contenter du 1 108 cc de 53 chevaux DIN et d’une boîte 4 vitesses, mais la voiture récupère un look sportif dérivé de son aînée, avec ses 4 phares avant si caractéristiques, et procure tout de même les sensations typiques d’une voiture à moteur et propulsion arrière. Son tarif inférieur lui permet aussi une diffusion plus large : produite jusqu’en 1971, elle trouvera 52 400 clients enthousiastes.
FASA-Renault 8 TS
Le marché espagnol étant moins développé que le marché français (tout comme le réseau routier), il n’est pas jugé opportun de proposer la Gordini au catalogue FASA-Renault. Pas question pour autant de laisser la clientèle sans dérivé sportif. Aussi, les équipes de Valladolid vont concocter une version spécifique dénommée Renault 8 TS à destination des amateurs de la péninsule (et ils sont nombreux). Sur la forme, la 8 TS est assez semblable à la 8 S française (dont elle conserve le code R1136) mais ses freins à tambour à l’arrière trahissent son origine ibérique tandis que ses quatre feux avant sont de même diamètre (les cerclages d’épaisseurs différentes faisant illusion). Le moteur, quant à lui, bénéficie de quelques modifications lui permettant d’atteindre 55 chevaux contre 53. Produite jusqu’en 1976 (comme les autres R8 espagnoles), elle se vendra au total à 16 036 exemplaires, uniquement en Espagne.
L’adieu au tout à l’arrière
Avec l’apparition de la Renault 12 en 1969, la disparition de la Gordini en 1970 puis de la 8 S en 1971, la gamme R8 n’apporte plus grand chose d’autre qu’un tarif en ce début des années 80. L’heure n’est plus au tout à l’arrière, et si mamie fait de la résistance, c’est pour la forme. Dépassée par le bas (R4, R6 puis R5) comme par le haut (R12 et R16), la R8 doit finalement céder sa place à Flins et quitte le catalogue en août 1973. C’est, pour beaucoup, la fin d’une époque. Quelques clients déjà nostalgiques se tourneront vers la plus petite mais toujours fabriquée Simca 1000, dont les versions sportives Rallye, Rallye 1, Rallye 2 et 3 assurent le même type de performance. Pourtant, la majorité se laissera tenter par la traction désormais généralisée dans les gammes françaises et, il faut le dire, bien plus sécurisante que la R8 souvent lestée artisanalement à l’avant pour équilibrer les masses et retrouver un peu de direction à haute vitesse : autres temps, autres mœurs.
Photos : Renault Communication, Dacia, DR